Les laboratoires se mobilisent contre les médicaments contrefaits
Les médicaments contrefaits sont un fléau qui touche surtout les pays en développement, mais l’Europe est désormais aussi – un peu – concernée. Un enjeu immense de santé publique, mais aussi économique pour les laboratoires pharmaceutiques.
Conseil aux vacanciers sur le départ : “pour ceux qui partent en voyage à l’étranger, mieux vaut emporter ses propres médicaments dans sa valise plutôt qu’en acheter sur place”, avance Christian Peugeot, président de l’Unifab (Union des fabricants), association professionnelle très impliquée dans lutte contre la contrefaçon. C’était le 7 juin dernier à Paris, à l’occasion de la journée mondiale que l’association organise chaque année pour promouvoir cette cause, aux côtés d’autres organismes, tel l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Cette année, l’Unifab a mis le focus sur la contrefaçon des médicaments. Mais le phénomène concerne tous les produits.
Fléau des pays pauvres. Si le conseil de Christian Peugeot aux vacanciers est avisé, ce sont surtout, et avant tout, les populations des pays les plus défavorisés qui sont victimes du fléau des faux médicaments. “L’Asie et l’Afrique sont plus touchés que d’autres car les circuits de distribution des médicaments sont moins contrôlés et le niveau de couverture sociale, faible. Il y a un risque réel pour les populations de consommer des produits dangereux”, explique Philippe Peyre, vice-président de l’entreprise pharmaceutique Sanofi. De fait, les exemples cités par Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM, qui fédère l’ensemble des entreprises du médicament opérant en France, font froid dans le dos : 2 500 morts au Niger, victimes de faux vaccins, 84 enfants décédés après avoir avalé du sirop contrefait au Nigéria… Statistiquement, les catégories de produits les plus touchés sont les antiinfectieux, les vaccins, les traitements antipaludiques, mais aussi une grande variété de produits de médecine générale. “La contrefaçon des produits de santé est un fléau sanitaire qui met en jeu la vie des patients”, conclut Philippe Lamoureux. Le phénomène atteint des proportions gigantesques dans certains pays. En Asie et en Afrique, les estimations varient beaucoup mais grimpent jusqu’à 30% de produits contrefaits sur certains marchés. Pis, d’après les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cités par l’Unifab, 70% des médicaments circulant au Nigéria seraient contrefaits.
L’Europe à risques ? “La France est relativement épargnée grâce à la qualité de son système de distribution de médicaments, à l’efficacité de ses contrôles aux frontières, à la sévérité des règlements pharmaceutiques, au système de protection sociale qui facilite l’accès aux médicaments de qualité”, analyse Philippe Lamoureux Il est de fait que d’après les statistiques de l’OMS, dans l’Hexagone le trafic demeure limité. Au total, les faux médicaments représenteraient de 1 à 3% des produits de ce type offerts à la vente. Et, d’après le communiqué de l’Unifab qui cite un rapport de la Commission européenne, en 2010, sur 103 millions d’articles saisis par les douanes, 3 millions seraient des médicaments. Un chiffre en nette hausse en 2011 : plus de 27 millions de médicaments contrefaits (24% des saisies), selon un communiqué du LEEM publié le 30 juillet.
Pour l’essentiel, aujourd’hui, dans les pays développés, le commerce de médicaments contrefaits concerne des produits dits “de confort”, comme les médicaments érecteurs. Internet constitue le vecteur essentiel de ces transactions : les pharmacies illicites – qui arborent en général sur leur page d’accueil un sémillant docteur en blouse blanche, stéthoscope à la main – pullulent. Et ces sites sont souvent hébergés dans des pays qui rendent difficile la poursuite des trafiquants qui les mettent en place. Pour le LEEM, il ne faut pas sous-estimer le danger. “La circulation de médicaments surdosés, sous-dosés, voire toxiques, n’est plus le triste apanage des pays les plus démunis. Même si la situation de ces derniers mérite la plus grande attention, il ne faut pas négliger la progression dans nos propres pays”, estime Philippe Lamoureux.
L’industrie se mobilise. La mobilisation contre la contrefaçon de médicaments, qui représente des enjeux financiers importants et de santé publique, est enclenchée au niveau des autorités nationales, des organisations internationales et des entreprises du secteur pharmaceutique.
De nombreuses opérations menées sur le terrain en témoignent, qui impliquent souvent des collaborations entre divers acteurs. En octobre 2010, par exemple, une opération coordonnée par Interpol et l’Organisation mondiale des douanes a abouti à la saisie d’un million de pilules pesant 2,6 millions d’euros. Bilan de l’opération : saisie de 10 000 colis, interpellation de 80 personnes dans 45 pays, et fermeture de 290 sites internet.
Côté industrie pharmaceutique, on est vigilant. Chez Sanofi, un laboratoire spécifiquement dédié a été mis en place, qui permet d’analyser des médicaments de diverses provenances. En 2011, 4 000 échantillons ont été analysés, dont 150 se sont révélés des faux, annonce Sanofi. Et, au titre de la collaboration que l’entreprise prône avec les instances publiques concernées, comme les douanes ou la police, ce laboratoire est mis à disposition des autorités. L’entreprise est également active sur le plan de la cybercriminalité : un expert surfe sur les fausses pharmacies, à la recherche de produits de la marque qui seraient contrefaits. “On fait des achats tests”, illustre Caroline Altani, responsable de la cellule anticontrefaçon dans l’entreprise. Des achats qui sont ensuite testés dans le laboratoire de l’entreprise.
La santé et portefeuille. Les actions menées par l’industrie pharmaceutique pour se prémunir de la contrefaçon ne s’arrêtent pas là. En témoigne l’exemple de Sanofi : l’industriel a ainsi mis en place un témoin d’ouverture sur l’emballage de ses produits, l’authentification des confections via une étiquette de sûreté, comme le prévoit la loi, mais aussi “la coopération sur la sensibilisation aux risques avec les institutions nationales et internationales”. A ce titre, outre mettre à disposition son laboratoire, l’entreprise explique avoir formé, en 2011, 5 380 personnes (douaniers, policiers…) dans le monde pour lutter contre la contrefaçon de médicaments. L’année précédente, elle aurait contribué à la saisie de 6,4 millions de comprimés. Mais combien la contrefaçon de médicaments coûte-t-elle à l’industrie pharmaceutique ? Chez Sanofi, on préfère avancer d’autres arguments. “Le moteur de la lutte contre la contrefaçon, c’est la santé des patients. (…) La sécurité des patients s’inscrit dans cette démarche, la démarche de la responsabilité d’entreprise”, explique Caroline Altani. Au total, au niveau mondial, d’après les chiffres cités par l’Unifab, le marché de la contrefaçon pharmaceutique représente plus de 10% du marché mondial des médicaments. Et d’après les mêmes sources, à défaut de savoir combien elle a coûté aux industries licites, on sait qu’elle a rapporté 75 milliards de dollars de bénéfices aux trafiquants en 2010.