Les ports régionaux sous "nouveau pavillon"
C'est fait et c'est historique. La Délégation de service public (DSP) qui octroie la gestion des ports à la CCI régionale a été voté à la quasi unanimité au Conseil régional le 19 décembre dernier. Elle permet le déblocage du projet Calais port 2015 et des investissements afférents au port de Boulogne-sur-Mer. Près de 900 millions de dépenses sont prévus.
L’histoire portuaire de la Côte d’Opale retiendra que Boulogne-sur-Mer et Calais ont été mariés à Lille par des élus unanimes malgré des enjeux différents selon les territoires. Un dossier compliqué, entre Frédéric Cuvillier qui boycotte le conseil portuaire, Natacha Bouchart, la sénatrice-maire de Calais,Jacques Gounon, PDG d’Eurotunnel, qui a fait savoir qu’il pourrait attaquer cette DSP pour cause de distorsion de concurrence, et le port de Dunkerque qui s’écarte du dossier (passant de 5 % à 1% de parts sociales dans la société portuaire chargé de la mise en œuvre du projet). Tout ceci a fait perdre un temps fou à un projet qui s’est calé sur la réforme portuaire de l’Etat qui avait attribué à la Région la gestion des ports de Calais et Boulogne-sur-Mer. Une étude juridique interne avait ainsi conclu qu’un appel d’offres ouvert et international pour le projet d’agrandissement n’était pas obligatoire (c’est sur ce point d’ailleurs qu’argumente Jacques Gounon). Avec la procédure, rassurante, d’une Délégation de service public, seule la CCI régionale postulait alors…
Montage financier. Aujourd’hui, après deux reports, le Conseil régional a décidé “de désigner comme concessionnaire (…) le groupement conduit par la CCI Côte d’Opale, la CCI régionale, la société Meridiam, la société CDC infrastructures”. La collectivité s’est aussi engagée financièrement dans une convention quadripartite avec une première subvention de 270 millions d’euros. Le montage se résume ainsi : le Conseil régional attribue la concession à la société d’exploitation (formée par les quatre partenaires cités ci-dessus) qui confie le projet de Calais port 2015 à une société de projet (majoritairement détenue par Meridiam et CDC infrastructures) qui s’endettera pour réaliser les travaux qu’elle aura confiés à un “concepteur-réalisateur” : Bouygues. Ce dernier, chef de file d’un “groupement momentané d’entreprises solidaires”, effectuera pour 652 millions d’euros de travaux au port de Calais : nouvelle digue de protection (3 km), création d’un nouveau bassin (110 ha) et de terre-pleins, réalisation de trois nouveaux postes pour les ferries, allongement d’un poste Ro-Ro, construction d’une nouvelle gare maritime, de nouveaux bâtiments et aménagements divers (notamment un embranchement ferroviaire). Au total, le besoin financier avoisinera les 888 millions d’euros (dont 98 en frais financiers)… Sans oublier les 250 millions que le port de Boulogne-sur-mer a su obtenir de ce mariage.
Impacts économiques et financiers. Certes, les financements publics devront être à la hauteur d’un tel projet : le Calaisis (Ville et Agglomération) apporteront 12 millions d’euros ; le Département s’est engagé pour 25 millions d’euros ; l’Europe, pour 90 millions ; l’Etat, pour 100 millions ; et la Région, pour 270 millions. Les établissements financiers devront quant à eux apporter plus de 500 millions d’euros en emprunts auprès de la société de projet qui bénéficiera de 92,6 millions de fonds propres amenés par ses actionnaires (Meridiam et CDC infrastructures). Des milliers d’emplois dépendent de ce projet : de 2 000 à
3 000 semblerait-il, pendant les cinq années de travaux, puis en exploitation pure… Des clauses d’insertion sont prévues (180 000 heures) et un plafond de travailleurs détachés doit être défini afin que les retombées soient avant tout locales. La sous-traitance territoriale a eu son plancher à 65 millions d’euros ; les matériaux devront être manipulés par les salariés du port de commerce (au moins 500 000 tonnes).
Premiers travaux en 2016 ? Si le trafic portuaire attendu est tel que prévu par les études (augmentation de 40% d’ici 2030), l’impact fiscal pour les ménages et les entreprises ne sera pas perceptible. Sinon, les droits de port (qui ont augmenté en 2014) pourraient bien servir de variable d’ajustement financier. La CCI régionale a la main sur les recettes des ports, la Région y prend sa part et les collectivités locales disposeront de recettes fiscales induites par l’activité. Une nouvelle équation se formalisera dans quelques années, mais tout dépendra de la croissance du port et de sa capacité d’entraînement en termes de création de valeur. Le Conseil régional annonce, sur la durée du contrat (50 ans), plus de 2 milliards d’impôt sur les sociétés, 429 millions de Contribution économique territoriale (CET) et 281 millions de taxes foncières pour les territoires et le département du Pas-de-Calais. Un amortissement confortable… Soumis à la fiscalité, le nouveau port aura cependant fort à faire avec son voisin dunkerquois, toujours exempté de ces impôts. Quid de la place du Grand Port maritime de Dunkerque, traditionnel allié d’Eurotunnel ? Sa présence dans la seule société de projet (donc pour un temps limité) et son poids (1%) ne conduisent pas à penser que la façade maritime est unie de manière pérenne. Jean-Marc Puissesseau aura néanmoins gagné son pari, un an avant la fin de son ultime mandat à la CCICO : réussir le plus gros projet que la Côte d’Opale ait connu depuis le tunnel sous la Manche (toute proportion considérée…). L’ombre d’un recours au tribunal administratif du groupe franco-britannique (lui-même en proie à des démêlés judiciaires avec sa filiale MyFerryLink) ne courra que pendant les trois mois suivant la signature effective de la concession. Après tous ces remous, les acteurs de ce dossier majeur espèrent les premiers coup de pioche en 2016. La signature des contrats doit intervenir début janvier et l’entrée en fonction des structures créées en juillet prochain.