Lilas Allard, directrice de l'incubateur AgroTech à Willems : «Le monde agricole est en pleine transformation»
La filière agricole en Hauts-de-France ne cesse d'attirer des jeunes entrepreneurs désireux d'améliorer le quotidien des agriculteurs et des éleveurs à travers les nouvelles technologies. Face à l'explosion de l'utilisation des objets agricoles connectés, une révolution numérique est en marche. Lilas Allard, qui a pris les rênes de l'incubateur AgTech, antenne d'EuraTechnologies à Willems, en 2020, pose son regard sur une filière en plein essor.
La
Gazette : Comment se porte le marché de l'agriculture connectée
aujourd'hui ?
Lilas
Allard : A l'échelle mondiale, on constate une multiplication
des levées de fonds dans l'agtech et la foodtech. Les entreprises
lèvent beaucoup d'argent, à l'image notamment d'Insect qui a
dernièrement levé des millions. C'est une excellente chose. Dans
les Hauts-de-France, une des principales régions rurales de France, connue notamment pour ses grandes cultures et son élevage, le
constat est le même. Nous constatons l'arrivée massive de porteurs
de projets désireux d'améliorer la vie des agriculteurs et des
éleveurs.
En ce qui concerne les premiers stades de financement,
tout un écosystème propice est mis en place pour accélérer les
projets. HDFID, le fonds régional d'innovation, est un acteur
incontournable dans le développement des start-up agricoles en
finançant les premières phases de développement. La MEL et la
Région, à travers HDFID, accompagnent les porteurs de projets à la
fois sur le volet financier et formation. La région compte surtout
un grand réseau d'incubateurs à l'image de AgTech à Willems,
UniLaSalle à Beauvais ou encore Iterra à Compiègne. La filière
agricole régionale se porte très bien.
La
crise a-t-elle donné un nouveau souffle à la filière ?
Il
y a eu effectivement un gros boom d'entrepreneurs qui se sont lancés
avec la crise. Une prise de conscience générale a été constatée.
Beaucoup de gens ont voulu changer de vie, se sont davantage soucié
des questions environnementales, et nombreux sont ceux qui ont eu
envie de tenter l'expérience d'auto-entrepreneur. Pour les start-up
déjà lancées, il n'y a pas eu réellement d'impact.
Quelle
est l'origine d'AgTech et comment expliquez-vous sa réussite ?
Dans
le cadre de sa politique d'essaimage, EuraTechnologies Lille a lancé
une première antenne à Tourcoing, Blanchemaille, qui a été une
vraie réussite. C'est donc dans ce contexte que les antennes à
Saint-Quentin et à Willems ont été créées. Il existait plusieurs
start-up spécialisées dans l'agriculture de demain à
EuraTechnologies Lille, on sentait qu'il y avait réellement quelque
chose à faire dans la thématique agricole.
C'est ainsi qu'est né
AgTech à Willems, dans une ancienne usine textile laissée à
l'abandon. Cet incubateur-accélérateur de 1 000 m² est dédié à
l'agriculture et à l'élevage de demain mais aussi à la greentech
depuis peu (voir encadré). Willems était le lieu d'implantation parfait, une zone
rurale proche de Lille mais surtout au plus près du terrain et des
agriculteurs. La première promotion a été accueillie en 2019.
Depuis, AgTech a accompagné 65 projets et donné lieu à la création
de 35 entreprises. Nous accueillons une quarantaine de porteurs de
projets chaque année, la moitié va jusqu'à la création. Ce sont
les mêmes chiffres qu'à EuraTechnologies.
A
quels enjeux actuels répond AgTech ?
Le
monde agricole est en pleine transformation, c'est un milieu qui
évolue énormément et surtout dans le domaine technologique. On
garde l'image de l'agriculteur dans son champ avec sa fourche, mais
aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas : les agriculteurs sont
hyper connectés, il y a énormément d'innovations. Pour accompagner
cette transition, il était nécessaire de créer un écosystème à
part entière pour faire avancer la filière mais surtout reconnecter
les acteurs, les entrepreneurs qui ne viennent pas forcément du
monde agricole, les jeunes acteurs qui souhaitent innover mais qui
n'ont pas toutes les clés, tous les contacts pour aller à la
rencontre des agriculteurs et leur proposer des solutions adaptées.
Nous faisons le lien pour essayer de reconnecter le monde agricole du monde des auto-entrepreneurs. Les nouvelles technologies permettent de faire un bond. Elles viennent booster ce qui existe et répondent à de nombreuses problématiques auxquelles sont confrontés les agriculteurs aujourd'hui.
En
quoi AgTech représente-t-il un tremplin pour les start-up incubées ?
Au
sein de l'incubateur, les entrepreneurs ont accès à de nombreux
programmes mais aussi à un réseau d'experts, d'entreprises, parmi
lesquels des grands comptes, des avocats et autres métiers de la
filière. AgTech facilite la rencontre entre experts et
entrepreneurs, cela leur permet de gagner du temps sur leur
développement car on les rapproche des bons interlocuteurs et les
synergies ont très souvent lieu. Nous organisons également de
nombreux ateliers de codéveloppement pour permettre aux porteurs de
projets de franchir rapidement leurs étapes de développement.
Il
y a beaucoup d'entraide entre les start-up incubées et celles en
accélération. On constate au fil des années de plus en plus de
connexions entre AgTech, EuraTechnologies et ses antennes, particulièrement celle de Saint-Quentin, incubateur dédié à
l'industrie et la robotique, avec lequel de nombreuses passerelles se
créent, notamment autour des robots agricoles. En 2022, un agenda
sera mis en commun entre tous les sites, ce qui permettra aux
entrepreneurs d'avoir accès à tous les événements. La vraie force
d'AgTech, c'est tout cet écosystème qui gravite autour.
Quels
projets peut-on retrouver à AgTech ?
Nous
retrouvons majoritairement des solutions à destination de
l'agriculture, un petit moins vers l'élevage. Il s'agit
principalement d'outils d'aide à la décision, des services
numériques, des plateformes collaboratives comme le «Waze»
de l'agriculture par exemple. Pour en citer quelques-uns, Osiris
développe des robots qui gèrent automatiquement l'irrigation pour
les pommes de terre. L'agriculteur peut tout piloter à partir de son
téléphone et réduire sa consommation d'eau. C'est à la fois un
gain de temps et un gain d'argent. La start-up Alti, elle, est
spécialisée sur la problématique des produits phytosanitaires. A
travers l'épandage de précision, Alti apporte des bienfaits pour
l'environnement et une économie d'argent.
Les
jeunes se tournent de plus en plus vers l'agriculture. Y-a-t-il un
attrait ?
On
constate en effet que les questions environnementales se
généralisent. De plus en plus de jeunes porteurs de projets se
lancent dans cette thématique. Il y a un vrai boom des solutions
technologiques à destination des agriculteurs et des éleveurs.
L'enjeu est de nourrir une population qui ne cesse de grandir tout en
respectant l'environnement.
Aujourd'hui, l'agriculture n'a plus le même mode de fonctionnement qu'il y a vingt, trente ans... Les exploitations sont beaucoup plus grandes, on assiste à de plus en plus de reprises d'exploitations. Les agriculteurs sont en moyenne plus jeunes et donc naturellement plus intéressés par les nouvelles technologies. Il y a de moins en moins d'agriculteurs réticents, tous sont quasiment connectés aujourd'hui, ce qui facilite l'essor des solutions innovantes.
Quelles
sont les principales difficultés rencontrées par les
entrepreneurs ?
La
plus grande difficulté à laquelle fait face l'entrepreneur, c'est
de tester sa solution sur le terrain. Trouver un panel d'agriculteurs
pour tester sa solution relève d'un défi aujourd'hui. Il peut être
également compliqué de trouver les premiers financements pour
obtenir les premiers prototypes. Mais tout cela se développe de plus
en plus.
Les
start-up de la filière agricole régionale ont-elles des
perspectives internationales ?
Beaucoup
de projets ne doivent pas se limiter à la France et pourraient
totalement avoir leur place dans d'autres pays d'Europe, notamment
les pays d'Europe de l'Est où il existe un vrai vivier de
compétences. Des passerelles peuvent voir le jour, nous sommes tous
gagnants à faire voyager ces innovations. L'un des principaux enjeux
est de donner les clés aux entrepreneurs pour pouvoir se développer
à l'international.
Etes-vous
confiante pour l'avenir de la filière agricole en région ?
Je
suis vraiment confiante pour l'avenir de la filière d'autant plus
que la collaboration avec l'Europe avance. Il y a un vrai besoin
d'innover dans ce domaine, qui est plus que jamais dans l'air du
temps. Il y a énormément de problèmes au quotidien à résoudre
pour les agriculteurs et éleveurs. Lorsqu'on a une idée, il ne faut
pas hésiter à se lancer car tout un écosystème est mis en place
pour faire émerger de nouvelles solutions innovantes. Notre
programme d'incubation est très dense, notamment les trois premiers
mois avec beaucoup de contenus (bases, business plan,
concurrence...), beaucoup de rencontres pour accompagner ces porteurs
de projets. Ils ont ensuite les clés pour accélérer.
Un label dédié aux start-up
Depuis 2020, AgTech est labellisé "Green Tech Innovation" par le ministère de la Transition énergétique et fait désormais partie du réseau des incubateurs spécialisés dans la thématique greentech. «Le but est de promouvoir nos start-up à l'échelle nationale, les intégrer à ce réseau et leur apporter plus de solutions», indique Lilas Allard. Les entrepreneurs de la filière peuvent également postuler au label "Greentech" spécialement dédié aux start-up.