L’Île aux fruits repense l’alimentation
Créée à l’été 2017, l’Île aux fruits à Amiens prône un changement de consommation globale, se servant de l’alimentation comme d’une porte d’entrée à une réflexion plus large. Maraîchage, marché, restauration, vente de paniers alimentaires… l’association amiénoise multiplie les initiatives.
« L’alimentation nous sert de porte d’entrée pour encourager un changement plus global. Mais pour ça, il ne fallait pas rester dans le concept, il fallait faire, avoir les mains dans la terre », explique Alexandre Cabral, coordinateur au sein de l’Île aux fruits. L’association s’articule autour de plusieurs activités : le maraîchage, une ferme pédagogique, un marché hebdomadaire, de la restauration à emporter – boutique et food truck -, des paniers à commander et une offre traiteur pour les événements professionnels ou associatifs. Toutes ont vocation à « reprendre la main sur notre consommation » en proposant des produits locaux, de qualité, issus de circuits courts, biologiques ou provenant d’une agriculture raisonnée.
Manger mieux
« Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une forte demande de convivialité, notamment de la part des familles qui avaient envie de se retrouver en toute sécurité avec leurs enfants. L’idée c’est aussi de mélanger des gens issus d’horizons différents unis par des valeurs communes », poursuit Alexandre Cabral. C’est ainsi que sont nés les “jeudis de l’Île aux fruits” sur une parcelle de la rue de Verdun, un quartier amiénois en pleine mutation, « entre la Somme et la voie ferrée, à proximité du centre-ville mais où les gens n’allaient pas ».
À l’image de la dynamique nationale qui se dessine depuis quelques années, le projet porté par l’Île aux fruits a aussi une vocation urbanistique et territoriale qui passe notamment par la réappropriation d’une friche. Là, moyennant une adhésion de deux euros par an et par famille, il est possible d’acheter fruits, légumes, fromages, bières, miels… des produits cultivés par les deux maraîchers de l’association ou provenant d’une soixantaine de producteurs partenaires. « On peut aussi venir déguster une planche apéritive, boire une bière ou juste venir écouter un concert », résume-t-il. Ce rendez-vous, qui peut accueillir certaines semaines jusqu’à 1 000 participants, agrège quelques 6 000 familles.
En plus de ce marché festif, l’Île aux fruits a souhaité dès l’origine intégrer un pôle maraîchage. « Nous voulions démontrer qu’il était possible de créer une activité économique viable en cultivant une petite surface. C’est exactement ce que l’on fait ici, sur cette parcelle de l’île Sainte-Aragone qui fait un peu moins d’un hectare et permet de dégager deux salaires », explique le coordinateur. Au bord de la Somme, Rémy et Mathieu, les maraîchers, épaulés par de nombreux volontaires, œuvrent quotidiennement, appliquant à la culture des légumes primeurs biologiques, les principes de la permaculture. Des denrées qui alimentent le marché mais aussi les paniers et la cuisine de l’Île aux fruits.
Un lieu global
« Au tout départ sur les marchés du jeudi nous offrions des produits à grignoter. La demande était de plus en plus forte, nous avons donc lancé des planches apéritives. Et puis nous avons été sollicités pour assurer la restauration sur certains événements comme le festival Arts et Jardins, la Fête dans la ville ou Minuit avant la nuit », détaille Alexandre Cabral. Pour assurer toutes ces prestations, l’association a décidé de se professionnaliser en recrutant un chef de cuisine et en investissant un local en plein centre-ville d’Amiens doté d’une cuisine. Ouverte tous les jours avant le confinement, la Cuisine de l’Île aux fruits propose des plats à emporter mais aussi des paniers à récupérer de façon hebdomadaire. « Nous faisons circuler une liste, les gens commandent en fonction de leurs envies, il n’y a aucune obligation d’achat », poursuit-il.
Pour compléter cette offre de restauration, l’association a investi dans un food truck qui se gare chaque midi en bas de la rue de La Vallée. Une activité elle aussi mise en sommeil après la crise sanitaire. « Notre objectif est de tout relancer en septembre. La période a été intense et difficile, aujourd’hui nous voulons vraiment nous concentrer sur ce qui fonctionne, gagner en temps et en efficacité », note le coordinateur qui évoque une envie de stabilité. « Tous nos projets ont été montés grâce à une incroyable énergie humaine qui est venue jusqu’ici compenser des solutions précaires », poursuit-il avant de parler des investissements à venir : chambre froide, conteneurs, matériels simples à installer et désinstaller… soit autant d’éléments qui pourraient faciliter le quotidien des organisateurs.
Trouver un lieu fixe capable d’accueillir les marchés l’hiver fait aussi partie des préoccupations des membres de la structure. « Nous avons toujours eu en tête de monter notre propre restaurant où l’on pourrait ouvrir plus d’un jour par semaine et qui pourrait s’inscrire dans le projet Gare La Vallée », rappelle Alexandre Cabral.
Apprendre, partager et transmettre
Depuis deux ans, c’est sur l’île Sainte-Aragone que fruits et légumes de l’Île aux fruits sont cultivés. En plus de Rémy, maraîcher historique de l’association, il y a Mathieu, venu remplacer le second professionnel de la terre qui avait des envies d’ailleurs. « En rentrant d’Espagne, où j’ai été professeur pendant trois ans, j’ai eu envie de changer de métier, c’est comme ça que j’ai développé l’envie de créer une micro-ferme sur des terres familiales dans le Pas-de-Calais », résume-t-il. « L’Île aux fruits correspondait parfaitement au modèle que j’avais en tête et que je souhaitais appliquer pour mon propre projet, je suis donc venu voir si je pouvais me former ici », poursuit-il. Après quelques mois, Mathieu tente une expérience de paysagiste avant de finalement réintégrer l’Île aux fruits en janvier 2018. « Rémy s’occupe plus de la coordination et de la commercialisation des produits, moi de l’entretien et de la planification des cultures », explique-t-il. L’équipe peut compter sur de nombreux volontaires qui viennent prêter main forte à l’occasion d’un stage ou sur leur temps libre, comme Thibaut qui a entendu parler de l’Île aux fruits par Alexandre. « J’ai tout de suite adhéré au projet, aux valeurs véhiculées », raconte-t-il. Professeur d’EPS, il a profité de cette période un peu particulière pour venir prêter main forte. « C’est un vrai plaisir pour moi de travailler la terre, il y a un côté nostalgique, je passais beaucoup de temps au jardin quand j’étais enfant », sourit-il.
Une pépinière pour accompagner les projets
Nourrie par l’éducation populaire et le partage, l’Île aux fruits a naturellement mis sur pied une pépinière d’initiatives. « Nous avons eu envie d’accueillir des gens qui portaient des mini projets, comme Julien et ses micro pousses ou un autre artisan qui vient de s’installer qui fait lui du kéfir. L’idée est de leur aménager un lieu où ils puissent expérimenter », résume Alexandre Cabral. L’Île aux fruits a noué de nombreux partenariats avec des structures comme la Machinerie et son programme Starter mais aussi Initiatives paysannes ou À Petits Pas pour offrir un portage juridique et administratif aux porteurs de projets. « Nous ne sommes pas là pour leur dire comment faire, mais pour leur proposer un lieu et leur apporter un support de communication, administratif ou encore les mettre en lien avec des restaurateurs ou des adhérents… ils peuvent rester six mois ou un an en fonction de leurs besoins », conclut le coordinateur.
Laisser passer la crise
« Le Coronavirus a été un sacré coup qui a beaucoup coupé la saison estivale, or c’est là que l’on fait notre meilleur chiffre. Nous avons perdu tous les festivals, mais aussi les gros marchés avec beaucoup de fréquentation. Nous allons peut-être pouvoir compenser un peu cet été mais tout reste incertain », s’inquiète Alexandre Cabral. Pendant le confinement les petites mains de l’Île aux fruits n’ont pourtant pas chômé, proposant chaque semaine des centaines de paniers alimentaires. Une initiative qui a rencontré un vif succès auprès des habitués mais aussi d’un nouveau public. « Nous allons sans doute conserver une partie de ces arrivants, mais nous ne savons pas vraiment dans quelles proportions », observe-t-il.