«Nous jouons un rôle de médiateur social»
Après un parcours hybride dans de grandes entreprises privées telles que Peugeot, BNP Paribas et Cap Gemini, puis 16 années dans le public, Gilles de Labarre est adjoint au haut-commissaire à l’Economie sociale et solidaire, Christophe Itier, et, depuis 10 ans, président de l’association "Solidarités nouvelles face au chômage". Face à un taux de chômage qui pourrait connaître un pic supérieur à 11,5% mi-2021, selon la Banque de France, et au risque grandissant de précarisation et de paupérisation d’une catégorie de la population, il encourage à construire une société plus à l’écoute, qui contribue à recréer du lien social à tous les niveaux. Entretien.
La Gazette : Pouvez-vous présenter l’association SNC ?
Gilles Mirieu de Labarre : Créée en 1985, c’est le premier réseau national bénévole d’accompagnateurs pour le retour à l’emploi de personnes en grande difficulté. L’association compte 200 antennes en France, dans 80 départements, et 2 500 bénévoles, avec un équilibre très pérenne dans leur composition : autant de femmes que d’hommes, autant de moins de 50 ans que de plus de 50 ans, autant de personnes en activité qu’à la retraite. Non professionnels, ils se forment via une dizaine de modules de formation que nous avons mis à leur disposition.
Quelles sont les valeurs du réseau ?
Elles reposent sur la solidarité et la fraternité qui sont portées par les bénévoles, tous étant des citoyens engagés. Nos valeurs viennent du constat que lorsque des personnes se retrouvent au chômage, leur première difficulté, au-delà du sujet financier et de la perte de repères, est la solitude qui s’abat sur elles. Il faut savoir qu’une personne licenciée perd la moitié de son réseau au bout de six mois, 75% au bout de neuf mois et la totalité au bout d’un an. Notre rôle est essentiellement un rôle de médiation qui consiste à recréer du lien social. Plutôt que de pointer du doigt les chômeurs, nous sommes là pour leur tendre la main. Il n’y a aucun espace de vie sociale qui permet aux chômeurs de raconter leur chômage et de retrouver de la dignité. Le chômage est un travail de sape qui mine l’équilibre personnel et relationnel. Le principal problème de ces personnes éloignées de l’emploi est donc de retisser le fil de la valorisation personnelle et de l’estime de soi en leur faisant comprendre quelle est leur valeur et en leur permettant de se réapproprier leurs compétences. Cela passe d’abord par une écoute active, bienveillante et non justificative, et par «l’exercice des talents», qui consiste à faire nommer à la personne ses savoir-faire, savoir-être et savoir-agir.
En quoi consiste l’aide apportée par le réseau ?
Nous accompagnons 4 000 personnes chaque année. Elles sont accompagnées par un binôme de bénévoles, généralement un homme et une femme, pour apporter deux sensibilités différentes. Le fait d’être à trois permet de mieux rebondir et de donner plus de qualité à l’accompagnement. Le binôme peut ainsi échanger, en amont et en aval des rendez-vous, sur l’état psychologique et les difficultés rencontrées.
L’autre grande particularité de notre accompagnement est l’inversion de la logique de guichet : c’est la personne accompagnée qui fixe les conditions de la rencontre dans des lieux neutres, comme des cafés. On recrée ainsi une relation d’équité et cela lui permet de se mettre en dynamique et en situation de responsabilisation. Concrètement, on les guide pour refaire leur CV et leur lettre de motivation, et on les prépare aux entretiens en les aidant à se valoriser.
Pour décrypter certaines situations particulièrement difficiles, nous avons un réseau de 80 psychologues partenaires. On les accompagne ensuite sur la durée – sept mois en moyenne – pour leur permettre de réussir leur intégration au sein de l’entreprise. En parallèle, via le dispositif de «l’emploi solidaire», on finance le coût de l’emploi dans des structures de l’économie sociale et solidaire, sur six à douze mois, pour permettre à certains d’entre eux de remettre un pied dans le monde du travail. En termes de résultat, nous enregistrons deux tiers de sorties positives, soit en CDI, en CDD longs de plus de six mois ou via des dispositifs de formation qualifiantes ou certifiantes, avec la quasi-certitude de trouver un emploi à la clé.
En quoi consiste le partenariat de SNC avec l’Apec ?
Ce partenariat, signé pour deux ans renouvelables, a pour objectif d’accompagner de façon encore plus qualitative les demandeurs d’emploi longue durée, sur l’ensemble des territoires, au plus près des problématiques de chaque bassin d’emploi. Nous avons tout intérêt à travailler main dans la main dans une logique de complémentarité. Dans cette logique de coconstruction, on essaie de bâtir des partenariats avec des acteurs associatifs ou institutionnels pour mieux comprendre ce qu’ils font, partager nos outils, mener des actions conjointes et des services croisés tout au long du parcours de retour à l’emploi.
Etre partenaire des services publics nous apporte une légitimité et une crédibilité, et nous permet d’être présent sur le territoire national. En outre, cela nous donne la possibilité de participer aux événements territoriaux organisés par l’Apec et donc de nous faire connaître, en faisant témoigner des bénévoles ou des personnes accompagnées. On espère également que cette démarche nous permettra de recruter de nouveaux bénévoles, car nous voulons notamment améliorer notre présence dans les territoires ruraux qui comptent de nombreux chômeurs, avec des particularités et des freins spécifiques, liés notamment à la distance et à la mobilité. C’est d’autant plus important qu’avec la crise que nous connaissons, le nombre de chômeurs augmente et les demandes d’accompagnement progressent dans certaines régions.