Entretien avec Bertrand Piccard après la COP27
«Oeuvrer contre le changement climatique, c'est au contraire un avantage»
Après avoir fait le tour du monde en avion solaire et recenser des milliers de solutions contre le réchauffement climatique notamment dans les Hauts-de-France, le Suisse Bertrand Piccard s'est déplacé à la COP27, le rendez-vous mondial du climat clôt le 20 novembre dernier en Egypte. Rencontré sur place, il nous partage ses solutions techniques et législatives et pose un regard critique sur le fonctionnement de l'institution onusienne.
Quel était votre objectif en venant à ce rendez-vous mondial ?
Je souhaitais montrer qu'il faut changer de narratif à la COP27. On entend les chefs d’états défiler à la tribune en énumérant la liste des problèmes et en disant qu’il faut changer quelque chose. On se dit que c’est une bonne introduction. Malheureusement, c’est leur conclusion, ils se rassoient et le suivant dit la même chose. Tout cela ne sert à rien si on ne dit pas comment faire. Et aux pays qui résistent aux décisions de la COP, il faut montrer que ce n’est pas un handicap économique. Oeuvrer contre le changement climatique, c'est au contraire un avantage, une possibilité de créer de l’emploi, de développer la qualité de vie, d’être plus efficace grâce à des solutions techniques que les gens n’utilisent pas assez.
Quelles solutions êtes-vous venu présenter à la COP27 ?
La Fondation Solar Impulse a développé un programme L’Alliance mondiale pour les solutions efficientes, qui présente à ce jour 1450 solutions économiquement rentables, écologiquement positives et déjà existantes, notamment dans les Hauts de France - comme Tiamat à Amiens pour les batteries au sodium, Hydrelis à Isques, et ses solutions pour prévenir les fuites d’eau, ou Terrao à Wavrin pour la qualité de l’air - et d’autres régions françaises. On vient de publier un Guide des solutions à destination des villes. Et la ministre de l’environnement égyptienne m’a demandé aussi d’amener des solutions spécifiques pour les pays en développement : un séchoir solaire pour les récoltes pour éviter qu’elles soient détruites à cause de l’humidité, un système UBQ pour transformer les déchets ménagers en emballage ou en lingot de plastique qui peut être fondu pour faire des meubles, un vélo électrique pour parcourir les grandes distances propres à certains territoires africains, pompes d’irrigation, panneaux solaires pour les villages qui n’ont pas accès à l’électricité. Ca permet de diminuer les émissions de CO2 et développer l’économie locale.
Comment aidez-vous concrètement les pays vulnérables ?
Il y a des pays qui payent les conséquences du réchauffement climatique de manière gravissime. Et leur but cette année à la COP était d’obtenir un fond de la part des pays industrialisés pour financer les pertes et préjudices irrémédiables liées aux catastrophes climatiques comme au Pakistan récemment. On sent que cette attente a bloqué la COP. Etant donné que les pays du Nord n’ont déjà pas tenu leur promesse de débloquer une enveloppe annuelle de 100 Mrds$ pour financer l’adaptation, ils ne voient pas pourquoi ils voteraient en faveur des engagements de la COP. C’est difficile. De notre côté, on propose à ces pays de collaborer avec leurs émissaires pour identifier les solutions au regard de leurs besoins.
Et pour le financement des solutions que vous proposez, comment résoudre cette équation ?
En évitant de confondre coût et investissement. Quand on me dit que la transition écologique coûte cher, c’est faux. Le coût, c’est de l’argent dépensé et perdu. Il faut parler d’investissement car cela permet d’obtenir des productions moins chères et de dégager plus de marge bénéficiaire pour rembourser l’emprunt associé. C’est dans cette vision là qu’il faut le faire.
Durant la COP27, vous avez écrit des chroniques pour des journaux suisse et français, Le Temps et La Tribune. Quel regard portez-vous sur cette quinzaine ?
La COP est un ensemble de négociations de processus, de mécanismes, de systèmes de discussion. Les achoppements se font sur des virgules, des paragraphes, c’est la guerre des mots. Moi, je verrai la COP autrement. On se mettrait ensemble, pas pour négocier des engagements uniformes quelque soit les pays mais pour prendre toutes les solutions existantes, afin de les mettre en place en fonction des besoins de chacun. J’ai rencontré beaucoup de villes et régions démunies car ils ne savent pas comment mettre en place ces solutions. C’est très compliqué administrativement et juridiquement. C’est là qu’il faut mettre de l’aide et du soutien.
Faut-il moderniser les législations pour accompagner ces changements ?
Oui, d’ailleurs nous avons fait un document prêt à voter pour le parlement français qui propose 50 changements réglementaires ou législatifs pour débloquer l’utilisation de solutions. Il y a beaucoup de techniques françaises qui auraient un impact positif sur l’environnement, l’emploi et le pouvoir d’achat. Mais ce ne sont pas des systèmes prévus dans la législation, ce qui les empêchent d’émerger. C’est pourquoi on essaye d’améliorer la législation pour débloquer ces solutions. On a présenté ce document au nouveau parlement juste après les élections législatives en juin 2022 et j’ai déjà parlé à un certain nombre de présidents de commissions pour faire avancer le sujet.