Les entreprises doivent faire évoluer leurs process de recrutement
Les entreprises, plus que jamais confrontées à des problématiques de recrutement avec la crise et au regard du phénomène de démissions en masse, venu d’Outre-Atlantique, doivent repenser leurs process de recrutement. Mode d'emploi pour attirer les talents de demain.
« Je vis dans un pays où l’on parle encore de quelqu’un en disant c’est un sup de co. Mais l’école que l’on a suivie ne veut rien dire, annonce en préambule Maxime Legardez, CEO de Maki People, éditeur de solutions pour recruter des profils diversifiés. Le CV est aberrant en 2022. D’autant que nombre d’entre eux sont souvent mensongers et gonflés. » Pour lui, le CV et la lettre de motivation seraient des moyens de sélection totalement dépassés. Côté recruteurs, le dirigeant regrette les biais inhérents au genre humain qu’ils impliquent. Ainsi, selon la Dares ( ministère du Travail), les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine auraient 31,5% moins de chance d’être contactées par les recruteurs par rapport à celles qui portent un prénom et un nom d’origine française. « Si le candidat plaît au recruteur, que ses loisirs lui plaisent ou qu’ils ont fait la même école, cela peut déboucher sur une mauvaise décision, voire pire, sur de la discrimination », insiste Maxime Legardez. Pour l’heure, les outils utilisés ne sont pas toujours adaptés et les processus jugés trop chronophages. A l’heure où 57% des DRH* se déclarent prêts à recruter leurs développeurs sans CV, cela devrait pouvoir s’envisager dans les entreprises.
Tester les candidats
L’urgence en 2022, « passer d’une économie de la qualification à une économie de la compétence. Il faut apprendre et désapprendre des compétences. Aujourd’hui, on peut se former à n’importe quel métier. C’est le socle commun des générations à venir », explique le CEO. Pour lui, les tests seraient l’une des méthodes les plus efficaces pour recruter. « Ce sont les plus efficients pour des recrutements simplifiés, plus objectifs et ouverts à plus de diversité, grâce à une certaine équité dans les process », insiste-t-il. Parmi les tests, les multi-mesures, qui permettent d’évaluer simplement et facilement les compétences des candidats, recueillent ainsi 0,71/1 de coefficient de validité**, les tests d'aptitude cognitive, de compétences métier et de mises en situation 0,65 ; contre 0,26/1 pour le check des références et 0,13 pour l’expérience professionnelle. Les entreprises doivent valider via des tests de quelques minutes les compétences de base des candidats avant d’aller plus loin. Par la suite, elles doivent structurer leurs entretiens. « 90% des entretiens sont déstructurés, regrette Maxime Legardez. Les mêmes questions doivent être posées à tous les candidats, qui doivent être mis en situation », via, par exemple, la méthode STAR –situation, tâches, actions, résultats.
Créer une expérience candidat immersive
Enfin, proposer un feed-back est indispensable. « Nombre d’entreprises ne répondent pas au candidat ou envoient simplement un template ‘ Nous sommes au regret de… ‘» Or, un candidat qui n'est pas pris, c’est un ambassadeur, un consommateur en moins. L’entreprise doit donc créer une expérience exceptionnelle du candidat refusé ».
En amont de cette sélection, la publication de l’offre d’emploi : l’entreprise doit s’assurer qu’elle est transparente et contient des détails qui vont permettre d’embaucher. Elle doit la soigner et informer le candidat sur les compétences requises, sur l’équipe, le futur du poste et les évolutions possibles, les compétences qu’il va acquérir. Les candidats regrettent de ne pas avoir plus de détails sur les offres d’emploi et de transparence dans les process de recrutement. « Celui-ci ne doit être ni trop long ni trop compliqué, ni opaque. Le pire pour un candidat est de ne pas connaître les étapes du processus de recrutement », soutient Maxime Legardez. Il faut aller plus loin qu’un site carrière où il devra créer un compte avec plusieurs étapes et plusieurs clics. « Les candidats, devenus plus exigeants, peuvent ne pas aller au bout d’un process de recrutement qu’ils jugeraient trop long, ou même, ne pas postuler si l’entreprise n’a pas pris les bons engagements auprès des consommateurs », avertit le CEO. Elle doit proposer au candidat une expérience immersive, via différents contenus, photos, audio, vidéo, et impliquer son équipe pour permettre de comprendre l’engagement de l’entreprise et d’en apprendre le plus possible sur elle. Elle doit soigner sa réputation avec une marque employeur en ligne organisée, à la fois sur son site carrières, sur les job-boards, les réseaux sociaux, Google review... Et s’interroger pour s’assurer que ses valeurs, ses missions, ses engagements, sont suffisamment visibles.
Quid du « Big Quit » en France ?
A la clé d’un bon process de recrutement ? Un gain de temps et d’argent. Un process de recrutement nécessitant en moyenne 30 heures de travail –avec 250 CV reçus en moyenne et six à dix candidats en entretien, trois à cinq fois. Un coût inestimable pour l’entreprise, quand on évalue celui d’un mauvais recrutement à 30% du salaire annuel de l'employé, en moyenne. Avec un marché de l’emploi de plus en plus tendu et des attentes des candidats qui ont changé, les entreprises se doivent de faire évoluer leur process. « Ces derniers ne correspondent pas aux enjeux de la guerre des talents », affirme Maxime Legardez. Avec « The great Resignation » (ou « Big Quit »), aux Etats-Unis, des millions d’Américains – 4,5 en novembre dernier– démissionnent de leurs jobs depuis le début de la pandémie. Tant des personnes âgées qui ont pris une retraite anticipée que des jeunes qui décident de quitter leur emploi du jour au lendemain. La France suit-elle le chemin de cette « Grande Démission » ? Le nombre de démissions des CDI s'y est accéléré au second trimestre 2021, se situant respectivement en juin et juillet, à 10,4 et 19,4% au-dessus des niveaux observés deux ans auparavant, d'après les derniers chiffres de la Dares. Certains secteurs, réputés difficiles, tels que le transport routier ou l’hôtellerie-restauration, peinent à recruter.
Autre paramètre, le besoin, pour la nouvelle génération, de trouver du sens au travail. Aujourd’hui, les engagements de l’entreprise passent avant le salaire. Ainsi, 78% des 18-24 ans n’accepteraient pas un emploi qui n’a pas de sens pour eux et seul un quart placent le salaire en premier critère pour choisir un poste. Les priorités au travail des moins de 35 ans ? L’autonomie et la quête de sens. De fait, les demandes en termes de conditions de travail sont plus affirmées. Ainsi, 50% des recruteurs estiment que les candidats sont plus exigeants concernant les conditions de travail et la même proportion d’étudiants souhaitent avoir des horaires plus flexibles dans leur futur travail. « Il y a dix ans, il suffisait d’avoir une belle marque ou un bon produit pour recruter, aujourd’hui les entreprises doivent se remettre en question car les candidats ne postulent plus », avertit Maxime Legardez.
*Entretien avec 350 DRH menés par Maki People
** Etude américaine The Validity and Utility of Selection Methods in Personnel Psychology, Frank L.Schmidt, Oct 2016
Charlotte DE SAINTIGNON