Migrations estivales : la gare du Nord cherche un modèle économique
Très fréquentée, la gare de Paris‑Nord a mauvaise réputation. Et pourtant le bâtiment historique présente un caractère architectural exceptionnel. La SNCF espère en faire, d’ici à 2023, un lieu agréable, prestigieux, mais également rentable.
C’est sans doute la gare parisienne qui suscite le moins d’enthousiasme. Avec ses 2 100 trains et ses 700 000 visiteurs par jour, elle est “la plus grande gare d’Europe”, comme se plaît à le rappeler la SNCF. La majorité des passagers emprunte le réseau francilien, mais la gare compte aussi ses voyageurs de prestige, qui embarquent pour Londres, Amsterdam ou Cologne dans un Eurostar ou un Thalys. Contrairement à la gare de Lyon ou à Montparnasse, Paris-Nord évoque moins les départs en vacances que les allers-retours épuisants vers la banlieue ou les voyages d’affaires. La salle des pas perdus de la gare RER, qui fut parfois le théâtre de batailles rangées entre bandes rivales, focalise les rancœurs. Malgré les boutiques disposées sur le côté, cette galerie donne da
vantage envie de se presser que de s’arrêter. L’espace se prolonge en direction de la station La Chapelle, sur la ligne 2 du métro parisien, par le “couloir de Maubeuge”, ainsi nommé parce qu’il passe sous la rue de Maubeuge. Long, monotone, régulièrement investi par des vendeurs à la sauvette, il constitue un point de passage obligé pour des milliers de voyageurs tous les jours.
Dehors, l’ambiance n’est pas forcément plus agréable. L’étroit parvis situé sur le devant de la gare constitue en principe une “zone de rencontre”, définie par le Code de la route comme prioritaire pour les piétons et où la vitesse est limitée à 20 km/h. En pratique, les piétons sont relégués sur les trottoirs investis par les deux-roues motorisés et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), les fameux concurrents des taxis qui ne disposent officiellement pas d’espace réservé à proximité de la gare. La voie est ouverte à la circulation, ce qui amène parfois des automobilistes à déposer des voyageurs, voire à l’emprunter pour traverser le quartier, tel un “raccourci”.
Un défi d’abord architectural.
La SNCF comme la Ville de Paris veulent en finir avec cette mauvaise image, et du même coup réconcilier la gare avec son quartier, le 10e arrondissement, l’un des plus denses de la capitale avec 95 000 habitants. “La gare n’est pas un espace d’extraterritorialité qui n’aurait rien à voir avec son environnement”, a affirmé le maire Anne Hidalgo, lors de la présentation, le 24 juin, d’un “plan de transformations” qui doit être réalisé d’ici à 2023.
Le renouvellement voulu par le président de la SNCF, Guillaume Pépy, est d’abord architectural. La compagnie ferroviaire a demandé à Jean-Michel Wilmotte, auteur de plusieurs réalisations parisiennes, de repenser l’espace de la gare, mais aussi ses alentours. “Cette gare manque cruellement d’espace ; l’enjeu consiste donc à trouver de la place”, résume l’architecte. L’une de ses principales propositions consiste en un “quai transversal” perpendiculaire aux voies, et qui les surplomberait. Ce quai serait dédié aux départs, tandis que le hall actuel, débarrassé de son immense panneau d’affichage, accueillerait les arrivées. L’architecte mandaté par la SNCF souhaite également “magnifier” le parvis de la gare en le libérant de la circulation motorisée. “Il n’y a que cela qui puisse modifier l’espace urbain, mais le résultat peut être fantastique”, assure-t-il, applaudi par Anne Hidalgo. Le “couloir de Maubeuge”, lui, ne sera pas rebaptisé “couloir de Saint-Tropez” mais sera “requalifié”, avec des couleurs plus vives et plus claires. Les quais des RER B et D doivent être repeints du sol au plafond. La salle d’échange du RER sera également “requalifiée” dès la fin 2015. Un nettoyage complet est en cours, le mobilier sera remplacé et la galerie accueillera de nouvelles enseignes. Car, pour Gares et Connexion, branche dédiée de la SNCF, l’enjeu est aussi commercial. Puisque l’espace est limité, autant l’optimiser. Le deuxième niveau de la gare, celui où trône la grande horloge datant de 1864, était occupé au début du XXe siècle par un hôtel de luxe. De ces grandes chambres dotées chacune d’une baignoire et d’une cheminée, la SNCF avait un temps fait des bureaux administratifs. Bientôt, c’est le “lounge”, réservé aux passagers de l’Eurostar voyageant en première classe, qui sera agrandi.
Montée de gamme . Le rez-de-chaussée, donnant sur la rue, occupé par des établissements de restauration plus ou moins rapide, suscite encore davantage de convoitises. Un ancien fast-food est déjà en cours de démolition. Il s’agit de monter en gamme. En 2016, une brasserie répartie sur deux niveaux, confiée au chef Thierry Marx, proposera “deux ambiances différentes” et “600 à 700 couverts par jour”. Le nom provisoire du restaurant, “Le train Blanc”, trahit le modèle, celui de la gare de Lyon où la brasserie “Le train Bleu”, bien davantage qu’un buffet de la gare chic, est devenue un rendez-vous gastronomique parisien. La même logique préside d’ailleurs dans une autre gare parisienne, Saint- Lazare, où une brasserie appelée “1837”, année de sa construction, devrait voir le jour dans les prochaines années.
Gares et Connexion a désormais l’habitude de rentabiliser les espaces situés dans les gares. En 2012, la transformation de la grande halle de la gare Saint-Lazare en centre commercial de 80 boutiques constituait encore un pari. Trois ans plus tard, il est gagné. Les voyageurs, mais aussi les habitants du quartier, y font volontiers leurs courses. “Le tiers des ressources des gares provient désormais de la location d’espaces. Et tout ce que nous gagnons est réinvesti dans les gares”, explique Patrick Ropert, directeur de Gares et Connexion.
De fait, un vaste espace, traversé sans cesse par des milliers de personnes, dans un cadre architectural exceptionnel, au cœur d’une ville, ne peut laisser indifférent.
Gare du Nord, les responsables aiment rappeler l’authenticité de la verrière et la particularité des arches qui la soutiennent. Edité à l’occasion des 150 ans du bâtiment historique, en 2014, un fascicule présente 25 affiches publicitaires imaginées par les Chemins de fer du Nord, entre 1900 et 1930, pour convaincre les touristes de visiter les villes et les plages du Nord.
La transformation de la gare, qui a déjà commencé et sera menée tambour battant, ne devrait pas occasionner de bouleversements majeurs du trafic. Le coût de l’ensemble de ces opérations est en revanche inconnu pour le moment. “Combien ça coûte? On ne sait pas. Certainement plusieurs centaines de millions d’euros”, affirme Guillaume Pépy.
La SNCF espère simplement que le coût des travaux sera compensé par une hausse des revenus liés aux commerces.