Paroles d’élus et d’agriculteurs

En matière de vente directe, l’Avesnois n’est pas en retard et constitue même un champ d’observation. Le débat porte aujourd’hui sur le rôle des restaurations collectives, la façon de rédiger les appels d’offres et l’organisation d’une offre structurée.

La deuxième table ronde. De droite à gauche : Anne-Marie Royal (Terre de Liens), Didier Dujardin (agriculteur bio), Claire Quintin (association A Petits Pas), Jean-Baptiste Gorisse (agriculteur investi dans un réseau de vente directe) et Yves Carpentier (directeur de Cévinor, coopérative d’éleveurs bovins et réseau de boutiques)
La deuxième table ronde. De droite à gauche : Anne-Marie Royal (Terre de Liens), Didier Dujardin (agriculteur bio), Claire Quintin (association A Petits Pas), Jean-Baptiste Gorisse (agriculteur investi dans un réseau de vente directe) et Yves Carpentier (directeur de Cévinor, coopérative d’éleveurs bovins et réseau de boutiques)

 

D.R.

La première table ronde. De droite à gauche : Christine Batteux (Conseil régional), Bernard Pruvot (chambre d’agriculture), Paul Raoult (élu local), Damien Carlier (agriculteur, président d’une association locale).

En fin d’année dernière, à l’initiative du syndicat mixte du SCOT (Schéma de cohérence territoriale) Sambre-Avesnois, s’est déroulée, en mairie de Maubeuge, une matinée d’exposés et d’échanges sur les circuits courts alimentaires. Le débat a mis en évidence les atouts du territoire mais aussi des freins, en soulevant à nouveau la question des appels d’offres, du rôle que pourraient jouer les formes de restauration collective (collectivités locales, entreprises, hôpitaux) et du développement d’une offre locale mieux organisée. Voici une sélection de propos entendus lors des deux tables rondes, sans doute transposables à d’autres secteurs ruraux.

 

Un élu prudent. Alain Poyart, notamment vice-président du SCOT et président de la nouvelle communauté de communes du Cœur de l’Avesnois, a suscité des réactions en affirmant qu’il croyait davantage à la commercialisation des produits locaux «via le tissu commercial classique» qu’au travers des circuits courts. Il a invoqué des prix en général «supérieurs au marché» et rappelé l’état des finances publiques. Pour atténuer son propos, il a ajouté cependant que les intercommunalités, avec leur compétence «développement économique», se devaient de jouer les premiers rôles. Il a cité ce projet d’«espace test agricole», en cours sur son territoire (à Sains-du-Nord), mené avec l’association “A petits pas”. Il a aussi souligné que le sujet supposait l’instauration d’une «politique foncière», étant donné la rareté des terres agricoles disponibles, notamment en maraîchage.

 

Choix politique et habitudes à changer. Paul Raoult, à la fois maire du Quesnoy, président du parc naturel régional de l’Avesnois et président du SIDEN, a noté un «retour du balancier» en faveur donc des circuits courts, tout en constatant que des habitudes avaient été prises : «Les deux tiers des gens ne mangent plus chez eux le midi et la France a mis en place un énorme système de supermarchés.» Prenant l’exemple de sa commune, il a affirmé que l’appel aux produits locaux, pour une cantine municipale, relevait d’un «choix politique», même si en moyenne les produits biologiques sont «30 à 40% plus chers». En tant que président du SIDEN et aussi du Parc, il a affirmé que la qualité des eaux souterraines ne pouvait être garantie que par l’existence d’une agriculture biologique en surface. En résumé, Paul Raoult a considéré qu’une «révolution» était impossible mais que le public pouvait être éduqué, voire «rééduqué», et que les agriculteurs devaient être, en matière de vente directe, incités et formés. «Les jeunes doivent maintenant savoir à la fois gérer leur production, vendre et transformer.»  

 

La chambre d’agriculture intéressée mais… Bernard Pruvot, agriculteur lui-même et premier vice-président de la Chambre régionale, a expliqué que la vente directe était «une valeur ajoutée aux revenus des agriculteurs», ainsi qu’une voie de «diversification». Il a ajouté qu’une «plate-forme virtuelle» avait été mise en place à l’intention des intendants de la restauration collective (offrealimentaire-npdc) et que la Chambre entendait former et accompagner ses ressortissants dans ce domaine. Aux élus, il a lancé : «Ou bien les agriculteurs gagnent leur vie avec la vente directe et ça se développe, ou bien ça ne marchera pas.» Il a même estimé que les élus avaient un «acte politique» à faire en marquant la différence entre «produit fermier» et «produit industriel». Il est à noter au passage que le débat n’a pas opposé produits fermiers et produits biologiques.

Bernard Pruvot a cité en exemple «l’assiette durable» du Conseil général dans laquelle sont engagés une trentaine de collèges du Nord. Il a estimé que les plates-formes logistiques classiques (notamment pour l’approvisionnement des restaurations collectives), risquaient de se transformer en  «usines à gaz». Autre revendication : que les appels d’offres des collectivités intègrent la notion de territoire et de proximité.

 

Une offre à structurer. Damien Carlier, président de l’ADARTH, (Association de développement agricole et rural en Thiérache-Hainaut), a estimé que de plus en plus de jeunes agriculteurs avaient la capacité à investir les circuits courts. Côté demande, il a estimé que les marchés locaux, dont les supérettes et boutiques de terroir, n’étaient pas suffisants pour écouler les productions, d’autant que le pouvoir d’achat n’est pas très élevé dans cette partie du Nord.

 

Accès au foncier. Le développement de la vente directe en bio suppose la disponibilité de terres. L’association Terre de liens, rattachée à l’économie sociale et solidaire, qui fait partie d’un réseau de 12 associations défendant une «autre agriculture pour la région» (www.inppact.org) est intervenue sur ce point. Anne-Marie Royal a expliqué que l’association s’efforçait, par le biais de l’épargne solidaire, de racheter des terres afin de les soustraire à la spéculation ou à d’autres projets. Elle a cité l’exemple d’une AMAP qui s’est créée à Louvignies-Quesnoy et constaté que beaucoup d’agriculteurs allaient prendre leur retraite et qu’il fallait donc être vigilants aussi dans les transmissions.

 

Des réseaux existent. Lors des exposés, des agriculteurs, fermiers ou biologiques, ont exprimé leur impatience face à la lenteur des politiques publiques concernant la restauration collective. Pour eux, une offre existe déjà. Didier Dujardin (vergers bio d’Ohain) a cité la coopérative Norabio spécialisée en fruits et légumes qui peut déjà répondre aux demandes des intendants et cuisiniers et a noué des partenariats avec, par exemple, les Biocoop. Il a dit préférer traiter avec des collectivités «motivées» plutôt qu’avoir affaire à de «grandes commandes imposées». Jean-Baptiste Gorisse, agriculteur à Beaufort, a expliqué qu’il pratiquait “l’assiette durable” du Conseil général avec un collège d’Hautmont, et qu’il était membre d’un réseau régional de vente directe de produits laitiers.

Pour lui, il ne faut pas voir dans la vente directe une concurrence avec le petit commerce traditionnel mais au contraire une «complémentarité» autour d’un intérêt commun : la reconquête du consommateur.

 

D.R.

La deuxième table ronde. De droite à gauche : Anne-Marie Royal (Terre de Liens), Didier Dujardin (agriculteur bio), Claire Quintin (association A Petits Pas), Jean-Baptiste Gorisse (agriculteur investi dans un réseau de vente directe) et Yves Carpentier (directeur de Cévinor, coopérative d’éleveurs bovins et réseau de boutiques).

 

Une économie marginalisée

 

L’expression «circuits courts alimentaires», très prisée aujourd’hui dans les milieux institutionnels, désigne en général la vente directe entre agriculteurs et consommateurs, une relation qui a disparu ou s’est retrouvée marginalisée avec le développement de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire.

Si l’on en parle aujourd’hui, c’est qu’il y a une aspiration commune à restaurer un lien perdu, à retrouver un certain bon sens dans la façon de produire et de consommer. Le vocabulaire employé dans les débats actuels est d’ailleurs révélateur : «lien social», «proximité», «relocalisation de l’économie», «emplois non délocalisables», «manger local en respectant le rythme des saisons»… En toile de fond, aussi, l’envie d’avoir confiance dans des produits dont on connaît l’origine et le producteur, ainsi qu’une suspicion qui pèse sur les marges prises par les intermédiaires. Les politiques publiquesaffichent l’intention d’encourager son retour ou son développement.

Economiquement, la vente directe correspond à un revenu mieux maîtrisé pour les agriculteurs. Elle peut aussi contribuer à rendre de la vie aux territoires ruraux.

Selon les sites officiels, les «circuits courts» ont deux formes : la vente sans intermédiaire et la vente avec un seul intermédiaire. La vente directe proprement dite désigne la vente à la ferme, sur les marchés, la vente ambulante, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (où un contrat d’un an est passé entre des familles et un producteur bio).

La vente indirecte fait référence aux restaurateurs (individuels ou collectifs) qui eux se fournissent «directement» auprès des producteurs.

 


Des études existent

 

Les débats du 22 novembre ont été ouverts par des interventions d’ordre technique et méthodologique. D’abord, celle du CERDD (Centre de ressources développement durable) et celle de l’Agence de développement et d’urbanisme de la Sambre (ADUS). Ces deux organismes ont en effet réalisé des études sur le sujet, dont le but est d’éclairer et d’aider les décideurs dans leur approche des «circuits courts alimentaires», la mise en place de stratégies et d’une «gouvernance alimentaire» future.

Sur leurs sites internet respectifs − www.cerdd.org et www.adus.fr−, on peut prendre connaissance de ces informations.