Les tribunaux de commerce en arrêt juridictionnel
Entamé le 8 décembre 2014 et suspendu au bout d’une semaine, le mouvement de suspension d’activité des tribunaux de commerce a repris le lundi 11 mai 2015. Explications avec Eric Feldmann, président du tribunal de commerce de Lille Métropole.
«Nous n’avons été ni écoutés, ni entendus, mais méprisés.» Les juges n’ont guère apprécié l’attitude de l’Assemblée nationale qui ne veut absolument pas tenir compte des amendements proposés par le Sénat. Pas davantage, d’ailleurs, celle de Bercy et de la place Vendôme auprès de qui la Conférence générale des tribunaux de commerce a tenté de se faire entendre. «Rien n’y a fait. M. Macron reste absolument inflexible et campe sur ses positions.»
Mépris et arrogance. «Puisqu’on nous traite avec un mépris et une arrogance absolument invraisemblables, alors que nous étions plutôt enclins à une certaine souplesse», les 3 200 juges consulaires des 134 tribunaux de commerce ont décidé de reprendre leur mouvement de suspension d’activité à compter du 11 mai 2015, comme annoncé le 6 mai par Eric Feldmann, président du tribunal de commerce de Lille, relayant un communiqué de la Conférence générale des juges consulaires de France diffusé la veille.
«Les affaires seront appelées au tribunal par un juge de permanence en robe qui, en présence d’un greffier, indiquera que l’affaire est reportée sine die et que les préjudiciables seront convoqués par lettre recommandée en temps et en heure lorsque les tribunaux reprendront leurs activités», a-t-il détaillé.
Pourquoi donc ce mécontentement ? Depuis l’origine, les juges consulaires, tous bénévoles issus du monde de l’entreprise, sont dans la dénonciation du projet de loi «pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques», dite loi Macron. En décembre 2014, ils avaient fait part de leurs griefs (La Gazette n° 8704 du 12 décembre 2014, p. 12 et 13). Ils indiquent cette fois avoir «en réalité été traités avec dédain et arrogance» par Bercy qui “a en effet décidé unilatéralement de transférer vers huit tribunaux de commerce seulement les dossiers d’entreprises employant au moins 150 personnes». Ils protestent ne pas avoir été entendus dans leurs propositions de relèvement du seuil de déclenchement de ce transfert à 250 salariés, de maintien au niveau local des mesures de prévention quelle que soit la taille de l’entreprise concernée et d’instauration, a minima, d’un voire plusieurs tribunaux accessibles à ces entreprises par ressort de cour d’appel.
Le souci de la proximité. «La proximité et la connaissance du tissu économique de terrain sont fondamentales, argumente Eric Feldmann. Un premier degré de juridiction, qui serait en quelque sorte en première écoute, serait mieux à même de régler les problèmes, notamment en prévention des entreprises en difficulté.» Et de craindre une procédure qui ne respecterait plus l’indispensable confidence et surtout la facilité à terme de pouvoir nommer huit juges professionnels pour présider ces tribunaux spécialisés : «On arriverait ainsi à l’échevinage1, ce qui entraînerait un désintérêt profond des juges consulaires pour leur mission.»
Eric Feldmann redoute aussi qu’une fois le projet de loi voté, les décrets d’application qui suivront ne fassent l’objet d’une palanquée de questions prioritaires de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel et de questions préjudicielles devant la Cour de justice de l’Union européenne. «Ce texte est un texte qui a été pris à la hâte, sans la moindre étude d’impact, ni la moindre concertation. A Bercy, ils savent tout…», résume Eric Feldmann.
Sur la spécialisation des tribunaux, les sénateurs avaient eu une bonne écoute des doléances des juges consulaires, qui avaient restreint la possibilité de délocaliser les dossiers les plus importants en relevant le seuil à 250 salariés. Mais le gouvernement n’entend pas dévier de son projet. Le communiqué de la Conférence nationale est clair : «Le ministère de l’Economie, arc-bouté sur la certitude d’avoir raison, est resté sourd (…) et a délibérément opté pour une justice indifférente et lointaine au détriment de cette approche attentive et volontariste au service des entreprises et de l’emploi.»
Combien de temps peut durer ce mouvement de grève ? Le précédent, en décembre 2014, avait été levé au bout de quatre jours après l’annonce du ministère de l’Economie de renoncer à une réforme de l’échevinage. La suspension est annoncée «illimitée».
1. Le fait d’avoir des formations de jugement composées de juges professionnels et non professionnels.