Les priorités d'ArcelorMittal

« La France ne pèse plus qu’1 % de la production mondiale d’aciers ».
« La France ne pèse plus qu’1 % de la production mondiale d’aciers ».

En France, ArcelorMittal, c’est la quasi-moitié des employés du secteur et la totalité de la production française de fonte. Issu de plusieurs périodes de restructuration de l’industrie française, le groupe indien a fusionné avec le Français en 2006 dans une séquence où l’évolution de la consommation d’acier donne «plusieurs analyses divergentes» selon le rapport qu’en faisaient les hauts-fonctionnaires de Bercy en juillet dernier. «La consommation d’acier étant particulièrement liée à l’activité économique, les incertitudes sur l’évolution du PIB européen affectent fortement ces prévisions», lit-on dans ce document de 100 pages. En clair, la santé de Mittal et ses velléités à réduire ses effectifs sont liés à la situation économique générale de l’Europe, renvoyant la responsabilité aux politiques des Etats, en particulier à celle de la France… L’organisation spatiale d’ArcelorMittal dans l’Hexagone donne des sueurs froides au gouvernement. Avec trois sites majeurs (Fos-sur-Mer, Florange et Dunkerque), le sidérurgiste estime prioritaires les sites portuaires. Explication : «Les sites maritimes sont plus récents et furent conçus pour certains dans une phase d’expansion importante de la demande. Ils disposent donc d’outils plus grands, leur permettant des productions plus économiques. A titre d’exemple, le site de Dunkerque peut produire environ trois fois plus de fonte que celui de Florange», expliquent les experts de Bercy. De quoi inquiéter les 30 000 personnes qui travaillent dans le secteur et les 15 000 autres qui gravitent autour de la sidérurgie, dont la production a peu évolué depuis 30 ans mais a gagné en productivité au fil de l’érosion des effectifs.

CAPresse 2013

Le siège d’ArcelorMittal Atlantique à Grande-Synthe.

Produits et marchés. Qualité des aciers et diversité de leurs domaines d’application, c’est dans le détail de la production que réside la valeur marchande des aciers de Mittal. Globalement, l’acier reste compétitif par rapport à d’autres matériaux pouvant jouer le même rôle dans l’industrie automobile, la construction, les biens de consommation courante, l’emballage… «A ce titre, l’acier est le métal le plus utilisé, représentant 95% du tonnage annuel de métaux produits mondialement» font remarquer les rédacteurs du rapport. Il se décline dans trois catégories : au carbone, inoxydable ou spécial. Le premier est le plus commun et sert à la plupart des usages ; le second est plus complexe et coûteux. Quant aux aciers spéciaux, ils entrent dans des marchés plus petits, plus spécifiques et à plus forte valeur ajoutée. Deux filières président à la production de ces aciers : la filière fonte permet une parfaite maîtrise de la composition des produits ; la filière électrique retraite des ferrailles, source d’impureté dans l’acier final. Les coulées continues finissent en brames qui, laminées, forment des plaques, des tôles, des feuillards et billettes… Les aciers plats ou longs sont les deux grandes familles de produits qui provenaient de Florange et qui sortent toujours de Dunkerque. C’est sur ce marché que s’exerce la plus vive concurrence, notamment en Asie.

Concurrence asiatique. En 2011, la production mondiale d’acier s’établissait à 1 526 millions de tonnes (+ 6,8% par rapport à 2010). En France, elle avoisine 16 millions de tonnes/an. Fin 2012, son niveau se situait 18,9% en dessous de celui de 2007. L’an dernier, la production a baissé de 1,1 %, à 15,6 millions de tonnes. Le premier semestre était positif (+ 3,4%), la fin d’année subissant une dégringolade (- 12,5% pour certains aciers). Le décrochage entre production mondiale et française vaut aussi pour l’Europe. En cause, le «développement fulgurant de la sidérurgie chinoise» pointe le rapport. Entre 1989 et 2009, la Chine est en effet passée du 4e au 1er rang mondial. Sa production a quasiment décuplé en dix ans. «Dans le même temps, la France passait du 9e au 15e rang mondial.» L’acier français représente aujourd’hui 1% de l’acier mondial, loin derrière la Chine et son appétit de minerais. Conséquence : la demande de matières premières croît considérablement, entraînant la hausse des prix que Mittal et la concurrence chinoise doivent absorber. Sauf que «la croissance de la production chinoise entre 2001 et 2011 représente 85% de la croissance mondiale de la production d’acier sur la même période». La Chine préempte régulièrement les ressources minières pour poursuivre sa cadence. L’augmentation de la demande a rendu les opérateurs miniers plus attentistes et les contrats se font désormais au trimestre pour pouvoir réévaluer les prix plus vite. Le rapport constate aussi une tendance lourde : la marge des sidérurgistes est passée ces 15 dernières années dans les profits des producteurs de minerais. Le marché du minerai crée désormais plus de valeur que l’acier. «Les trois plus gros acteurs du secteur minier affichaient déjà en 2005 (et depuis plusieurs années) des marges d’EBITDA significativement supérieures à celle du secteur sidérurgique, notent les experts. Cette tendance s’est accélérée drastiquement depuis 2009, à partir d’une situation en 1998 où plus de 90% de la marge par tonne d’acier était captée par le secteur sidérurgique. Les proportions se sont totalement inversées et les producteurs de minerai capteraient en 2011 plus de 80% de la marge par tonne d’acier.» Présent dans ce secteur pour assurer ses approvisionnements, Arcelor veut porter sa capacité de production de minerai de 54,1 à 100 millions de tonnes d’ici 2016. Au détriment d’investissements dans ses sites sidérurgiques ?

«Toute disparition risque de s’avérer irréversible».

CAPresse 2013

La France ne pèse plus qu’1% de la production mondiale d’acier.

Ainsi, «les priorités stratégiques font peu de place à la sidérurgie européenne» selon les experts de Bercy. Dans le rapport d’activité du groupe, les cinq objectifs du groupe se résument à la santé et la sécurité du personnel, le maintien et l’amélioration de la compétitivité/coût, l’accroissement de la ressource minière, le renforcement du bilan par la réduction de la dette (voir ci-contre), les opportunités de croissance sur les marchés émergents. Et Bercy de s’inscrire en faux contre cette stratégie affichée malgré un constat réaliste : «La sidérurgie étant une industrie qui nécessite à la fois des capitaux élevés et une accumulation de compétences fortes, il est très improbable qu’une nouvelle implantation d’une filière liquide soit envisageable, même dans le cas d’une reprise forte de la demande, compte tenu de l’importance des ressources humaines et financières à mobiliser. L’échec de Thyssen Krupp Steel dans la création d’une entité sidérurgique au Brésil en est une démonstration. Toute disparition risque de s’avérer irréversible. Dans cette optique, il existe un intérêt stratégique pour la France à conserver les trois unités de production existantes dans la filière liquide.» Un impératif économique industriel et géopolitique…

 

 

 

ArcelorMittal, un groupe contrasté…

 Issu de la fusion de plusieurs entités successives, et premier producteur d’acier mondial, ArcelorMittal emploie 260 000 salariés (dont un gros tiers dans l’Union européenne) et avoisine un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars réalisé dans 60 pays. Son actionnariat est composé de la famille Mittal (41% des droits de vote), du gouvernement du Luxembourg (2,5%) et d’investisseurs privés individuels et institutionnels. Son positionnement géographique est axé sur l’Amérique du Nord et l’Europe (62% de la production d’acier du groupe) à cause, entre autres, de sa spécialisation en Europe sur les produits plats. Sa capacité de production est très large : 63 hauts-fourneaux, dont 25 en Europe, et 49 fours électriques dans le monde. ArcelorMittal produits des aciers plats (66%) et longs (32%). Une filiale rassemble ce qui reste de sa production d’acier inoxydable. La stratégie du groupe est d’alléger le poids de sa dette (22,5 milliards de dollars fin 2011). En dépit de cession d’actifs importants, la dette s’est alourdie «en raison de la réduction des cash flow, de pertes de change et de versement de dividendes à hauteur (…) d’environ 1,2 milliard d’euros». La capitalisation boursière du groupe s’établissait pourtant l’été dernier au même niveau que sa dette.

… mais qui reste très rentable

 ArcelorMittal va bien. Conjoncture ou pas, le groupe gagne de l’argent. Son excédent brut d’exploitation en 2011 affichait plus de 10 milliards de dollars (sur un chiffre d’affaires de 95 milliards de dollars). Sur le premier semestre 2012, il excédait 4,4 milliards de dollars… En 2011, les dividendes versés représentaient la modique somme de 1,19 milliard de dollars. Pourtant, depuis la fusion avec Arcelor, les échanges extérieurs d’acier français sont passés d’un solde de 1,7 million de tonnes à 82 000 tonnes en 2011.