Rapport 2022 de l’Autorité environnementale
Les lacunes environnementales des projets d’infrastructures
Dans son rapport pour 2022, l’Autorité environnementale dénonce la médiocre prise en compte, par les promoteurs de projets, des impératifs climatiques ou de mesures protégeant la biodiversité. L’évaluation environnementale apparaît surtout comme un passage obligé.
Des
autoroutes, des champs photovoltaïques, des usines de traitement de
déchets, des «villages des marques», etc.
Semaine après semaine, l’Autorité Environnementale (AE) publie
ses avis au sujet de projets d’infrastructures qu’elle estime
compatibles, ou non, avec le respect de l’environnement, la
limitation des émissions de gaz à effet de serre, la sauvegarde de
la biodiversité ou des ressources en eau. La liste des projets
examinés reflète tout ce qu’une société hautement
industrialisée et technologiquement ambitieuse imagine pour régler
des difficultés, répondre à une demande, réelle ou supposée,
voire maximiser les profits
d’acteurs privés.
Les avis de l’AE alimentent les débats
L’AE,
créée en 2009, est composée de vingt membres, ingénieurs et
«personnalités qualifiées». Elle délivre des
avis consultatifs destinés à «servir aux maîtres
d’ouvrage», afin qu’ils «améliorent leurs
projets» mais aussi à «informer le public, les
commissaires-enquêteurs et les associations» sur les
«problèmes environnementaux réellement posés»
par l’infrastructure concernée.
Dans
les territoires concernés, les avis de l’AE alimentent les débats.
Ainsi, à Dunkerque, le projet d’extension du port destiné
à accueillir davantage de conteneurs, qui doit coûter 400 millions
d’euros, a été remis en cause par les experts, en raison de
l’artificialisation de terres agricoles et naturelles ou la gestion
des eaux souterraines. Le démarrage des travaux, initialement prévu
avant la fin 2023, semble compromis. En Ardèche, un projet de
liaison ferroviaire entre Pont-Saint-Esprit et Le Teil est suspendu
pendant deux ans, suite à la demande d’une étude environnementale
par l’AE. A Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), un site où doivent
être testées des technologies permettant d’améliorer la qualité
de l’air a été remis en cause, car les experts jugent les
procédés peu fiables.
A
Valserhône (Ain), les
promoteurs d’un «village des marques»
voudraient creuser des parkings souterrains, une ambition critiquée
par la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE)
d’Auvergne-Rhône-Alpes. Cette entité, comme 19 autres instances
régionales, a été créé en 2016 pour suppléer l’AE. En
l’espèce, la MRAE a
estimé que l’étude d’impact présente «des lacunes
encore plus marquées qu’en 2016», date du premier
dossier. La construction de ces parkings impacterait les ressources
en eau, tandis que la station d’épuration voisine est «déjà
saturée», assurent les experts, qui demandent «un
bilan carbone complet du projet». La suspension des
travaux pourrait nécessiter le dépôt d’un nouveau permis de
construire.
Manques d’ambitions environnementales
En
2022, l’AE a rendu 120 avis, portant sur des projets industriels,
des aménagements urbains ou des infrastructures de transport. Les
dossiers présentent certes davantage de «méthodologies
solides» que par le passé, assure Alby
Schmitt, président par intérim de l’instance. En revanche,
cette meilleure préparation n’entraîne pas pour autant une
«inflexion réelle» sur la programmation des
projets. Ainsi, «l’évaluation environnementale est
encore trop perçue comme une procédure entraînant des délais
inutiles et retardant une autorisation considérée comme étant de
droit», indique le président.
L’AE
considère que les bilans carbone «sont les parents
pauvres» des études d’impact. En outre, les promoteurs
ne proposent que «peu de mesures de réduction de la
vulnérabilité aux risque naturels» et considèrent comme
acquise «une dérogation au régime de protection des
espèces et des habitats». Enfin, l’AE souligne
«l’impact très important des projets d’infrastructures
de transport sur la biodiversité et les zones humides».
De
leur côté, les 20 MRAE, dont les 13 situées dans l’Hexagone et 7
outre-mer, constatent une progression d’environ 15% du nombre de
saisines par rapport à 2021. Parmi les enjeux soulevés par les
dossiers figurent notamment la consommation foncière, la ressource
en eau ou le changement climatique. Philippe
Viroulaud, président de la MRAE de Bretagne, estime qu’une
partie importante des dossiers «manquent d’ambition».
Economiser l’eau fait encore l’objet d’une «réflexion
peu développée». Certains plans
climat-air-énergie territorial (PCAET)
présentent certes des «objectifs plutôt ambitieux»,
mais que les MRAE estiment toutefois «peu crédibles»,
en raison d’actions insuffisamment concrètes. En creux, la
description des experts dessine la médiocrité de l’évaluation
environnementale. Elle ressemble à un passage obligé, une formalité
à expédier, qui répond, sur le papier seulement, aux attaques
potentielles.
La
critique n’est pas toujours audible. Les délais résultant de ses
avis valent à l’AE et aux MRAE une certaine inimitié parmi les
promoteurs ou les élus locaux, qui les qualifient, comme on peut le
lire dans la presse locale, de «gens dans des bureaux qui
ne connaissent pas la réalité du terrain». Après la
démission en octobre 2022, de Philippe
Ledenvic, en place depuis 2016, le gouvernement n’a toujours
pas procédé à la nomination d’un nouveau président
de l’Agence.