Justice commerciale
Charles Cunat, président du TC de Nancy : «Les chefs d’entreprise doivent pousser la porte du Tribunal de commerce»
La vague de défaillances d’entreprises attendue n’est pas (encore) arrivée ! À Nancy, l’activité de la justice commerciale est en chute libre avec à peine 90 ouvertures de procédures collectives contre plus de 250 à la même époque en 2019. Une situation totalement artificielle par rapport à la réalité économique des entreprises. La quasi-totalité des ouvertures actuelles se solde par une liquidation judiciaire directe. À quelques semaines du Congrès national des tribunaux de commerce à Nancy (annoncé du 2 au 3 décembre), prise de température avec Charles Cunat, le président du Tribunal de commerce de Nancy.
Les Tablettes Lorraines : Après un an et demi de crise sanitaire, comment l’activité de la justice commerciale nancéienne se caractérise-t-elle aujourd’hui ?
Charles Cunat : Depuis le début de l’année, nous enregistrons l’ouverture de 85 procédures collectives (chiffre à la fin septembre : NDLR). L’an passé à la même période, le chiffre était de 101 ouvertures contre 251 en 2019. Depuis le début de la crise sanitaire, notre activité a chuté de plus d’un tiers.
Les raisons de cette chute d’activité sont connues, notamment les différentes aides étatiques et les reports des cotisations de l’Urssaf. Aujourd’hui le «quoi qu’il en coûte» est terminé, l’arrêt progressif des «perfusions» va-t-il réellement entraîner une vague de défaillances et à quel horizon ?
Cela ne sera pas un tsunami de défaillances mais il apparaît certain que tout cela va s’étaler dans le temps ! Aujourd’hui, vous n’êtes pas sans savoir que nous entrons dans une ère de campagne pour la présidentielle. Il est fort de penser que les effets, sur nos juridictions en termes d’activité, se feront ressentir à partir du début du second semestre 2022.
Quelle est la typologie des entreprises concernées aujourd’hui par l’ouverture d’une procédure collective ?
La quasi-totalité des entreprises concernées par l’ouverture d'une procédure collective, sont directement placées en liquidation judiciaire. C’est une situation quasi générale à tout l’Hexagone sauf en Île-de-France. Ce que nous craignions pour l’année prochaine, c’est de voir arriver des entreprises qui sont littéralement au bout du rouleau. Aujourd’hui, celles qui sont en difficulté ont, notamment, intégralement consommé leur PGE (Prêt Garanti par l’État).
En juin dernier, le gouvernement a mis en place un vaste plan de sortie de crise avec un important volet concernant la prévention des difficultés des entreprises, dont notamment la création d’un mandat ad hoc simplifié, une réelle solution pour pallier les problématiques à venir ?
L’objectif principal est de convaincre les chefs d’entreprise, dont notamment les dirigeants de TPE, d’anticiper leurs difficultés en se rapprochant le plus tôt possible des tribunaux de commerce afin d’obtenir un étalement de leurs dettes auprès des créanciers. Les procédures simplifiées doivent permettre d’anticiper les problématiques mais encore faut-il que les chefs d’entreprise les connaissent et les activent. Aujourd’hui, c’est plus que le bon moment pour les utiliser.
La cellule de Prévention du Tribunal de commerce de Nancy existe depuis de nombreuses années, est-elle aujourd’hui réellement utilisée par les chefs d’entreprise ?
Encore trop peu ! La prévention est depuis longtemps dans l’ADN des juges consulaires. Les nouvelles procédures simplifiées sont une chose mais le fait de pousser la porte du Tribunal de commerce avant qu’il ne soit trop tard s’affiche comme la première chose à faire pour le chef d’entreprise. Se rendre dans notre unité de prévention (Charles Cunat préfère utiliser ce terme plutôt que celui de cellule) se réalise en toute confidentialité. Les juges consulaires bénévoles sont tous des chefs d’entreprise et nous n’apprécions pas de fermer des entreprises. Nous sommes là pour tout mettre en œuvre pour que l’activité économique de nos territoires et des entreprises se poursuivent au mieux.
Propos recueillis par Emmanuel VARRIER
Congrès national en décembre à Nancy
«Faut-il supprimer le Code de commerce ?» Le titre est délibérément provocateur mais la question est vaste. Le Congrès national des tribunaux de commerce de Nancy est annoncé du 2 au 3 décembre prochain au centre de Congrès Prouvé et son thème générique devrait engendrer bon nombre de débats avec notamment les interventions de Sonia Arrouas, présidente de la Conférence générale des juges consulaires de France et d’Éric Dupont-Moretti, garde des Sceaux et ministre de la Justice.