Les élus au numérique prennent leurs mégaphones

Dans le cadre de leur premier congrès national, des élus locaux au numérique appellent l’État à résorber «au plus tôt» la fracture de l'accès au très haut débit, et à reconnaître le rôle stratégique de la mairie. C'est la première fois qu'ils affirment publiquement l'importance de ces enjeux.

© sylv1rob1
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C’est une première : le 30 janvier, des élus locaux au numérique ont adressé une motion sur «Le numérique : quelles compétences pour les villes ?» au cabinet de Jacqueline Gourault, ministre à la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. C’était dans le cadre du premier Congrès  national des élus au numérique, organisé à Paris par l’association Villes Internet. Objectif : identifier collectivement les problématiques et les solutions pour mener à bien la transformation numérique locale. Huit principes fondamentaux sont affirmés dans le document.  Ils concernent  le sens et la forme à donner à la transformation numérique en cours, ainsi que le rôle que devrait être celui des différents acteurs publics, locaux et étatiques. Concernant les grandes orientations à donner au numérique, les élus se prononcent «pour une égalité d’accès des citoyens», une  «valorisation de la cohésion des territoires par le numérique», pour un numérique qui puisse se faire un outil de renforcement de la démocratie locale, et «pour une transition numérique qui accompagne la transition écologique». Autant de directions qui impliquent une responsabilité de l’État, rappelle la motion. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de résorber «au plus tôt» la fracture de l’accès au très haut débit sur l’ensemble du territoire,  ou encore «de coordonner et financer le déploiement des dispositifs publics  d’accompagnement aux usages et aux services numériques par des professionnels et dans des espaces publics dédiés (…)». Quant au rôle des collectivités, la motion s’affirme «pour une prise en compte des moyens humains et financiers nécessaires, au bénéfice des collectivités». D’après la motion, ces dernières sont en effet au cœur du sujet, qu’il s’agisse de l’implication des citoyens ou de la mise en œuvre du livre blanc «Numérique et Environnement». Par ailleurs, «le numérique ne se substitue pas aux échanges humains (…). Les mairies doivent rester le point d’entrée local du service public», affirme la motion.

Remettre la mairie «au
centre du village
»

C’est l’une des thématiques qui ressortaient fortement du débat «Pourquoi un Congrès des élus au numérique ?», organisé le 29 janvier dernier par l’association Villes Internet, en parallèle au Congrès des élus au numérique.  «En amont des élections municipales, il s’impose de construire un discours politique sur ce sujet», a expliqué Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association. Les élus présents, quelle que soit la taille de leur collectivité, sont parvenus à ces mêmes conclusions : la mairie doit demeurer au cœur des dispositifs. Et ce, notamment en raison de l’importance de l’enjeu de l’inclusion. «L’action des élus doit être d’aider à passer au mode numérique, avec le plus de douceur possible. L’enjeu est très important pour les générations qui n’ont pas connu cela et qui  doivent y passer, pour les communes rurales, pour les villes...», estime Bernard Rigault, vice-président de l’Association  des maires d’Île-de-France (AMIF) et maire de Moussy-le-Neuf (Seine-et-Marne). Côté services publics, les élus travaillent à les rendre accessibles via le numérique, et à fédérer des services entre collectivités. Toutefois, il faut également laisser subsister la possibilité que «le citoyen fasse ce qu’il fait depuis deux cent ans quand il a besoin de quelque chose : il va à la mairie (…). Il faut remettre la place de la mairie là où elle doit être, c’est-à-dire au centre du village», affirme John Billard, vice-président de l’Association des maires ruraux de France et maire de Le Favril (Eure-et-Loir). À l’ère numérique, cela prend la forme d’une mairie où le citoyen peut être accompagné dans ses démarches en ligne par une personne compétente… La question de l’inclusion est aiguë : «On s’aperçoit, au fur et à mesure,  que les services publics s’éloignent dans les territoires. Le numérique ne va pas  les remplacer. Il faut mettre plus d’humain à côté», insiste Francisque Vigouroux, maire d’Igny (Essonne).

La technologie ? Un «choix
politique
»

Ce débat et ce premier Congrès des élus au numérique ont été organisés dans le cadre de la 20e  rencontre annuelle de l’association Villes Internet. Depuis l’origine, celle-ci est engagée en faveur de la cause de l’Internet citoyen. Elle a progressivement fédéré le monde des élus et agents publics locaux impliqués dans les sujets numériques en leur permettant d’échanger en permanence, la remise de labels «Villes Internet», constituant le point d’orgue annuel de l’activité de l’association. «Aujourd’hui, 450 maires sont membres de l’association. Lorsque nous avons commencé il y a vingt ans, nous pensions qu’en trois ans, les questions d’infrastructures seraient bouclées et qu’il ne resterait qu’à s’occuper des usages», a évoqué  Florence Durand-Tornare lors du débat. En 2019, les questions d’infrastructures sont très loin d’être résolues, et celles concernant l’inclusion et les inégalités territoriales, pas plus. Partant, des dossiers nouveaux continuent de s’empiler sur les tables des élus et des agents publics chargés du numérique, comme la gestion des données publiques. Un chantier en cours s’annonce stratégique, celui de la dématérialisation des services publics pour 2022, un objectif annoncé par  le Premier ministre, Édouard Philippe, en octobre 2017. «L’objectif n’est pas simple», commente Florence Durand-Tornare. En effet, le numérique induit une possible refondation des services publics. «Il y a un choix politique dans les choix technologiques qui nous sont proposés», prévient la fondatrice de l’association. Celle-ci a noué des partenariats avec plusieurs associations d’élus généralistes, à différentes échelles, parmi lesquelles l’ADF (Assemblée des départements de France), l’AMF (Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, mais aussi l’AMRF (Association des maires ruraux de France).