Loyauté des relations contractuelles : jusqu’où ?
Par un arrêt “Commune de Béziers” du 28 décembre 2009, le Conseil d’Etat décidait de limiter les irrégularités invocables par les parties à un contrat administratif. L’objectif tenait en ces mots : “stabilité des relations contractuelles”. On en tire aujourd’hui un premier bilan dont il n’est pas certain que les collectivités territoriales les plus concernées – nos 33 721 communes de moins de 3 500 habitants – auront pris la mesure1 .
Il en ressort ceci.
1. Devant le juge administratif, il est vain pour les parties à un contrat administratif d’en contester la validité en invoquant l’incompétence de ses signataires. Les règles du CGCT relatives aux délibérations, délégations, transferts de compétence et autres envois en préfecture, sont tenues pour rien. Leur méconnaissance n’affecte pas le contrat signé. À l’inverse, ces mêmes règles demeurent sanctionnées par le juge judiciaire appelé à examiner un contrat de droit privé de l’administration…
2. La violation des règles de passation de la commande publique n’émeut pas davantage le juge. S’il y voit une irrégularité, elle n’est pas telle, à ses yeux, qu’elle doive écarter l’application dudit contrat. La loyauté des relations contractuelles est à ce prix. L’article 432-14 du code pénal qui fait de l’attribution illégale d’un marché public un délit n’a pas, si l’on ose dire, ces pudeurs.
Certes, la jurisprudence Béziers réserve deux cas, mais si strictement interprétés qu’ils sont exceptionnels. Le premier a trait au manquement aux règles de passation ayant vicié le consentement. Ainsi du pouvoir adjudicateur démarché, n’ayant pas défini ses besoins et restant ignorant de la consistance exacte des prestations et de leur coût. L’autre hypothèse se rapporte aux contrats délibérément passés en méconnaissance des règles de la commande publique ayant valu à l’exécutif local une condamnation pénale. Dans ces deux cas, on ne reconnaîtra pas celui, pourtant fréquent, de ces petites communes visitées par d’habiles commerciaux n’ignorant rien du code des marchés publics… tout en voulant tout en ignorer. Au vu d’une brochure en couleurs et de conditions générales de ventes qu’il ne lira pas, l’agent signera de confiance un improbable bon de commandes. Le marché est passé. La commune n’en pourra plus sortir. L’arrêt “Béziers” a mis un terme aux excès que la jurisprudence n’interdisait pas aux parties de commettre. On s’en félicite. Cela justifie-t-il cette fuite en avant ? On nous objectera que, dès 2009, l’objectif était affiché. Mais de l’objectif au postulat, il y avait un pas dont le franchissement laisse perplexe. Depuis 2009, précise M. Moreau, “sur 160 affaires tranchées par les cours administratives d’appel ou le Conseil d’Etat, les parties demandant au juge que le contrat soit écarté en raison de son invalidité n’ont obtenu gain de cause que dans quinze cas”… Les contrats, nous dira-t-on, sont saufs. Mais à quel prix ? Car tout à sa volonté de préserver à toute force les relations contractuelles, la descendance de “Béziers” s’est faite, si l’on ose dire, hors la loi, voire contre elle. Dans ces conditions, tympaniser les élus locaux sur la valeur constitutionnelle des principes de la commande publique ou sur la hideur d’un vice d’incompétence en troublera plus d’un…
1. David Moreau, “Cinq ans d’application du principe de loyauté des relations contractuelles devant le juge administratif”, RJEP n°723, octobre 2014, étude 7.
Etienne COLSON,
avocat au barreau de Lille (contact@colson-avocat.fr)