Audience solennelle de rentrée du Tribunal de commerce d’Arras

«Les chefs d’entreprise anticipent de plus en plus leurs difficultés»

L’audience solennelle du Tribunal de commerce d’Arras s’est tenue le 19 janvier dernier sous la présidence de Jean-Luc Carbonnier, en présence de Cyril Delhaye, vice-procureur de la République d’Arras, et des personnalités représentant les autorités politiques, civiles, administratives, judiciaires et universitaires.

Intervention de Jean-Luc Carbonnier, président du Tribunal d’Arras, en présence de Cyril Delhaye, vice-procureur de la République d’Arras (à gauche).
Intervention de Jean-Luc Carbonnier, président du Tribunal d’Arras, en présence de Cyril Delhaye, vice-procureur de la République d’Arras (à gauche).

Dans son intervention, Cyril Delhaye, vice-procureur de la République d’Arras depuis septembre 2023, a indiqué «qu’il avait été décidé de créer le 1er septembre 2023 un pôle de lutte contre la délinquance économique et financière». Après ses réquisitions, il a fait un point complet de l’année écoulée et développé quelques sujets sensibles.

Les tendances 2023 en quelques chiffres

Le président a souligné les tendances 2023 par rapport à 2022, mais également 2019, année d’avant Covid. Le nombre des procédures collectives a connu un épisode de forte hausse passant de 482 (2019) à 348 (2020), 269 (2021), 518 (2022) puis 634 (2023), soit une augmentation de 22% par rapport à 2022. «Ce sont malheureusement de beaucoup de petits dossiers non significatifs qui auraient dû tomber lors des années Covid et qui ont survécu grâce au Prêt Garanti par l’État (PGE)».

Il est à noter que le tribunal gère en temps normal 600 procédures collectives en moyenne par an. «Faut-il s’attendre à une forte augmentation des procédures collectives en 2024, voire 2025, malheureusement en conséquence de la Covid toujours présente, la hausse dramatique du prix de l’énergie sur les années futures, certes en phase de régularisation. Les chefs d’entreprise vont devoir s’adapter à nouveau et assumer en même temps la continuité des remboursements des PGE».

Les ordonnances de référés passent de 90 à 113 (+25%), 97 en 2019. Les jugements au fond ont légèrement baissé passant de 339 à 327 (-3,5%), ils étaient 372 en 2019. Les injonctions de payer s’élèvent à 1 909 pour 1 384 en 2022 (+38%), 1 277 en 2019. C’est malheureusement une année record pour le Tribunal. Mais, «une bonne nouvelle, les mandats ad hoc et conciliations sont passés de 29 à 62, preuve que nos chefs d’entreprise anticipent de plus en plus leurs difficultés». 

Au niveau du registre du commerce, on constate une baisse des créations d’entreprises de 4,5% en 2022, à nouveau en baisse en 2023 passant de 5 390 à 4 832 (-10,3%).

Le guichet unique

La loi Pacte de 2019 prévoit la mise en place d’un guichet unique géré par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) qui se substitue à compter du 1er janvier 2023 aux 7 réseaux des centres de formalités des entreprises (CCI, CMA, greffe des tribunaux de commerce, URSSAF, etc.).

Le guichet unique doit recevoir sur une plateforme dématérialisée l’ensemble des formalités légales des entreprises (immatriculation, modification et cessation d’activité). L’objectif est de simplifier, moderniser et réduire le coût pour les entreprises. Un an après sa mise en service, force est de constater que les objectifs assignés ne sont pas remplis.

Le bilan est éloquent : temps multiplié par 4 pour réaliser une formalité, problèmes informatiques qui se multiplient, taux de rejet des dossiers par les organismes valideurs multiplié par 2 et supérieur à 50%, certaines formalités impossibles ou pas disponibles, fracture numérique constatée avec certains entrepreneurs, etc.

L’ensemble de ces difficultés a conduit la Cour des comptes à se saisir du dossier. «L’audit flash réalisé a conclu sévèrement : échéance irréaliste, gouvernance et pilotage du projet inadaptés, aucune perspective de résolution rapide des difficultés». Depuis un an, des procédures dites de secours ne font que compliquer les choses. Dans de nombreux cas, certains abandonnent des formalités créant ainsi une insécurité juridique.

Le président formule le vœu «que les décideurs prennent la pleine mesure de la situation et permettent de façon pérenne l’utilisation d’une voie dérogatoire par la saisine directe du greffe, comme cela a toujours été le cas avant la réforme».

Pour conclure, le président a fortement insisté sur la nécessité pour les entreprises des trois arrondissements du ressort du tribunal, de marquer son attachement à la justice consulaire : «Il nous faut sans cesse trouver de nouveaux juges». 

Trois nouveaux juges installés

. Serge Baudry, expert-comptable (retraité)

. Bernard Delbe, directeur général de la Régie régionale de Transports du Pas-de-Calais

. Jérôme Duprez, ancien dirigeant de l’entreprise familiale Moret Industries à Saint-Quentin, ancien juge au Tribunal de commerce de Saint-Quentin.

De gauche à droite : Serge Baudry, Bernard Delbe et Jérôme Duprez.