Les professionnels des travaux publics espèrent tout des grands chantiers
Avec 3 500 emplois perdus et une chute de plus de 4% des investissements publics, l’année 2015 a été celle d’un recul sévère pour tous les secteurs des travaux publics. Une crise au centre d’un débat.
Travaux publics ! On imagine mal tous les métiers que cache ce vocable attrape-tout évoquant immédiatement les ponts et chaussées mais qui, en fait, recèle une immense diversité de savoir-faire et donc concerne une grande variété d’entreprises. Longtemps préservé par un niveau resté haut et stable des investissements publics, le secteur est touché de plein fouet par la crise depuis que les collectivités ont dû réduire de manière drastique leurs investissements. En effet, les premiers clients des TP sont les collectivités locales dont les élus avaient fait du maintien de l’investissement et des équipements, une ligne de résistance.
Cette ligne a cédé devant la baisse des dotations. Car les finances locales sont sous perfusion des dotations de l’État, notamment pour celles des collectivités qui n’ont pas de levier fiscal, les départements et les régions. Les communes restent pour l’instant un peu à l’abri de cette baisse des investissements. Pas étonnant que l’investissement public eût été au centre des débats de la grand-messe réunie récemment à la salle Caroni à Marcq-en-Barœul, à l’initiative de la Fédération régionale des travaux publics.
Alain Sur, président de la FRTP Nord − Pas-de-Calais, a ouvert la matinée avec quelques chiffres éloquents, notamment celui de 3 500 disparitions d’emploi pour l’ensemble des entreprises du secteur. Une telle suppression d’emploi est quasi invisible alors qu’elle correspond à un licenciement massif : “3 500 emplois, c’est 60% des emplois de Toyota.“
Hémorragie silencieuse. Il suffit qu’une grosse entreprise supprime une ou deux centaines d’emplois pour faire les gros titres. En revanche, 3 500 emplois volatilisés en une année, personne ne le voit, personne ne le dénonce. Tel fut l’argument de choc qui conforta l’assemblée dans son constat. Les entreprises ne voient pas en rose l’avenir immédiat, avec l’annonce d’une mauvaise année 2016, “une année de grandes difficultés“. “L’absence de visibilité ajoute de la crise à la crise“, souligne Alain Sur, président de la FRTP.
Alors que faire ? Les professionnels attendent beaucoup de la relance des grands chantiers, au premier rang desquels on trouve bien sûr Seine-Nord. Bien plus que le simple terrassement, la réalisation d’un tel ouvrage donne du travail à toute la filière, jusqu’aux entreprises d’équipement ou d’électricité par exemple. C’est tout le génie civil qui est concerné par une telle réalisation dont les entreprises espèrent, enfin, un démarrage réel en 2017.
Ils espèrent que la région sera en première ligne et énumèrent les grands chantiers attendus : liaison Lille-Lesquin – centre-ville ; troisième gare de TGV ; liaison Creil-Roissy ; RN2, RN31, RN42, RN19. Ils portent une attention toute particulière au problème de l’A1.
L’évolution des métiers devrait apporter une embellie si l’investissement redémarre mais cela demande un effort d’investissement et de formation. “Il faut prendre en main notre destin, car les ouvrages désormais seront intelligents et vertueux.” Et de citer les cellules photovoltaïques dans les revêtements ou les biobitumes sans pétrole. Cela concerne les grandes écoles, les lycées et les IUT dans une région particulièrement dynamique dans ce domaine.
Seine-Nord : pas seulement 106 km. La future liaison est bien entendu au centre de tous les débats. “Ce n’est pas seulement Seine-Nord, c’est Seine-Escaut. Pas seulement 106 kilomètres.” Les intervenants ont gardé en travers de la gorge la façon dont Le Havre a tenté de torpiller le projet pour tirer vers son territoire les investissements : “Il a été choquant qu’un territoire français puisse envisager son développement en empêchant le développement d’un autre territoire.” Ceci est d’autant plus une hérésie que Seine-Nord est considéré comme un élément dynamisant de l’estuaire de la Seine.
Seine-Nord n’est pas que le creusement d’un long fossé dans la plaine, c’est également des plates-formes et des infrastructures avec des retombées sur les implantations industrielles. Toutes las branches s’interrogent sur les retombées et se demandent si elles pourront travailler sur ce canal où interviendront quatre grands secteurs et donc quatre grandes maîtrises d’ouvrage. Car bien des questions restent en suspens et semblent compromettre un démarrage en 2017. “Quand va-t-on avoir les directives pour les mouvements de terres ?“
Les constructeurs, les électriciens, les terrassiers, tous s’interrogent. Ils ont pu obtenir quelques apaisements. “De tels ouvrages apportent une haute valeur ajoutée européenne. Il absorbera 40% du flux fluvial des Etats membres et 10% du ferroviaire. Ce corridor sera connecté au reste du monde par Le Havre et Dunkerque, et par ses liaisons avec la Seine et l’Escaut.“
Le Nord − Pas-de-Calais – Picardie peut espérer 35% des retombées, le reste allant à Champagne-Ardenne, Alsace, Lorraine puis à l’Ile-de-France et à la Normandie. Mais le canal est donc avant tout européen avec cinq offres de partenariats européens. Le premier concerne les terrassements avec 20 millions de mètres cubes de déblais supplémentaires pour lesquels l’enquête publique modificatrice est achevée. Le second, l’élargissement des infrastructures existantes ; le troisième, l’escalier d’eau sud, avec trois écluses et un bassin réservoir ; le quatrième, le bief de partage ; et le cinquième, deux grandes écluses de 25 mètres de chute. Pour tout cela, il faut une coordination par un marché d’AMO, un marché de maîtrise d’œuvre transversal et bien sûr un enjeu pour VNF car l’étanchéité doit être parfaite avec une fuite réduite à 1,2 m3 par seconde. Un défi sur de tels ouvrages. Ajoutons à cela l’intégration architecturale et paysagère et nous aurons une idée des défis lancés à la profession, aux professions plutôt.
Tout le monde est concerné. Les marchés seront passés en 2016-2017. Quatre grands secteurs sont concernés : la construction, les services et les transports, la batellerie et le paysage et le tourisme. Ce dernier n’est pas anecdotique, car le tourisme industriel a le vent en poupe et se structure. Le chantier Seine-Nord devrait devenir une destination avec des retombées d’emploi importantes dans tous les métiers du tourisme.
Et 5 000 emplois directs sont prévus sur le chantier, sans compter les emplois indirects comme les médecins du travail. Il est probable que les retombées sur l’hébergement et le tourisme soient actuellement sous-estimées. La grande question est de savoir comment ces emplois profiteront à la région, car les appels d’offres sont, bien évidemment, européens. D’ores et déjà, il faut mobiliser les métiers dans le terrassement et la gestion des dépôts, l’étanchéité, la logistique. Sans oublier les énergies renouvelables dont l’objectif est de 70 GW/h, pour 35 actuellement. Au long du canal, il faut penser photovoltaïque et éolien, mais aussi stockage de l’énergie. “Nous sommes au cœur de la transition énergétique et de l’économie circulaire.“
Au bout de la chaîne, il y a Paris qui doit structurer une utilisation du canal en vue des JO et de l’Expo universelle. “Il y aura un après-chantier pour structurer une offre de construction autour du canal.” La première étape est donc de lancer la société de projet car il y a 60 ponts à construire, envisager le péage, mobiliser les carriers du Boulonnais et penser à les relier par le rail et la voie d’eau. Même s’il y a 2 Mds€ de financement européen sur Seine-Nord, ce grand chantier ne doit pas occulter la difficulté de financement des travaux publics en France. Telle fut la conclusion de cette partie du débat.
La commande publique. Au cœur du problème de financement des TP, on trouve bien entendu les collectivités, reines de la commande publique. L’observatoire de la commande publique a enquêté en questionnant 1 800 donneurs d’ordre… et en n’obtenant que 300 réponses. Les communes représentent le tiers des travaux réalisés par l’ensemble des collectivités, mais n’ont envoyé que 19% des réponses. “Les collectivités hésitent à communiquer sur leurs projets.“
Alors il faut créer un lieu où se retrouvent les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre et les entreprises pour tirer des enseignements collectivement. “Les maîtres d’ouvrage ont besoin d’entreprises qui vont bien. Il faut donc créer une dynamique maître d’ouvrage-maître d’œuvre.” Pour autant l’horizon n’est pas rose car, depuis quatre ans, on a constaté une baisse de 20% des capacités d’épargne des collectivités. Un fait nouveau est venu s’ajouter avec la baisse des recettes consécutive à la baisse des dotations. “Ce n’est qu’un début.” Il faut donc freiner les dépenses avec une marge de manœuvre limitée, puisque les dépenses de fonctionnement sont des services à la population. La conséquence est directe sur l’investissement. Pour les communes, la baisse a été de 20% en deux ans, avec un retour au niveau de 2000-2001. Le ralentissement est pressenti jusqu’en 2018-2019. La situation du Nord − Pas-de-Calais n’est pas des plus réjouissante, car 27% de la population vit dans des collectivités à santé financière moins favorable. Non pas qu’elles sont trop endettées, mais plutôt à cause d’un niveau d’épargne faible.
Les collectivités ont une voie de rebond par la Caisse des dépôts et consignations qui peut financer des projets sur des durées de 40 à 50 ans, voire 60. “La Caisse arrive pour suppléer des difficultés.” Elle cherche aussi des modèles économiques privé-public. “Il faut que les collectivités apprennent à être de moins en moins maître d’ouvrage, car si les finances baissent, les besoins restent.” Et tant qu’il y aura des besoins, il y aura du travail pour les entreprises de TP.