Entretien avec Isabelle Pécou, directrice de l'observatoire B2V des mémoires

«Les mémoires individuelles et collectives sont la force d'une entreprise»

À l'occasion de notre numéro consacré aux entreprises centenaires, nous avons rencontré Isabelle Pécou, directrice générale du groupe de protection sociale B2V et de l'observatoire B2V des mémoires. Ce dernier organisait le 7 juin dernier, en partenariat avec le Medef Hauts-de-France, un événement dédié aux entreprises et organismes autour de la thématique de la mémoire de l'entreprise.

Isabelle Pécou, directrice générale du groupe de protection sociale B2V et de l'observatoire B2V des mémoires. © Marko Liver
Isabelle Pécou, directrice générale du groupe de protection sociale B2V et de l'observatoire B2V des mémoires. © Marko Liver

Qu'est-ce que l'observatoire B2V des mémoires ?

Dans le cadre de notre action sociale au sein du groupe B2V, un organisme sans but lucratif, j'ai lancé il y a dix ans cet observatoire. Il a pour objectif de réfléchir à la mémoire sous toutes ses formes, autour d'un conseil scientifique. Il a trois cibles : une cible scientifique, le grand public et les décideurs économiques.

Nous réalisons un numéro consacré aux entreprises centenaires, qu'est-ce que cela vous inspire ?

Cela m'impressionne et me réconforte. La longévité de ces entreprises, elles la doivent au talent de leurs dirigeants mais aussi à celui de l'ensemble des collaborateurs. Parce que je crois que la mémoire des entreprises, c'est la valorisation de l'humain. Je suis très impressionnée par ces sociétés qui ont su capitaliser à la fois sur le savoir-faire des équipes dirigeantes et des salariés. C'est très motivant car ce sont des entreprises qui ont passé toutes les crises et contextes et qui ont finalement réussi à s'adapter.

En quoi la valorisation des mémoires des entreprises peut-elle être un levier pour celles-ci ?

Je suis convaincue que sans mémoire, il n'y pas d'avenir. S'inspirer du passé, cela permet d'innover, de gérer les crises, de transmettre les savoirs et les savoir-faire, de valoriser les salariés séniors et donc de recréer les liens intergénérationnels, ce qui nourrit la culture d'entreprise. La RH, le management et la communication sont au cœur même de la réflexion également. Ces mémoires individuelles et collectives sont la force d'une entreprise et fondent son identité. Et donc son ancrage territorial. Dans le Nord, il y a un fort ancrage et je pense que c'est aussi grâce à la mémoire d'entreprises. 

Comment construire le récit d'une entreprise ?

Il existe déjà des entreprises qui autour d'un anniversaire publient par exemple un livre. Ce que nous proposons, c'est une démarche scientifique pour capter et conserver la mémoire des salariés séniors. Nous proposons la captation de ce récit via des interviews. Par exemple avec Michelin, via des salariés séniors ou retraités. Cela peut être ainsi des récits de vie. En septembre, les résultats seront confiés à l'université de Clermont-Ferrand. Michelin considère que ces savoirs peuvent être en voie de disparition, et qu'il est donc important de les conserver.

Toutes les entreprises peuvent-elles mettre en avant le récit d'une mémoire ?

Par exemple, si c'est une jeune entreprise type start-up, à très court terme cela va moins la concerner. Néanmoins, très vite, les savoirs et les savoir-faire, il faut apprendre à les conserver. Dans une enquête que nous avons menée auprès d'entreprises de toutes tailles, tous les cadres étaient convaincus. Très vite, la valeur patrimoniale matérielle et immatérielle va compter. Car elle crée la culture de l'entreprise.

Comment fait-on lorsque l'entreprise a connu des périodes difficiles type plans sociaux, scandales, crises diverses ?

Il faut assumer les difficultés que l'on a rencontrées : une cyber-attaque, le covid, etc. Sur ce dernier point, nous avons interviewé une cinquantaine de chefs d'entreprises pour savoir comment elles ont traversé cette crise. Au-delà de cet exemple, je pense qu'il est très important de collecter ces moments car, de ces crises, il ressort des éléments très positifs qui pourront être utilisés demain face à des crises analogues. Et au contraire, de pouvoir se dire qu'il y a des choses que l'on a moins bien faites pour ne pas retomber dans ces travers. Un autre élément très important, c'est que ces crises fédèrent les collaborateurs.

La «Business History», très répandue aux États-Unis, est largement sous-exploitée en France. Comment l'expliquez-vous ?

Il y a une culture du secret dans les entreprises en France. La crise du covid a permis de prendre un peu plus la parole, mais globalement on reste dans cette culture. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé, avec l'université Paris-Dauphine, un certificat dans le cadre de la formation continue, pour permettre aux sociétés d'être sensibilisées à l'importance de la mémoire et former leurs collaborateurs. Leur donner des techniques pour exploiter, valoriser l'entreprise et innover. La première session aura lieu à la rentrée universitaire, avec un mémoire réalisé par chacun à l'issue du séminaire.