Les patrons de PME doivent-ils redouter le risque pénal ?
La moitié des patrons de PME redoutent de voir leur responsabilité engagée, si un salarié venait à être contaminé par le Covid-19. Une crainte justifiée ? Des juristes et un représentant de la CPME apportent leurs analyses, lors d'une conférence organisée par l'AJPME.
Qu’en est-il de la responsabilité des chefs d’entreprises, dans le cas où leurs salariés venaient à être contaminés par le virus ? Le sujet préoccupe 46% des dirigeants de PME qui redoutent de se voir mis en cause, d’après un sondage récent réalisé par la CPME auprès de ses adhérents. Et la proportion grimpe jusqu’à 55% dans les entreprises de plus de 10 salariés.
Au pénal, les risques semblent relativement limités : respecter scrupuleusement le cadre légal et les consignes actuelles du gouvernement devrait permettre de les contenir, d’après les participants à une conférence en ligne, organisée le 2 juin par l’AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME. Son titre : «Responsabilité civile et pénale du chef d’entreprise face au risque de contamination de ses salariés. Le cadre légal et réglementaire – la jurisprudence – précautions et bonnes pratiques».
A la base, en matière pénale, les peines prévues par la loi sont loin d’être négligeables, détaille Karine Ries, avocate, membre du cabinet Fiducial-Sofiral. Dans le cas d’une éventuelle contamination de leurs salariés par le virus, les chefs d’entreprise pourraient se voir accusés de trois types de délits différents. Tout d’abord, celui de «mise en danger d’autrui», un délit qui peut être puni d’un an de prison et 15 000 euros d’amende. Deuxième cas, celui de «l’atteinte involontaire à la personne», qui peut être puni jusqu’à trois ans de prison. Troisième cas, enfin, celui du non respect des règles de santé et de sécurité, lequel peut être sanctionné par une amende de 10 000 euros.
Mise à jour du DUER et protocoles de reprise d’activité
Pour se prémunir de ces risques, il existe tout d’abord un cadre général à respecter. Cela ne date pas de la pandémie, la santé est depuis longtemps un «axe fondamental»de la législation sociale, rappelle Karine Ries. Ainsi, depuis 2001, la tenue – avec remise à jour annuelle – du DUER, Document unique d’évaluation des risques professionnels est obligatoire pour toutes les entreprises, TPE comprises. «Dans le cadre de la crise du coronavirus, il prend toute son importance. Toutes les entreprises doivent le remettre à jour, pour intégrer le risque de pandémie, concernant la contamination sur site, mais aussi les risques psychosociaux. Toutes les mesures mises en place doivent être mentionnées. Si le document n’est pas mis à jour, cela peut entraîner la condamnation pénale du chef d’entreprise», explique Karine Ries.
Par ailleurs, dans le cadre de la pandémie, la loi du 11 mai prorogeant l’état d’urgence sanitaire a encadré la responsabilité pénale des décideurs publics et privés, en cas de contamination au Covid-19. Un texte qualifié de «bon compromis» par Eric Chevée,vice-président national de la CPME, responsable des relations sociales. En fait, le texte «contextualise» le régime des infractions involontaires encadré par la loi Fauchon de 2000, explique Antoine Montant, avocat, directeur du département «conseil en droit social» du cabinet Fiducial-Sofiral. En clair, il rappelle aux juges qu’il faut prendre en compte le contexte de pandémie dans lequel ont agi les chefs d’entreprises, et à ces derniers, la nécessité de retenir le contexte, en appliquant les consignes données par le gouvernement. «Nous recommandons de mettre en place les protocoles de reprise de l’activité prévus par les professions (…). La question de leur portée juridique pose problème, mais au moins, cela peut apporter des éléments aux juges qui devraient apprécier la responsabilité des entrepreneurs», insiste Eric Chevée.
Tout documenter, tout conserver
Au total, «il ne faut pas donner au risque pénal une ampleur qu’il n’a pas», estime Karine Ries. «Nous doutons d’une réelle mise en œuvre de cette responsabilité», ajoute Antoine Montant. Dans le cadre légal actuel, avec, en particulier, la contextualisation apportée par la loi du 11 mai, «on aura toutes les peines du monde à établir le lien de causalité» entre la maladie et le travail, poursuit l’avocat. D’autant que, à la base, les délits potentiels sont «difficiles à caractériser» au pénal, ajoute l’avocate. Par exemple, le lien de causalité entre activité professionnelle et maladie doit être démontré, dans le cas du délit d’atteinte involontaire à la personne, ce qui est loin d’être évident.
Restent toutefois plusieurs problèmes. Tout d’abord, en cas de procédure pénale, et même dans le cas où son issue serait positive pour le chef d’entreprise, «le parcours peut être très stressant, car l’instruction pénale peut prendre du temps. Et les enquêteurs ne prennent pas forcément de pincettes pour rechercher des preuves», pointe Antoine Montant. Par ailleurs, pour les entreprises, le risque juridique se situe peut-être moins au pénal qu’au civil : des salariés estimant avoir contracté le virus dans le cadre professionnel, – ou leurs ayants-droit- pourraient attaquer l’entreprise. «Nous sommes beaucoup plus exposés civilement que pénalement», estime Eric Chevée. Ce que confirme Antoine Montant : «Il s’agit d’un risque qu’il ne faut pas négliger». Dans tous les cas, l’entreprise devra faire la preuve de sa diligence à appliquer les consignes de sécurité. Alors, factures d’achat d’équipements de protection individuelle ou de produits et services de désinfection, notes de services qui prouvent que des consignes ont été données aux salariés, par exemple sur la circulation dans les locaux… Tous les éléments possibles de preuve doivent être conservés, préconisent les avocats.
D’après le sondage de la CPME, 99% des entreprises ont mis en place des mesures de protection de leurs salariés, comme l’affichage des gestes barrière, la fourniture de matériel de protection ou la désinfection renforcée des locaux. Mais pour Eric Chevée, «la problématique qui nous inquiète, c’est la formalisation des mesures prises qu’auront conservée les chefs d’entreprise, si leur responsabilité est impliquée un jour».