«Les habitants des métropoles souhaitent désormais vivre sur leur territoire différemment»
Directeur général de SNCF Immobilier depuis 2016, Benoît Quignon a géré la mise en sommeil des activités de la filiale immobilière du groupe SNCF, dans un premier temps, puis son redémarrage progressif. Un défi que ce haut fonctionnaire a relevé en imaginant des modes d’organisation du travail différents. Convaincu que le retour théorique de l’ensemble des personnels à 100% sur site ne sera pas possible, en raison du manque de place et de postes de travail, il entend maintenir une partie significative des salariés en télétravail. Une façon d’adapter SNCF Immobilier au «nouveau monde» de l’après-Covid-19.
Comment avez-vous géré cette période de crise, qui a frappé de plein fouet l’ensemble des acteurs de la filière immobilière ?
Nous avons naturellement arrêté tous nos chantiers ainsi que les opérations de maintenance, à l’exception des opérations d’urgence. Cela signifie que 120 ensembles tertiaires ont été «mis sous cocon» pendant pratiquement deux mois. Sur les 180 sites que nous gérons en «facility management», soit 900 000 m2, seulement 80 ont été maintenus en activité, dont les sites de gestion de crise, qui sont opérationnels 24h/24.
Au-delà des chantiers en cours, comment avez-vous géré le montage des opérations à l’étude ?
Nous avons maintenu la conduite des projets qui ne nécessitaient pas une présence physique sur le terrain, ni dans les bureaux. C’est une satisfaction, même si ce mode de fonctionnement est un peu frustrant. Nous continuons de préparer toutes les études de marché, les études techniques, d’ingénierie, de maîtrise d’œuvre… qui sont nécessaires à la poursuite de nos travaux. De même, nous avons engagé depuis de longs mois un plan de transformation de SNCF Immobilier et nous tiendrons le planning initial.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour assurer la poursuite de ces opérations ?
Le système des ordonnances a permis de desserrer les contraintes liées aux délais de recours ou d’instruction. C’était absolument indispensable compte tenu de la désorganisation immédiate des administrations sur ces différents sujets. Mais nous avons perdu deux à trois mois sur les délais d’instruction. Par ailleurs, le retard pris dans le renouvellement complet des équipes municipales et dans l’installation de celles qui ont été élues dès le premier tour constitue un handicap supplémentaire. Les maires ont essayé de mener les opérations courantes, mais ils ne pouvaient pas s’intéresser en priorité aux opérations urbaines ou foncières. Et même si nous avons pu continuer à travailler dans les plus grandes collectivités, les décisions fondamentales n’ont pas été prises.
Cela vous inquiète-t-il ?
Non, mais il faut que les nouvelles équipes s’installent pour que la marche avant soit de nouveau enclenchée. Je pense que la phase de remise en route prendra une bonne partie du deuxième semestre 2020, avec le vote de la programmation des investissements, celui des plans de mandat… En clair, la remise en route sera retardée d’un semestre, avec peut-être des remises en cause d’opérations en raison du Covid, mais aussi des nouveaux choix municipaux. Certaines opérations seront sans doute réinterrogées.
«La ville de demain devra sans doute tenir compte d’un rapport au travail et à la mobilité sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui»
Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, évoquait récemment une baisse des investissements et un resserrement des coûts de fonctionnement du groupe pour compenser les effets de la crise. La branche SNCF Immobilier est-elle concernée par cette stratégie ?
Il faut distinguer deux cas de figure. Lorsque nous intervenons pour le compte de partenaires extérieurs, c’est-à-dire sur des opérations d’aménagement et de promotion, nous sommes plutôt encouragés à les développer, puisque cela crée de la valeur immobilière pour la SNCF. Pour ce qui est des opérations que nous menons pour le compte de nos propres activités, nous sommes effectivement en train de regarder et d’évaluer celles qui sont les plus utiles, celles qui créent aussi le plus de valeur économique pour l’entreprise et d’engagement pour les salariés. Lorsque, par exemple, nous poursuivons les programmes de construction de centres de formation, qui nous permettent de rationaliser la gestion et les coûts de formation à l’échelle du groupe, et en même temps, de donner de l’envie à nos salariés, il ne devrait pas y avoir de remise en cause des investissements. En revanche, nous allons sans doute redimensionner les choses en matière de bureaux. Les besoins vont changer. Il est vraisemblable que nos besoins en mètres carrés vont diminuer, puisque le télétravail va se développer. Nous allons donc sans doute nous placer dans une trajectoire de diminution de notre nombre de sites et du nombre de mètres carrés occupés. Voilà une manière de répondre aux exigences économiques du groupe, en permettant à nos activités d’être beaucoup plus agiles et modulables, en mettant à disposition du groupe un immobilier lui-même souple et adaptable.
Pourriez-vous être amené à accélérer le rythme de cession des terrains à bâtir que vous maîtrisez pour générer du cash pour le groupe ?
Ces cessions font partie de nos ambitions, mais il y a plusieurs préalables à prendre en compte, qui bien souvent ne sont pas liés à la SNCF mais aux collectivités locales. Ce sont elles qui décident, ou pas, de la constructibilité de nos terrains et de leur mutation, puisqu’il s’agit de terrains industriels. Dans le cadre d’opérations d’aménagement et d’urbanisme, il faut, en effet, leur donner une autre vocation. Et cette mutation sera vraisemblablement retardée d’un semestre. Pour les autres fonciers, c’est-à-dire ceux qui ont déjà une vocation constructible, nous allons effectivement les mettre sur le marché aussi rapidement que possible. Nous allons également nous interroger sur la détention de certains actifs, des bureaux notamment, qui sont encore dans notre patrimoine. Nous avons déjà mené des opérations de «lease back» dans le passé et peut-être serons-nous amenés à en faire de nouveau dans le futur.
Quels projets sont les plus à même d’avoir un effet de levier dans le plan de relance de SNCF Immobilier ?
J’en vois deux. Tout d’abord, nous avons beaucoup de projets en lien avec le patrimoine d’Immobilière des Chemins de Fer. Nous avons notamment obtenu, ces deux dernières années, près de 1 800 agréments par an pour construire du logement social. Nous souhaitons maintenant obtenir les financements complémentaires pour pouvoir les engager. Cela se fera main dans la main avec les collectivités locales, qui doivent délivrer les permis de construire correspondants. Ensuite, il y a nos opérations d’aménagement, en dehors des projets des gares, que nous ne portons pas. Nous avons ainsi une trentaine d’opérations sur tout le territoire national, que nous sommes prêts à démarrer. Ces chantiers ne pèseront pas sur la trajectoire économique de la SNCF et vont même, au contraire, l’améliorer.
A vos yeux, qu’est-ce que cette crise nous raconte et nous apprend sur la ville de demain ?
La ville de demain devra sans doute tenir compte d’un rapport au travail et à la mobilité sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Attention, je ne crois pas du tout à la ville à la campagne, car la structuration du développement de notre pays autour de nos métropoles reste pertinente à mes yeux. Mais les habitants de ces métropoles souhaitent désormais vivre sur leur territoire différemment. Sans avoir à faire une heure et demi de transport en commun dans de mauvaises conditions pour aller travailler. La solution du RER métropolitain, évoquée sur plusieurs territoires, est peut-être une piste pour un nouvel aménagement urbain dans le futur. Les métropoles de demain s’appuieront sur des réseaux de villes à l’échelle des régions, ou des zones péri-urbaines, et dans ce cadre, le RER métropolitain peut jouer un rôle important d’innervation des territoires. Il favorisera le maintien d’un lien structurel plus équilibré entre une métropole et les agglomérations de taille moyenne qui constituent son environnement. Il faut aller vers une relation renouvelée, en essayant de trouver de nouveaux équilibres à la fois de population, d’activité et d’emploi.
Propos recueillis par Laurent ODOUARD (Tout Lyon Affiches) pour RésoHebdoEco/www.reso-hebdo-eco.com
Les missions de SNCF Immobilier
Les principales missions sont au nombre de trois. La première consiste à gérer et optimiser le parc immobilier tertiaire, industriel et ferroviaire du groupe. La deuxième repose sur l’aménagement et la valorisation de ces biens fonciers et immobiliers non utiles au système ferroviaire. Cette mission est notamment assurée au travers de la filiale Espaces ferroviaires. Enfin, SNCF Immobilier a un rôle d’opérateur du logement et de bailleur social, à travers sa filiale ICF Habitat, avec un patrimoine de 100 000 logements, dont 90% de sociaux.