Narcotrafic: un danger "au moins aussi important" que le terrorisme, selon un procureur de la Junalco

Le "danger" que représente la criminalité organisée, dont le narcotrafic, pour la France est "au moins aussi important" que le terrorisme, met en garde dans un entretien à l'AFP Eric Serfass, procureur adjoint chargé de la Juridiction nationale de...

Un médecin légiste sur le site d'une attaque à la voiture bélier contre un fourgon pénitentiaire, au péage routier à Incarville, dans l'Eure, le 14 mai 2024 © ALAIN JOCARD
Un médecin légiste sur le site d'une attaque à la voiture bélier contre un fourgon pénitentiaire, au péage routier à Incarville, dans l'Eure, le 14 mai 2024 © ALAIN JOCARD

Le "danger" que représente la criminalité organisée, dont le narcotrafic, pour la France est "au moins aussi important" que le terrorisme, met en garde dans un entretien à l'AFP Eric Serfass, procureur adjoint chargé de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) à Paris.

Question: Avez-vous été surpris par la violence de l'attaque perpétrée, à Incarville (Eure) le 14 mai, par un commando lourdement armé pour faire évader un détenu impliqué dans des trafics de stupéfiants, en tuant deux agents ?

Réponse: Je ne fais aucun commentaire sur ce dossier, dont l'enquête est en cours. Mais s'il y a toujours eu des groupes criminels qui menaçaient ou intimidaient, on peut aujourd'hui constater le recours banalisé au meurtre dans plusieurs villes de France. Les personnes qui commettent ces violences n'attachent manifestement aucune valeur à la vie.

Q: Quel est le profil des tueurs ?

R: Les groupes criminels s'organisent avec une division de travail, où chacun a un rôle, y compris pour les violences et l'élimination de personnes.

On voit des individus, parfois très jeunes, engagés pour ces missions, sans qu'ils n'aient forcément conscience de la totalité du trafic dans lesquels ils sont impliqués.

Ces non-professionnels ne savent pas bien manier les armes à feu. Ils blessent, voire tuent, des personnes qui n'étaient pas leurs cibles initiales.

Q: Vous avez reçu vos homologues mexicains il y a quelques jours. Quel a été leur message? 

R: Très direct. A leurs yeux, si la France et les nations européennes ne prennent pas les mesures suffisantes pour lutter, nous risquons de connaître dans dix ans la même situation qu'au Mexique, c'est-à-dire des centaines de milliers de morts sur quelques années à cause du narcotrafic et un Etat de droit en grave danger.

Q: Avons-nous été dans le déni face à la progression de la criminalité organisée en France ? Ces dernières années, beaucoup de moyens ont été alloués à la lutte contre le terrorisme, par exemple.

R: Ce n'est pas du déni, mais il est peut-être plus difficile de défendre les mêmes moyens pour la criminalité organisée, qui se voit moins.

A l'opposé du terrorisme, qui veut qu'on parle de lui, la criminalité organisée agit cachée, de l'importation de drogue au blanchiment. Mais si elle se fait discrète, le risque et le danger que cette criminalité cause à nos sociétés européennes est au moins aussi important que le terrorisme.

Il nous faut plus d'effectifs, de moyens techniques et des évolutions normatives pour garantir l'efficacité des enquêtes.

Coopération internationale

Q: Des sénateurs suggèrent de créer un "dossier coffre", dont les éléments sur les techniques utilisées par la police qui ne seraient pas divulgués aux avocats de la défense. Qu'en pensez-vous ?

R: Je n'ai pas de réponse évidente. On est pris entre deux priorités: la sécurité de l'enquête et le respect du débat contradictoire.

Il faut bien mesurer les conséquences d'un tel dossier coffre sur le procès et la capacité du juge à trancher un débat qui ne serait pas totalement soumis au contradictoire.

Q: Quels autres leviers actionner ?

R: Il faut davantage de coopération internationale, notamment avec des pays où résident un nombre important de criminels. C'est le cas des Emirats arabes unis. En narcotrafic, sur nos cinquante cibles prioritaires, une partie non négligeable s'y trouve.

Dans toutes nos grandes enquêtes à la Junalco, l'Europe n'est jamais la seule concernée, que ce soit par l'origine des produits ou par la destination du patrimoine des avoirs criminels. Il faut regarder sur tous les continents.

Q: Et une fois attrapés, comment adapter nos prisons à ces suspects ? Faut-il créer des quartiers spécifiques ?

R: C'est une question très difficile pour l'administration pénitentiaire.

Concentrer les grands criminels entre eux implique de pouvoir gérer un milieu pénitentiaire extrêmement dur. On prend aussi le risque que des groupes se reforment. Mais si on mélange les grands criminels aux suspects de droit commun, on prend le risque d'une contamination.

Il y a des évolutions possibles sur le droit. Aujourd'hui, le système d'aménagement des peines est assez important.

Or, nous pensons que la société a intérêt à garder ces criminels en prison le temps de leur peine. Nous sommes donc favorables à une spécificité en matière de criminalité organisée, comme il existe aujourd'hui en terrorisme.

Q: Êtes-vous aussi favorable à la création d'un parquet anti-stupéfiants, comme le proposent des sénateurs ?

R: Je m'exprimerai peu sur ce sujet car il est à l'étude, mais le choix doit être guidé par l'efficacité de l'organisation.

Aujourd'hui, la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée)/Junalco à Paris bénéficie d'une transversalité entre les différentes criminalités, du blanchiment à la corruption privée ou publique, en passant par des moyens de cybercriminalité. Ces sujets-là perdraient à être séparés.

jpa-clw/pa/bow      

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