Les finances publiques françaises sous tension
Le nouveau gouvernement, formé après les élections législatives, devra s’attaquer en urgence à la dégradation des comptes publics, sous peine de perdre toute crédibilité auprès de ses partenaires européens et des marchés financiers…
5,5 % du PIB de déficit public et 110 % du PIB d’endettement public (3 100 milliards d’euros) : voilà l’état peu reluisant des finances publiques françaises à la fin de l’année 2023 ! Ces chiffres n’ont d’ailleurs cessé d’alimenter le débat durant les trois semaines de la campagne législative, le camp présidentiel y voyant la résultante du «quoi qu’il en coûte», les autres un échec justifiant un changement — parfois radical — de politique économique. Une chose est certaine, le nouveau gouvernement va se retrouver pris en étau entre, d’un côté, des montagnes de promesses électorales et, de l’autre, de faibles marges de manœuvre financières.
Trajectoire de réduction du déficit public irréaliste
Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, avait misé sur la croissance et le plein-emploi pour assainir les finances publiques. Hélas, le coup a manqué : les impôts sont moins bien rentrés que l’année écoulée, car l’activité est en berne, et le marché de l’emploi se dégrade, le tout conduisant à un déficit de 5,5 % du PIB en 2023 ! Mais, c’est surtout l’évolution tendancielle qui compte vraiment. Et, le moins que l’on puisse dire est que la trajectoire de réduction du déficit public, notifiée en début d’année à la Commission européenne est loin d’être convaincante. C’est ce qui ressort notamment du rapport du Haut Conseil des finances publiques, jugeant que «sa réalisation suppose la mise en place d’une gouvernance rigoureuse, associant l’ensemble des acteurs concernés (l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale), qui n’est pas réunie aujourd’hui». Manière diplomatique, mais à peine voilée, d’affirmer que cette trajectoire est irréaliste ?
Nul ne peut ignorer le colmatage mené en urgence par le gouvernement de Gabriel Attal depuis le printemps, consistant à trouver, à tout prix, 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires sur les dépenses publiques, alors même que la politique conduite est responsable d’une partie de la brèche. Quoi qu’il en soit, selon la Cour des comptes, l’effort nécessaire s’élèverait plutôt à 50 milliards d’euros sur les trois prochaines années…
Dans ces conditions, il n’est pas certain que «l’équarrissage» indifférencié des dépenses sociales, au moyen d’une énième réforme de l’assurance chômage et de l’assurance maladie, soit suffisant pour ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB d’ici à 2027. Tant et si bien que des hausses d’impôts semblent désormais inévitables, quelle que soit du reste la couleur politique du gouvernement.
Crédibilité entamée
Assurément, la crédibilité économique de la France est bien entamée à l’international. L’Allemagne doutait déjà depuis longtemps de la volonté de la France de rentrer dans les clous des traités européens. Et juste après l’annonce de la dissolution, le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, a exprimé publiquement ses inquiétudes concernant les conséquences d’une politique budgétaire trop laxiste que pourrait mener un autre gouvernement français, avec alors en tête bien entendu les annonces du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire, ce dernier ayant lui-même chiffré son programme à 125 milliards d’euros pour 2024-2025.
Selon Christian Lindner, cela pourrait faire perdre au gouvernement français la confiance des marchés financiers, à l’instar de ce qui s’était passé au Royaume-Uni en 2022, où la Première ministre, Liz Truss avait été contrainte de démissionner quelques semaines seulement après son arrivée en poste, son projet de budget ayant conduit à un début de panique sur les marchés.
Les agences de notation n’ont du reste montré guère plus d’optimisme sur la trajectoire des finances publiques françaises, Moody’s qualifiant «d’improbable» la réduction du déficit public à 2,7 % du PIB d’ici à 2027. Et pourtant, ce ne sera pas elle, mais Standard & Poor’s, qui dégradera la note souveraine de la France, le 31 mai dernier. Même si une telle nouvelle n’a pas eu de conséquences importantes sur le financement d’un État comme la France, il a entamé un peu plus la crédibilité du gouvernement en place à ce moment-là et brouillé l’argument de rigueur budgétaire brandi par le camp présidentiel durant la campagne des législatives.
Enfin, le couperet est probablement arrivé de la Commission européenne qui a rendu publique une décision à laquelle la France s’attendait, mais qui est tombée le 19 juin, à quelques jours seulement du premier tour d’une élection pourtant capitale pour l’avenir du pays : sept États de l’UE, dont la France, la Belgique, l’Italie, la Hongrie, la Pologne, Malte et la Slovaquie, sont désormais sous le coup d’une procédure pour déficits excessifs.
Le nouveau gouvernement devra donc mettre en œuvre, en accord avec la Commission européenne, un plan pluriannuel de réduction du déficit et de l’endettement publics, afin de revenir au plus vite sous les 3 % du PIB pour le premier et en deçà des 60 % du PIB pour le second. Enserré dans un tel carcan, que restera-t-il des promesses de campagne ?