Marc Mossé, président de l’AFJE
Marc Mossé, associate
general counsel et senior director government affairs chez Microsoft EMEA,
vient de prendre en main les destinées de l’AFJE, association française des
juristes d’entreprise, à l’issue de son cinquantième anniversaire fin janvier.
Il définit les quatre grands chantiers sur lesquels va se porter son action
principale dans les mois et les années à venir.
Vous allez
prendre la présidence d’une association florissante…
Oui,
une très belle histoire. À l’occasion des 50 ans de l’AFJE, nous allons tout
d’abord célébrer l’histoire d’une association qui est aujourd’hui la principale
organisation représentative des juristes en France. Son succès s’est construit
au fil des années, dans la continuité de l’action des présidentes et présidents
successifs et de leur conseil d’administration. Cinquante ans de vrai travail
d’équipe, avec des administrateurs engagés et des super permanents dévoués.
Cinquante ans d’une histoire où les délégations régionales ont pris une place
de plus en plus importante et maillent le territoire de façon dynamique. Je
suis pour ma part fier et heureux de succéder à Stéphanie Fougou dont le mandat
aura permis de formidables avancées. Je veux aussi saluer les progrès accomplis
sous le mandat d’Hervé Delannoy qui a su m’entraîner dans l’aventure.
Quelle va-t-être
votre action pour tracer l’avenir de l’AFJE ?
Dans
un esprit de continuité et d’innovation, nous allons aller encore plus loin sur
les pistes tracées au cours de ce demi-siècle et engager bien sûr de nouveaux
chantiers. D’abord, comme le Grenelle du droit la démontrer, il est urgent de
poursuivre le travail en direction de la construction et de l’affirmation d’une
grande communauté française du droit, et donc nécessairement d’une grande
communauté unie de juristes.
Quelles sont vos
autres priorités ?
Pour
l’association, le sujet de la formation, initiale et continue, est crucial et
au centre de nos activités. En matière de formation initiale, l’AFJE a une
longue histoire de collaboration et de partenariats avec les Universités et les
écoles de droit ; depuis la collaboration avec le réseau des DJCE (Diplôme
juriste conseil d’entreprise) jusqu’à des partenariats avec plusieurs grandes
universités et masters significatifs. Nous allons donc continuer à nous
investir pour faire évoluer la formation initiale, pour qu’elle soit mieux
adaptée aux nouveaux enjeux et aux besoins des juristes d’aujourd’hui et du
futur, et d’abord dans le champ de l’expertise juridique qu’il s’agisse de celle
classique que l’on rencontre dans la vie des opérateurs économiques, ou de
celle liée aux nouveaux chantiers tels, par exemple, la conformité, la RSE, le
devoir de vigilance, la protection des données, la cybersécurité… C’est
pourquoi, la formation continue est tout aussi importante à nos yeux. C’est
d’ailleurs, l’une des grandes réussites de l’AFJE ! Nous avons investi en ce
domaine parce que les juristes doivent maîtriser tout un champ de compétences
en constante évolution, tout en développant de plus en plus de soft skills,
allant du travail collaboratif à la gestion en mode projet, en passant par la
capacité de bien communiquer en interne et en externe. Évidemment, la formation
au numérique est centrale dans nos programmes. Les legaltechs sont là et il est
indispensable que les juristes apprennent à travailler avec l’intelligence
artificielle. L’AFJE a beaucoup œuvré pour que la transformation digitale soit
perçue comme une chance et non une menace. Les juristes peuvent en profiter
pour rendre leur métier encore plus intéressant en déplaçant leur valeur
ajoutée sur les tâches les plus intéressantes. Et c’est vrai quelle que soit la
taille de leur entreprise ou cabinet. C’est pourquoi la formation initiale et
continue est si importante. Être un business partner créatif tout en sécurisant
les opérations des entreprises. Le juriste moderne est au cœur de la tension
entre les rôles de partner et gardien. Le métier de juriste est ainsi parmi les
plus excitants et glamour qui soient. Le juriste est un producteur de sens ! Lorsqu’on
parle de formation, nous pensons indispensable d’inclure la question de la
déontologie. Nous allons accélérer sur ce sujet aussi. L’AFJE dispose
aujourd’hui d’un comité de déontologie qui a corédigé un code pour la
profession. Ce comité va non seulement continuer à rendre des avis, mais aussi
faire en sorte que la déontologie soit un élément de la formation des juristes,
à la fois initiale et continue.
L’implication de
l’AFJE dans la rédaction des textes législatifs est-elle également un axe de
travail ?
Oui,
la fabrique du droit est notre troisième chantier important. Les juristes sont
particulièrement bien placés pour faire part de leur expertise dans la fabrique
du droit, le plus en amont possible, ce qui veut dire, par exemple, dès les
études d’impact. L’idée est aussi d’avoir une stratégie plus proactive en
travaillant sur les améliorations souhaitables du cadre juridique de
l’économie. Qui mieux qu’un juriste d’entreprise peut dire ce que sont les
malfaçons de la loi, les perfectionnements possibles et proposer des remèdes,
fondés sur son expérience, avec une vision précise et pragmatique.
Cette action
s’entend-t-elle au niveau européen ?
Bien
entendu. L’AFJE vient d’ailleurs d’ouvrir un bureau à Bruxelles, à 100 mètres du
Parlement. Cette volonté d’être ainsi présents auprès des institutions
européennes, en lien aussi avec l’ECLA (association européenne des juristes
d’entreprise), vise à renforcer la représentation de notre profession et de la
communauté des juristes. Faire évoluer certains sujets exige une approche
européenne et transnationale.
Vous menez
également des actions vers la société civile…
La
connexion de l’AFJE et de la société civile est essentielle. Je citerai ici le
développement de nos actions en direction de la diversité, celle-ci entendue
sous une approche globale et pas seulement de genre. L’égalité des carrières et
des salaires doit être une préoccupation constante dans notre univers
juridique. Les juristes ont beaucoup de choses à dire sur ce sujet et ce sera
une des priorités de notre mandat. De même, comme cela a été largement remonté
pendant le Grenelle, l’idée de promouvoir des actions pro bono a montré combien
la communauté des juristes se veut en phase avec les attentes de société.
Comment
souhaitez-vous développer ces actions pro bono ?
Nous
allons engager une réflexion en interne. Plusieurs administrateurs veulent
prendre en charge ce sujet. Nous allons examiner la façon dont nous pouvons
travailler avec le monde associatif, en symbiose, naturellement, avec les
avocats pour voir toutes les synergies possibles. C’est un sujet qui nous tient
à cœur et sur lequel nous devrions avancer rapidement. Des expérimentations ont
déjà eu lieu, certaines directions juridiques sont actives en ce domaine.
Êtes-vous
partisan de la grande profession du droit ?
À
nos yeux, la création d’une grande profession du droit est en réalité
inéluctable. La question n’est d’ailleurs pas de savoir si cette jonction
vertueuse va se faire, mais quand elle va se faire. Sur ce dossier, nous
voulons continuer de travailler en étroite harmonie avec les organisations
représentatives des avocats. C’est un enjeu qui n’est en rien corporatiste mais
bien une véritable opportunité tant pour la place et le rôle du droit dans notre
pays que pour la compétitivité du droit français. Ce qui bénéficiera à la fois
aux avocats et aux juristes.
Pensez-vous que
le juriste français est aujourd’hui dans une situation d’infériorité par
rapport à ses homologues internationaux ?
Oui,
il y a un risque de déséquilibre des forces et cela peut peser dans la
compétition internationale et parfois même intra-européenne. C’est pourquoi
nous plaidons pour que l’organisation française de nos métiers évolue en
cohérence avec la majorité des démocraties occidentales. Encore une fois, il
faut regarder ce sujet comme une opportunité pour l’attractivité et la
compétitivité de notre droit et, par voie de conséquence, celle des entreprises
françaises.
L’Europe a été
le thème du colloque de votre cinquantième anniversaire, pourquoi ?
Comment
ignorer, à cet instant, le rendez-vous que nous avons tous avec l’avenir de
l’Europe ? Rien de plus logique que de s’interroger sur la question de la place
du droit européen comme élément d’intégration de notre continent et de
compétitivité de nos entreprises et d’en faire l’objet d’échanges de très haut
niveau. Rien de plus nécessaire que de s’interroger sur la place de l’Europe
dans l’apparent désordre du monde. Nous savons tous que le droit est un outil
de diplomatie et un élément du dialogue entre les États. Dans un monde en
tension, alors que le multilatéralisme est remis en cause par certains et que
les questions de gouvernance internationale sont soumises à des incertitudes,
il est essentiel que l’instrument juridique fasse l’objet d’une réflexion
stratégique. C’est pour les juristes un champ d’action privilégié.
En termes de
souveraineté, comment l’Europe peut-elle faire entendre sa voix ?
Regardons
le RGPD, par exemple, qui s’impose comme un standard international en termes de
protection des données personnelles démontrant que l’Europe peut se faire
entendre. De même, on peut regarder avec attention le dialogue qui s’est établi
entre l’UE et les États-Unis sur le projet de règlement dit : «e-Evidence»
et le Cloud Act. Dans le même temps, il faut s’interroger sur le fait de savoir
comment l’Europe est en mesure de favoriser l’innovation sur son continent, en
produisant des régulations utiles sans brider la capacité d’innovation de son
industrie, les grands groupes, les PME, les start-up… ? C’est une réponse à
donner pour que l’Europe affirme sa voix dans le concert des Nations.
Propos
recueillis par Boris STOYKOV, Affiches Parisiennes pour Réso Hebdo Eco / www.facebook.com/resohebdoeco.