Les parallèles se dégagerontd’une mutuelle connaissance
Tâche bien ardue que s’est assignée Stratégo en emmenant une centaine d’entrepreneurs rencontrer l’état-major du CRR à Lille, afin de dégager des similitudes professionnelles. Et pourtant, malgré les si fortes spécificités de ces deux univers, quelques parallèles existent. Il est clair que persister dans la découverte de l’autre sera la clé de rapprochements qui peuvent être inattendus et productifs.
Le quartier Boufflers abrite depuis 2006 le Corps de réaction rapide-France (CRR)1, dans un QG créé, lui, dès 2005. Pour les Lillois, et encore pas tous, l’information se limite à cela. En créant une cellule communication confiée au commandant Sébastien Euler, le général de corps d’armée Hervé Charpentier, qui a pris la tête du QG le 1er août 2010, indiquait clairement la voie à suivre désormais : se rapprocher des populations locales, les informer des activités de l’état-major.
Une curiosité bien placée. Se faire connaître, ne pas rester isolé dans cette prison dorée qu’est la célébrissime citadelle de Lille, la préférée de Vauban, faire corps avec la population, tout cela impliquait des rencontres dont celle des entrepreneurs, principaux acteurs (avec les élus) du développement métropolitain.
Stratégo SARL, structure de conseil à l’entrepreneur créée par Laurence Danielou, assistée d’une quarantaine d’experts indépendants tous compétents dans un domaine particulier, a sauté sur l’occasion : faire se rencontrer entrepreneurs et officiers supérieurs du CRR lors d’une soirée conviviale mais instructive. Au fil du temps, 90% des entreprises n’exécutent pas leur plan stratégique et n’atteignent pas leurs objectifs. Ou manquent des ressources disponibles ou formées pour garantir la mise en place du but final. Il y a donc du grain à moudre pour l’entrepreneur qui sait faire abstraction des particularités du monde militaire. Voir l’autre agir, c’est faire de la curiosité une vertu.
Un QG justifié par l’évolution de la guerre. Le QG CRRFrance des forces terrestres françaises a anticipé de plusieurs années la décision étatique de réintégration de l’Otan. Il peut sembler curieux qu’au moment où l’armée française subit de plein fouet les restrictions budgétaires (pour Lille, la dissolution du 43e RI), on puisse créer un nouvel état-major pouvant mobiliser plus de 60 000 combattants. Ce serait oublier que, comme l’univers de l’entreprise qui s’apprécie aujourd’hui à l’échelle planétaire et qui ne fait pas du nombre d’opérateurs la garantie de la réussite, les opérations militaires du XXIe siècle sont soumises à deux grandes nouveautés. La complexité d’une opération, surtout terrestre, impose une structure de commandement appropriée et de contrôle ; ce n’est donc plus le nombre de soldats en lice qui importe. S’interposent en effet de nouvelles réalités dérangeantes mais incontournables : présence des médias sur le terrain avec transmission instantanée d’informations – ou parfois supposées telles – sur la Toile mondiale, utilisation d’images par de simples détenteurs de portables, virtuosité des forces adverses à utiliser les NTI (propagande), etc. Le droit à l’erreur n’existe plus puisque la sanction est la mobilisation de l’opinion publique mondiale et ses conséquences politiques. Il faut donc tout prévoir, tout contrôler, traiter un volume d’informations tous azimuts en expansion. La seconde nouveauté est de contrôler l’espace terrestre où vivent les populations, au coeur des conflits modernes. Cela peut conduire à engager des forces importantes ne tenant pas compte de la taille des territoires : 40 000 hommes au Kosovo, de la taille de la Creuse… Et tout cela avec des forces issues de 13 nations dont la France. On est loin de la bataille de Fontenoy de 1745…
S’adapter aux hommes et à leurs particularismes. “Du théâtre d’opération militaire au management opérationnel en entreprise, quels parallèles avec nos vies d’entreprises ?” : le thème défini par Stratégo trouvait là une première résonnance. Qui dira en effet que l’entreprise peut désormais ignorer les NTI et leur capacité à nuire, objet d’études très concrètes de l’intelligence économique sur une guerre à distance qui fait du web l’arme fatale… Le général de brigade Philippe Bras, en écho au général Charpentier décrivant le champ d’action et la structure du QG et du CRR, met le doigt sur le point sensible qui, lui aussi, rappellera quelque chose à l’entrepreneur qui exporte : lorsqu’on a en face de soi 12 nations partenaires, 12 armées, 12 sensibilités, la seule grande difficulté consiste finalement à écouter l’autre et à en tirer le meilleur. Cette mutualisation permanente des forces et des commandements peut déboussoler certains esprits. Le général Charpentier explique avec malice que son chef peut être au Japon demain, que le CRR est la plus grande agence mondiale de voyages, que pour intervenir sur un théâtre d’opérations aujourd’hui, 30 000 hommes grand maximum suffisent à condition que cela se fasse entre 12 et 96 heures, qu’un état-major comme celui de Lille c’est, tout compris, pas plus de 750 professionnels, mais mobiles. “Dans 15 ans, conclut-il, je n’aurai pas pour adversaire les hordes russes. L’ennemi sera tapi dans les zones bâties, au sein des populations. Il faudra une grande intelligence car l’adversaire sera en fait une bande de rebelles très bien organisée et équipée dans un milieu qu’il faudra contrôler.” Trois gros écueils sont à surmonter en permanence pour le général Gras au sein du QG : la multinationalité qui nécessite de savoir travailler ensemble, la compatibilité des systèmes d’information et de communication, et enfin la standardisation des procédures et doctrines. Face à une telle complexité technique et humaine, celles des engagements notamment, une telle mondialisation des moyens en des temps si rapides, inversement proportionnelle au volume des personnels engagés, l’entrepreneur peut-il réadapter ses méthodes… D’autres échanges Armée-entreprises et d’autres expériences le diront peut-être prochainement.