Parentalité : le difficile retour de congé maternité des femmes cadres
« La maternité reste généralement perçue comme un contretemps dans la relation de la femme cadre avec son employeur » signale l’Apec dans l’une de ses dernières publications. Si les femmes ( près de 40 % des cadres), doivent faire face à de nombreuses inégalités de genre concernant notamment la rémunération ou les parcours professionnels, le congé maternité est vécu comme un moment difficile. Le retour en entreprise constitue « un moment clé » qui a été largement identifié comme l’une des sources de ces inégalités, et mal géré par les entreprises.
Près de la moitié (47 %) des mères cadres l’ayant vécu dans les dix dernières années considèrent comme difficile le retour de congé maternité*. Même lorsqu’il se passe plutôt bien, en partie grâce au télétravail, ce retour en entreprise reste une période délicate, voire éprouvante. Et ce, dès l’annonce du congé, considérée par les femmes cadres comme un moment difficile. « Beaucoup de futures mères cadres ont la sensation d’une mauvaise nouvelle à annoncer. Certaines éprouvent même un sentiment de trahison vis-à-vis de leur entreprise », signale l’Apec. En témoigne une consultante en recrutement de 31 ans, mère d’un enfant : « J’ai mis du temps à annoncer que j’étais enceinte, j’avais l’impression de leur faire un truc pas bien, j’ai dit : ne vous inquiétez pas, je serai là, je ne vous lâcherai pas ».
Des difficultés qui se prolongent aussi parfois pendant le congé maternité, avec notamment une peine à se déconnecter, notamment pour les femmes managers qui ont des responsabilités spécifiques et une position stratégique (gestion d’équipe, interface avec la direction, devoir d’exemplarité). Contrairement à l’obligation légale, certaines femmes cadres continuent ainsi d’être connectées avec leur entreprise, via le suivi des e-mails ou des clients, la présence à certaines réunions en ligne, etc. « Ce non-respect du congé maternité est vécu par les futures mères cadres comme un abus ou une intrusion (parfois à la limite du harcèlement). Il leur est aussi parfois difficile de ‘lâcher’ leur travail, surtout quand elles ne sont pas remplacées ou que le remplacement se passe mal », pointe encore l’Apec.
Des difficultés hétérogènes
C’est ce que confie une maman de deux enfants, responsable logistique de 40 ans, manager dans le secteur des transports : « Je n’ai jamais déconnecté pendant mon congé. Ce n’était simplement pas possible, surtout quand je pensais à tout ce qui m’attendrait au retour ». Ou encore une analyste sécurité de 35 ans, mère de deux enfants elle aussi, manager : « Ma remplaçante m’appelait tous les jours, c’était presque du harcèlement ».
Principal souci rencontré au retour du congé maternité (pour 71 % d’entre elles), « faire face à la charge de travail malgré la fatigue » ou encore « être tout aussi efficace » (60%). A leur reprise, les mères cadres constatent une certaine dégradation de leur situation professionnelle, notamment de leur charge mentale (pour 71% des femmes interrogées), ou encore de leur disponibilité (pour 44%). Sont également fréquemment évoquées des situations « d’invisibilisation » ou de « marginalisation ». Parmi les difficultés auxquelles elles peuvent être ainsi confrontées, celle de « retrouver leur place à leur ancien poste » (44%), de « renouer les liens avec leurs collègues et l’entreprise » (41%) ou de « faire face aux discriminations et aux remarques sexistes liées à la maternité de la part de leur entourage professionnel » (28%). « En résulte parfois pour la mère cadre un sentiment d’être devenue étrangère dans son entreprise et une perte de capacité qui la fait se sentir débutante et inutile. Elle peut se retrouver bloquée dans l’exécution de son travail et est susceptible à terme de subir des situations iniques : une invisibilisation progressive, une placardisation, voire une disqualification financière », signale l’Apec. Un ressenti qui peut être accentué par la durée d'absence, dans le cas des congés parentaux longs.
« Certaines entreprises ne reconnaissent pas la nouvelle identité des cadres qui sont devenues des mères, comme si cela venait menacer le contrat cadre dans ses fondements : autonomie, responsabilité, fiabilité », pointe encore l’Apec. En conséquence, celles-ci surveillent avec plus d’acuité leur travail, via par exemple « des pertes de flexibilité horaire, une demande de présentéisme ou encore une infantilisation ».
Et des impacts sur l’évolution professionnelle
Pour ces mères cadres, le retour de congé maternité est « peu anticipé » et « mal accompagné » par les entreprises (oublis, négligences, flou organisationnel, etc.). 71 % de celles qui ont pris récemment un congé maternité considèrent que les entreprises ne mènent pas les actions nécessaires pour favoriser le retour au travail et que celui-ci est négligé, pas prévu. Pêle-mêle, cela peut prendre différentes formes : absence d’entretien de retour (pourtant obligatoire), omission de transmission des nouveaux codes d’accès, absence de débriefing des changements ayant eu lieu pendant le congé maternité, absence de formation pour les nouveaux supports et logiciels informatiques..., énumère l’Apec. Une analyste sécurité de 35 ans, manager dans les assurances, mère de deux enfants, témoigne en ce sens : « Ils avaient changé de tablettes, mais il n’y en avait pas pour moi, il fallait la commander et j’ai été cinq jours sur site, toute seule, ils étaient tous en télétravail, j’étais sans outil informatique, ils n’avaient pas anticipé ». « Certaines mères cadres ne sont plus tenues au courant de décisions stratégiques, comme si elles devaient ‘payer’ le fait d’avoir été absentes. D’autres peuvent vivre ce retour de congé maternité comme une obligation de ‘se rattraper’, de donner des gages, de montrer des signes que leur performance est restée intacte », déplore encore l’Apec. Elles font face à une forme de « déni de normalité de la maternité » de la part de certaines entreprises qui ne prennent pas suffisamment en compte leur nouveau statut de mère.
Plus globalement, elles sont confrontées à des répercussions de la maternité sur leur évolution professionnelle. Ainsi, une partie d’entre elles peinent à se projeter professionnellement sur le long terme. Près des trois quarts considèrent que le congé maternité ralentit leur évolution professionnelle pendant plusieurs années. Cela peut être de leur fait – certaines qui souhaitent « vivre d’abord ou essentiellement comme des mères, accordent donc la priorité à leur vie personnelle et optent dans leur parcours professionnel pour une pause ». Mais pour une majorité, « la mise en pause de leur carrière est surtout subie », révèle l’Apec. La mauvaise gestion du retour de congé maternité de la part des entreprises concourt à « les empêcher de retrouver leurs marques et leur poste à court terme et a des conséquences sur leur évolution professionnelle à long terme », met en avant l’Apec dans sa publication.
*Enquête qualitative sous forme d’entretiens individuels menée en juin 2023, auprès de mères cadres et enquête quantitative en ligne menée en janvier-février 2023, auprès de 12 400 cadres en poste dans le secteur privé, dont 840 femmes cadres ayant eu au moins un enfant au cours des dix dernières années (2011-2022).
Charlotte DE SAINTIGNON