Transports urbains
Les trottinettes se cherchent une (bonne) réputation
Sèchement évincés de la voirie parisienne par les électeurs le 2 avril, les opérateurs de trottinettes en libre-service restent présents dans 200 villes en France. En outre, la trottinette personnelle régit les déplacements quotidiens de 2,5 millions d’usagers. Le gouvernement plaide pour la régulation plutôt que pour l’interdiction.
Les trottinettes électriques ont mauvaise réputation. Depuis leur apparition dans les villes à la fin des années 2010, on les accuse d’être encombrantes, dangereuses et polluantes, tandis que leurs usagers se comporteraient systématiquement comme des chauffards. Les citadins se souviennent encore de l’invasion des trottoirs par des engins multicolores déposés par les chauffeurs de camionnettes polluantes, au service de start-up gonflées aux levées de fonds, vers 2018. La votation parisienne du 2 avril, même si elle n’a mobilisé que 7,5 % du corps électoral, traduit ce sentiment général. 89 % des votants ont arbitré contre les 15 000 trottinettes en libre-service, conformément à ce que souhaitait la maire Anne Hidalgo (PS). Avant ce scrutin, les trois opérateurs, Dott, Lime et Tier, n’avaient pas totalement abandonné les méthodes sulfureuses qui alimentent leur image négative. Plusieurs semaines avant le vote, Lime offrait dix minutes de «ride», c’est ainsi que la société californienne appelle un trajet, à toute personne prouvant son inscription sur les listes électorales de la capitale. Durant les derniers jours de la campagne, Dott et Lime rémunéraient des influenceurs priés de promouvoir, sur Tik Tok ou Youtube, les avantages de la trottinette en libre-service, et d’inciter au vote. L’opération n’était pas illégale, mais on peut imaginer le tollé si une entreprise multinationale utilisait les mêmes procédés pour influencer les électeurs. L’enjeu posé par les déplacements en trottinette dépasse de loin le microcosme parisien. 750 000 trottinettes électriques ont été vendues en 2022 à des particuliers, s’ajoutant aux 900 000 exemplaires écoulés en 2021. Dans le centre de Mâcon, sur les pistes cyclables du Havre, dans les rues de Blois, on croise de nombreux usagers, droits comme un I, qui se sont approprié la trottinette comme moyen de transport. Au fond, il se reproduit, au ras du trottoir, une énième version de la rivalité surjouée entre «Paris» et «la province». Dans la capitale, les trottinettes en libre-service sont évincées tandis qu’ailleurs, elles servent à des déplacements quotidiens. 2,5 millions de personnes utiliseraient régulièrement la trottinette électrique pour se déplacer en France, estime le ministère des Transports. C’est au nom de ces usagers, souvent ignorés, parfois moqués, que Clément Beaune a présenté un «plan national» de régulation, le 29 mars. En prenant ses fonctions, en juillet 2022, ce sujet lui «apparaissait comme secondaire», a reconnu le ministre des Transports. Puis, en rencontrant des élus, des usagers, mais aussi des familles de victimes d’accidents, il a été frappé par «les opportunités qu’elles représentent». L’un des enjeux des trajets en trottinette reste celui de la sécurité. En 2022, 34 décès en «engin de déplacement personnel motorisé» (EDPM), une catégorie qui inclut également les monoroues ou les skate-boards, ont été déplorés.
Chaque mode de transport a été régulé
Le plan ministériel, élaboré après consultation des élus, des distributeurs, des opérateurs en libre-service ou d’associations engagées contre la pollution atmosphérique, contient une série de mesures restrictives. L’âge minimum d’usage d’une trottinette électrique est relevé de 12 à 14 ans. Les amendes pour comportement dangereux, comme le fait de rouler sur un trottoir ou de monter à deux sur un engin, passent de 35 à 135 euros. L’absence de gilet réfléchissant, de nuit, est désormais passible de sanctions. Les véhicules commercialisés devront être équipés de clignotants. Le ministre a aussi annoncé la création d’un Observatoire de la micromobilité chargé de «produire de la connaissance» en matière d’usage, d’impact environnemental et d’accidentologie. Il a regretté que les jugements portés sur les trottinettes se basent «encore sur les fantasmes, et pas assez sur les faits.» Les opérateurs du libre-service n’ont pas été oubliés. Les représentants des huit entreprises installées dans 200 villes de France ont signé une «charte d’engagements» par laquelle ils promettent de brider la vitesse des trottinettes, d’interdire à leurs usagers de stationner en-dehors de zones réservées ou de recycler les véhicules et les batteries. Ces instructions font partie des engagements que la plupart des villes, y compris Paris jusqu’à dimanche dernier, imposent aux opérateurs. Les règles imposées aux usagers des trottinettes électriques ne sont pas incongrues. Comme le montre l’histoire des mobilités, chaque moyen de transport est passé par une phase de rejet, suivie d’une régulation et d’une acceptation. La circulation automobile, qui s’est imposée dans les villes au début du 20e siècle, avait été encadrée par le Code de la route, en 1921.