«Nous allons inexorablement vers une grande profession du Droit.»
Quelques jours avant la tenue de la convention nationale du conseil national des barreaux fin octobre à Bordeaux et Libourne, l’association des avocats conseils d’entreprises (ace) tient son congrès national les 5 et 6 octobre à l’école régionale des avocats du grand est à Strasbourg sur le thème générique des «ouvertures». Ces avocats d’affaires entendent bien continuer à peser dans les débats, comme force de propositions, pour faire avancer les professions du droit. A cette occasion ils dévoileront un ouvrage collectif «mutations dans l’univers des avocats – tectoniques et horizons» (prat éditions) sur les mutations et surtout l’adaptation de leur profession. Décryptage avec Denis Raynal, le président national de l’ace.
Votre congrès de Strasbourg a pour thème générique les Ouvertures. Pourquoi ?
L’ACE est engagée sur une voie humaniste, progressiste, dynamique, et comprend l’avenir sans frontières artificielles et réductrices, sur un marché du droit dont les perspectives sont infinies. Nous sommes optimistes face aux grandes mutations de notre profession, ce qui non seulement se démarque de l’esprit ambiant, mais nous donne chaque jour l’envie d’entreprendre. L’année dernière, notre congrès d’Ajaccio était intitulé «Moteur !». Et nous avons développé encore depuis de nombreux projets. Nous sommes désormais reconnus comme l’un des think tanks de la profession d’avocat, parmi les plus prolifiques pour les idées, mais surtout l’un des plus actifs pour les faire avancer, notamment auprès des Pouvoirs publics, des instances de la profession, et de nos partenaires d’autres professions souvent très complémentaires de la nôtre. Là encore, nous sommes ouverts aux solutions modernes et concrètes. Nous ne nous recroquevillons pas sur nous-mêmes mais nous nous gardons d’être des donneurs de leçons. Nous souhaitons au contraire ouvrir de nouveaux horizons et les présenter à ceux qui acceptent de lever la tête vers eux.
À l’image de votre Laboratoire de l’univers de l’avocat (Luna) ?
Grâce à lui nous avons pu livrer et défendre, dans le cadre de la mission ministérielle confiée par l’ancien Garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas à notre confrère Kami Haeri et aux membres de son groupe de travail, de nombreux axes de réflexion et d’évolution de la profession et de son exercice, ambitieux et constructifs. Nous avons aussi développé le concept ACE Compétitivité & Droit assorti d’une charte en dix valeurs partagées, et son logo est à la disposition de tout avocat membre de l’ACE qui reconnaît comme sienne ces valeurs et souhaite être identifié par ses confrères, par les autres professionnels du droit ou du chiffre, par les services juridiques des entreprises, comme un avocat sensible à l’exercice de son métier dans une optique de performance du droit, de valeur ajoutée de ses prestations, d’ouverture dans le monde du droit et dans la compétition qui se joue. Nous sommes aussi intergénérationnels, l’ACE-JA de nos jeunes confrères est l’une de nos grandes fiertés ; elle sera très présente et enflammée pour fêter ses 15 ans lors de ce 25e congrès qui marquera les 25 ans de l’ACE.
Pourquoi Strasbourg ?
Strasbourg est une ville ouverte, sur l’Europe, sur l’économie, à la croisée des chemins, des langues, des grands échanges internationaux et de la politique. Alors oui, Ouvertures est un terme pluriel qui a résonné pour nous comme le juste titre de notre congrès 2017.
Quelles sont aujourd’hui les grandes préoccupations des avocats conseils d’entreprises ?
Notre orientation professionnelle est culturellement marquée par notre connaissance de l’entreprise et des entrepreneurs eux-mêmes, et de leurs besoins. Mais avant tout, nous sommes des avocats pleinement imprégnés de notre déontologie et de notre secret professionnel qui font notre force et que nous défendons corps et âme. Nous ne développons aucun sectarisme et au contraire ouvrons nos rangs à de nombreux confrères exerçant dans des domaines qui n’apparaissent pas de prime abord pleinement liés à l’entreprise, comme le droit de la famille, le droit de l’art ou les droits humains. Nous avons ainsi 26 commissions de travail dans différents domaines du droit qui concernent indifféremment les entreprises et les personnes.
Êtes-vous favorables à cette grande profession du Droit souvent évoquée ?
Nous le sommes et pensons que nous y allons inexorablement à moyen long terme. Tout sera question de périmètre et de temps, d’utilité aussi et de conception de la famille du droit par notre clientèle. Mais nous sommes favorables d’abord à la grande profession d’avocat, conquérante, unie et forte, quel que soit le mode d’exercice de ses membres dès lors qu’ils sont unis par des règles puissantes et respectées d’indépendance, de confidentialité et de secret professionnel.
Comment votre profession accueille-t-elle les différentes réformes mises en œuvre par le gouvernement depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?
Plutôt positivement, mais déjà avec une impression de pas assez. Nous sommes pragmatiques et raisonnons avec le sens de l’économique et de l’entreprise comme porteuse de la réussite du pays pour le bien commun, avant le politique. Nous rencontrons les Pouvoirs publics et sommes de plus en plus pris au sérieux et de mieux en mieux écoutés. Nous sommes capables aussi bien de porter une contribution technique sur le droit des contrats à des parlementaires que de suggérer des solutions inventives pour le développement de l’emploi. Nous devons d’ailleurs recevoir à notre congrès, en plénière, le Conseiller travail du Président de la République. Et puis, nous serons vigilants et actifs pendant l’élaboration des lois de finances, et apporterons notre réflexion dans le cadre du projet de loi pour les TPE PME, recherchant également à débrider les contraintes qui pèsent sur nos entreprises, dans un esprit de compétitivité nationale et internationale, et d’attractivité de la France.
Dans la présentation de votre congrès, vous parlez de multi-professionnalité. Comment vos cabinets font-ils face à cette transformation ?
Les avocats, en particulier les avocats dits d’affaires que nous représentons, ont été et sont encore en la matière des précurseurs. L’ACE, disons le franchement, est à l’origine de nombreuses dispositions qui se sont retrouvées dans les lois récentes et contribue chaque jour à l’évolution des structures d’exercice et leur organisation pour un service de qualité le plus opérationnel et complet mis à la disposition des clients. Bien sûr, il faut faire évoluer en même temps les règles professionnelles souvent obsolètes, ce qui pose souvent problème chez ceux de nos confrères moins favorables au progrès.
L’interprofessionnalité apparaît comme une évidence pour vous ?
Oui ! Nous la pratiquons dans les faits depuis toujours. Comme Monsieur Jourdain pour la prose, nous ne savions pas toujours que nous en appliquions les préceptes, mais le client lui s’en rendait compte puisque des professionnels complémentaires, du droit et du chiffre, rendait un service multifacettes générateur de sécurité et de croissance. L’interprofessionnalité et la pluriprofessionnalité permettent aujourd’hui de mettre en commun des capitaux ou des structures opérationnelles entre différents métiers du droit et du chiffre. La multiprofessionnalité est un concept que nous développons mais qui doit faire son chemin pour une offre complète.
Qu’entendez-vous par offre complète ?
Pourquoi en effet ne pas réunir dans un seul lieu (en respectant strictement les règles respectives de notre déontologie et du secret s’entend) ou sous une enseigne commune, les professionnels de tout bord susceptibles d’apporter le bon service et répondre à l’ensemble des besoins d’un client. C’est juste une évidence économique. Il ne s’agit pas d’une transformation à proprement parler, mais d’une évolution positive du service de prestations complémentaires. Les cabinets doivent s’y préparer et poursuivre leur réflexion. Rien ne les oblige, c’est seulement qu’un cabinet est une entreprise, qu’elle est face à un marché, et que la compétition est ouverte.
En tant que conseils des entreprises, comment percevez-vous et épaulez-vous les entrepreneurs aujourd’hui ?
Un entrepreneur est dans l’action, celle de son entreprise. C’est ce qui le tient. Quand il s’agit de sujets de marché, il se bat et ce d’autant plus qu’il garde confiance et peut avoir une vision à moyen terme. Quand il s’agit de lourdeurs administratives aux objectifs mal compris (lorsqu’elles ne lui apparaissent pas totalement inutiles), ou quand le pouvoir politique l’ignore dans ses besoins fondamentaux d’agilité et de développement, il se sent en danger. Lorsqu’il construit son entreprise et la développe, lorsqu’il envisage des partenariats, réfléchit à ses options, il a besoin d’une oreille attentive, disponible et compétente, et de solutions constructives. Comment se structurer, comment et quoi négocier, comment matérialiser les accords et les sécuriser, comment analyser juridiquement une situation et mettre en œuvre la bonne stratégie. C’est là l’apport du conseil juridique à l’entreprise. Le chef d’entreprise a fixé son cap ? Il est donc fondamental pour lui de pouvoir se fier à sa boussole, et c’est là le service que nous apportons en tant que conseil. Nous lui apportons l’analyse, le recul et l’aide à la stratégie, nous l’accompagnons dans sa progression en sécurisant sa marche et ouvrant le champ des possibles. Le maître mot est la valeur ajoutée du service que nous rendons, le reste ne se vend plus, ou se vend mal.
Dans une ère du tout numérique, comment votre profession s’adapte-t-elle. La fameuse transformation digitale est-elle à l’ordre du jour ?
Les évolutions en la matière sont stupéfiantes, mais nous les voyons positivement car c’est à notre prestation d’évoluer. Finalement nous avons une vision assez Schumpetérienne de cette affaire. Nous assistons à de la destruction créatrice. Nous n’imaginons pas que les robots vont prendre tout notre travail, mais que nous allons traiter autrement nos dossiers, nos clients, notre temps, notre espace. L’humain restera indispensable, mais ailleurs, autrement. Tout sera pour l’humain dans l’art de s’adapter car la machine, elle, le fera, et de plus en plus intelligemment et de plus en plus vite. Lorsque nous prenons conscience de cela, il n’est plus tant de lambiner et d’empêcher l’avocat de se projeter au même rythme. Son organisation sera différente, sa déontologie sera adaptée, son univers ne sera plus le même, mais il survivra !
Le Conseil national des barreaux tient sa convention nationale fin octobre à Libourne et Bordeaux, qu’attendez-vous de cette convention ?
La Convention nationale des avocats est un moment important pour la profession. Elle intervient avant les élections au CNB et permet les échanges d’idées. De la formation aussi et nous y avons beaucoup d’intervenants. L’ACE, ce sont d’abord 2 000 avocats de toutes vocations, plutôt judiciaire, ou plutôt juridique dans leur exercice professionnel, mais tous mus par une volonté commune de réussite pour leur profession et leur entreprise d’avocat. Nous serons donc à la Convention pour porter nos messages.