Les finances des territoires urbains chahutées par la crise
Sur fond de dépenses exceptionnelles, les territoires urbains ont globalement maîtrisé leurs finances, même si leur épargne brute a diminué, d'après l'étude annuelle de France Urbaine et La Banque Postale. Les autorités organisatrices de transport ont particulièrement souffert.
L'impact de la crise a été fort, mais ses conséquences financières, contenues. Le 15 septembre, lors d'une conférence de presse à Paris, France urbaine, qui représente 2 875 communes de toute taille (30 millions d'habitants) et La Banque Postale ont présenté la sixième édition de leur étude «Territoires urbains, portrait financier». Celle-ci est basée sur un état des finances consolidées de 80 territoires urbains. Pour tous, 2020 fut une «année compliquée», commente Luc Alain Vervish, directeur des études à La Banque Postale. Au total, les dépenses ont représenté 77,7 milliards d'euros, en baisse de 3,1% par rapport à l'année précédente. Pour l'essentiel, cette contraction est liée au recul brutal des investissements. Ils ont chuté de 15,9% pour atteindre 17 milliards d'euros, après avoir crû fortement les deux années précédentes.
Toutefois, il existe une «disparité de situations» entre les territoires urbains, pointe Luc Alain Vervish. En effet, en année électorale, l'investissement diminue plus dans les communes dont les équipes sortantes ont finalisé leurs projets, que dans les groupements, où le calendrier électoral pèse moins. Mais ce contexte politique ne constitue qu'une partie de l'explication de la baisse des investissements : traditionnellement, ces échéances se traduisent par une diminution de 10% environ.
Quant
aux dépenses de fonctionnement, «nous restons dans la logique
des années précédentes, avec une croissance modérée»,
synthétise Luc Alain Vervish :
elles ont augmenté de 1,1%, pour atteindre 60,7 milliards d'euros.
Au total, «les dépenses
de fonctionnement sont restées maîtrisées, y compris dans ce
contexte difficile qui a impliqué des charges inédites de soutien
aux entreprises ou liées au sanitaire»,
souligne l’expert. Une partie de l'augmentation constatée dans
l'étude est d'ailleurs due aux métropoles de Lyon et Paris qui
assument aussi les compétences départementales et donc, la charge
des allocations individuelles de solidarité.
Forte
baisse des recettes liées aux services
Côté rentrées d'argent, les recettes de fonctionnement ont diminué de 1,3% pour atteindre 70,7 milliards d'euros. Avec des évolutions très différentes, selon leur nature. Ce sont les produits des services proposés par ces collectivités (6,6 milliards d'euros) qui accusent la baisse la plus spectaculaire (-14,5%). En effet, les territoires urbains disposent d'un réseau important d'équipements sociaux, culturels, ou sportifs, qui ont été mis à l'arrêt. A contrario, les ressources fiscales (46,6 milliards) sont restées globalement stables (+0,2%). Par exemple, contrairement aux craintes, les droits de mutation à titre onéreux ne se sont pas effondrés.
Quant aux impôts liés à l'activité économique, «leurs effets sont décalés dans le temps. Sur ce plan, l'impact de la crise s'est peu fait sentir en 2020». Mais, «c'est déjà un peu plus le cas en 2021, et il est à craindre que l'impact ne soit plus fort en 2022», souligne Luc Alain Vervish. Un impact qui devrait être différencié selon les territoires, en fonction de combien les secteurs d'activités qu'ils accueillent ont été touchés par la crise. Les dotations et participations ont augmenté de 1,7% (14,7 milliards).
En particulier, l’État a mis en place des mesures pour limiter l'impact de la crise sanitaire sur l'équilibre des collectivités, dont la clause de «sauvegarde», en juillet 2020. «Cela a fonctionné mais les chiffres ne sont pas à la hauteur de ce qu'on pouvait attendre», estime Luc Alain Vervish. En raison des modalité d'attribution, «les territoires urbains n'ont en définitive que très peu profité de ces compensations», estime l'étude.
Autre constat, les territoires urbains ont parfois eu recours à l'endettement «pour réagir sur le plan de l'aide au développement économique, en participant au fonds de solidarité ou dans des dispositifs d'aide décidés localement», ajoute Luc Alain Vervish. Résultat global de l'effet «ciseaux» entre la hausse des dépenses de fonctionnement et la baisse des recettes, «2020 a été marquée par une baisse assez générale de l'épargne brute (…), comme il y a dix ans, lors de la crise précédente», pointe Luc Alain Vervish. Elle pèse 10 milliards d'euros, en baisse de 13,8% par rapport à l'an dernier. Pour autant, «nous considérons que la dette des territoires urbains reste sous contrôle», rassure l'expert.
Les
transports en difficulté
Cette année, l'étude a réalisé un focus sur les AOM, Autorités organisatrices de la mobilité, fortement chahutées par la crise. Avec un constat de base, celui d'une «chute extrêmement importante du nombre de voyages, beaucoup plus prononcée dans les grandes agglomérations que dans les petites», annonce Luc Alain Vervish. Par exemple, l'an dernier, les voyages ont diminué de 35% dans les territoires de plus de 450 000 habitants. A rebours, «l'offre de voyage a moins diminué. Il n'est pas pas évident de corréler l'offre à la demande», poursuit Luc Alain Vervish. L'offre a baissé de 12% en moyenne, et de 7% seulement chez les AOM les plus importantes.
Souci, la dissymétrie entre l'offre et la demande de transports est lourde en conséquences économiques. Ainsi, les recettes du versement mobilité (acquitté par les entreprises de plus de 11 salariés) ont diminué de 10% dans les territoires les plus impactés par le chômage partiel, lequel ne donnait pas lieu à ce versement. Ce dernier représente en moyenne la moitié des recettes des AOM. Au global, 191 millions d'euros ont manqué à l'appel. Quant aux produits tarifaires, qui représentent environ le tiers des recettes, ils ont diminué en moyenne de 32%. Là, ce sont 419 millions d'euros de perdus.
Au total, en 2020, les AOM ont donc connu une baisse de 600 millions d'euros de recettes. Et sur ce sujet aussi, la réponse de l’État demeure «controversée», pointe Luc Alain Vervish. Mais le sujet n'est pas clos : le rapport Duron sur le modèle économique des transports collectifs, publié en juillet dernier, propose de doubler le montant de l'enveloppe de soutien aux projets d'investissements, dans le cadre d'appels à projets (2021). A ce titre, «il y a un point d'optimisme», estime Luc Alain Vervish : les projets d'investissements des AOM sont restés ambitieux. Un appel à projets lancé par l’État en décembre 2020 sur les projets de transports collectifs en site propre et de pôles d'échanges multimodaux a connu un grand succès : 40 AOM en ont déposé 110, pour un montant total de 8,6 milliards d'euros. Dans plus de la moitié des cas, le début des travaux seraient envisagé d'ici 2023.