Audience solennelle du Tribunal de commerce d’Arras
Optimisme tempéré pour 2023
L’audience solennelle du Tribunal de commerce d’Arras s’est tenue le 13 janvier sous la présidence de Jean-Luc Carbonnier, en présence de Sylvain Barbier Sainte Marie, procureur de la République d’Arras, et des personnalités représentant les autorités politiques, civiles, administratives, judiciaires et universitaires.
Après les réquisitions du Procureur, le président a souligné les grandes tendances de 2022, puis a développé les préoccupations du Tribunal et de ses 28 juges pour 2023. Installé le 1er avril dernier en qualité de procureur de la République, Sylvain Barbier Sainte Marie, s’est montré très confiant «sur les liens entre le parquet d’Arras et le tribunal de commerce sur de nombreux sujets et dont l’activité est en partie le reflet.»
Une situation paradoxale
Plusieurs épreuves ont perturbé 2022 : «la toujours présence du Covid qui a montré d’importantes variations, la crise économique avec une hausse de l’inflation inédite depuis plusieurs décennies, et la crise énergétique dont l’envol des prix entrave la reprise optimale des entreprises, et naturellement la guerre en Ukraine.» Le procureur préfère «ne pas céder au pessimisme ambiant, mais plutôt, de voir des signes de reprise économique, traduisant un dynamisme et une santé des entreprises, supérieurs aux prédictions.»
Tout d’abord, il constate dans le ressort une incroyable résilience de l’économie, constat semblable d’ailleurs à celui de 2022, mais avec une différence fondamentale, «Les nombreux secteurs de l'économie de l'Arrageois connaissent un dynamisme réel et continuent d'innover. De nombreuses installations d'entreprises ou d’extensions sont constatées dans le bassin minier, et plusieurs plans de reprise, concernant de nombreux salariés ont été approuvés par ce tribunal.»
Les chiffres témoignent de cette dynamique. «Si les immatriculations au registre du commerce et des sociétés (RC) ont baissé légèrement entre 2021 et 2022, elles connaissent une hausse importante depuis 2020, 120% en 3 ans, et confortent les constatations du maintien d’une santé économique forte du ressort.»
En revanche, «les nouvelles ouvertures ont bondi de 148% entre 2020 et 2022, et par conséquent les liquidations judiciaires ont augmenté dans les mêmes proportions, à l’instar des redressements.» Cette situation apparait paradoxale d’une part avec une augmentation importante des immatriculations au registre du commerce, signe de santé économique, et d’autre part, une augmentation significative des ouvertures de procédures collectives, des redressements et des liquidations. «En réalité, il n’y a rien d’étonnant à cette situation qui résulte des éléments suivants : la fin des prêts garantis par l’État (PGE) qui ont considérablement aidé l’ensemble des sociétés, le fait que de nombreuses sociétés ont utilisé ces prêts comme trésorerie et elles sont aujourd’hui dans l’impossibilité de les rembourser, ces prêts s’avérant d’un montant trop élevé par rapport à leurs facultés contributives. Enfin, certaines sociétés ont été maintenues artificiellement en activité grâce aux prêts alors qu’elles auraient, sans eux, fait l’objet d’une procédure collective. Dès lors, il convient d’attendre début 2024 pour avoir un tableau plus réel de la situation économique des sociétés du ressort de notre tribunal.»
Toutefois, dans le contexte d'une conjoncture si instable, le procureur juge essentiel de retenir les éléments positifs et la volonté d'entreprendre de nos concitoyens. Ainsi, les perspectives nationales de croissance, même fragiles, demeurent favorables : «Le Gouverneur de la Banque de France a récemment indiqué que la France connaîtra en 2023 une croissance faiblement positive, mais bien positive.» Plus localement, l’emploi dans les Hauts-de-France reflète une résistance certaine, «ce qui est encourageant, d'autant que l'étendue géographique de notre tribunal recouvre des réalités économiques très différentes.»
Les grandes tendances 2022
Le président du tribunal constate en 2022 une forte hausse dans les procédures collectives. Les 482 jugements d’ouverture de 2019 sont passés à 348 en 2020, 269 en 2021, et 518 pour 2022, soit +7,47% par rapport à 2019, les années 2020 et 2021 étant non significatives à cause de la Covid. «En temps normal, le Tribunal comptabilise 600 procédures collectives en moyenne à gérer par an.»
Faut-il s’attendre à une forte augmentation des procédures collectives en 2023, voire en 2024, à cause de la hausse des matières premières, certes en phase de régularisation, la hausse dramatique du prix de l’énergie sur les années futures. «Les chefs d’entreprise vont devoir à nouveau s’adapter et assumer en même temps les remboursements des PGE.»
Les ordonnances de référés sont passées de 79 à 90, soit +14%, à 97 en 2019. Les jugements au fond ont suivi la même tendance, de 320 à 339, soit +6%, 372 en 2019. Les injonctions de payer s’élèvent à 1 384 contre 914 en 2021, soit +1%, 1 277 en 2019. «Une bonne nouvelle, les mandats ad hoc et conciliations sont passés de 8 à 29 en 2022, preuve que nos chefs d’entreprise anticipent de plus en plus leurs difficultés.»
Au niveau du Registre du commerce, après une augmentation de 25% en 2021, la création d'entreprises en 2022 est en baisse, passant de 5 634 à 5 390, soit -4,5%. Le dépôt des comptes annuels est en augmentation passant de 11 842 à 11 917, soit +1% contre une hausse de 36% l’année précédente. Le nombre d'inscription de privilèges et nantissements est en stagnation, passant de 6 537 à 6 516 principalement avec les inscriptions de crédits-baux et contrats de location de matériels. «Notons que l’an passé, ces inscriptions avaient augmenté de 16%.»
Le développement des procédures amiables
Le président est très attentif au développement des procédures amiables. «Au cours de 2022, nous avons continué à recevoir des dirigeants d'entreprises en difficulté. À la fois ceux qui en faisaient la demande lors des audiences du président et ceux qui sur la base des données du Greffe, présentaient ce que nous pouvons qualifier de signes extérieurs de difficultés. Le constat est souvent le même : le chef d’entreprise estime qu’il peut s’en sortir seul, et nous avons des liquidations judiciaires sèches qui détruisent des emplois et des vies.»
Cette expérience conforte le constat que les solutions amiables donnent de très bons résultats. Comme l’explique le président, «Il faut toujours inciter les entrepreneurs en difficulté à venir rencontrer la cellule de prévention. Il vaut mieux une bonne négociation et répartir les dettes plutôt que le débiteur, atteint de tétanisation au seul énoncé de Tribunal de Commerce, attende du ciel que son dossier s’arrange toute seul.»
Trois nouveaux juges installés
. Pierre Margollé, notaire (retraité)
. Françoise Paques, juriste d’un cabinet d’expertise comptable (retraitée)
. Hervé Mizon, expert-comptable (retraité)