Les châteaux peuvent-ils nous aider à sortir de la crise ?
La valorisation des châteaux et moulins historiques peut-elle contribuer à dynamiser l’économie ? Ou, au contraire, ce p
Les restrictions économiques font que certains projets peuvent être remis en question », admet Isabelle Maréchal, chef du service du patrimoine à la Direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication. C’était lors du débat “Face à la crise, le patrimoine historique se présente-t-il comme un héritage trop lourd à supporter ou comme un levier économique ?” qui s’est tenu mi-novembre 2012 lors du salon international du patrimoine culturel, à Paris. L’événement réunissait restaurateurs de tableaux, spécialistes de la céramique, architectes spécialisés dans la remise en état des vieux châteaux… qui ont des raisons d’être inquiets. Peu après son entrée en fonction, la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, a annoncé l’abandon de plusieurs grands projets. Et les budgets consacrés à la restauration et à l’entretien du patrimoine ne sont pas épargnés non plus.
La quête aux mécènes
« Il est certain que les crédits pour les budgets de restauration vont être en diminution. Ce n’est pas un effondrement, mais il va falloir revoir certains projets. L’un des effets de la crise sera sans doute de différer des programmes de restauration lourds, et de réaliser plus de travaux de maintenance approfondie », précise Isabelle Maréchal. « En période de crise (…) on se dit que le patrimoine peut attendre (…) De plus il est en partie pris en charge par les collectivités locales qui récupèrent une large partie des charges sociales. Il est donc en compétition avec d’autres dépenses », analyse Françoise Benhamou, économiste du patrimoine. Certains placent leurs espoirs dans d’autres sources de financement. En 2011, d’après ses estimations, la Fondation du patrimoine a accompagné 2 330 projets, engagé des travaux pour 215,5 millions d’euros, et ainsi contribué à créer ou maintenir quelques 6 345 emplois. Cette fondation s’attache à créer des synergies entre fonds privés et publics, pour préserver le patrimoine non classé en France. Concernant l’appel au mécénat des particuliers, « ces trois dernières années, on a constaté que cet appel à la générosité n’était pas impacté par la crise. En 2011, la collecte a été de 30 % supérieure à celle de 2010. Pour 2012, on constate un tassement », commente un représentant de la Fondation du Patrimoine. Celle-ci veut aussi croire dans l’essor du mécénat des PME, pour les projets de proximité. Elle mise sur « le supermarché au bout de la grande rue, qui cherche à mettre en oeuvre sa responsabilité sociale d’entreprise et qui réalise que le patrimoine bâti est un terrain d’entente », explique le porte-voix de la Fondation. Attention, toutefois, « le mécénat ne peut pas se substituer à l’effort public, il ne peut être que complémentaire. (…) Il obéit à d’autres logiques que celles qui président à la décision publique », tempère Françoise Benhamou qui souligne également que le mécénat relève aussi de l’argent public, étant donné qu’il consiste à défiscaliser des dépenses effectuées par les entreprises.
Un secteur économique en crise
Parmi les autres outils dont dispose la Fondation du patrimoine, figure également la délivrance d’un label à certains bâtiments détenus par des propriétaires privés. Ce sésame permet à ces derniers de défiscaliser entre 50 et 100 % de certains travaux effectués, à condition que leur bien soit visible par le public. « Derrière, des entreprises peuvent exercer leur savoir-faire, ce qui a un impact sur l’emploi (…) Nous nous efforçons d’aider les artisans à transmettre leur savoir-faire. La meilleure façon, c’est de les faire travailler », commente le représentant de la Fondation du patrimoine. Pour lui, moulins et bâtisses anciennes « font le charme du paysage. Mais pas seulement. Ils sont aussi un élément majeur de la vie économique et sociale du territoire ». Partant, lorsque la Fondation distribue des subventions, grâce à une dotation que lui apporte l’Etat, « nous choisissons des projets qui impliquent des entreprises d’insertion dans leurs opérations de rénovation ». Isabelle Maréchal va dans le même sens. « Certes, il y a un peu de flou dans l’évaluation des effets économiques du patrimoine, mais, on peut intuitivement constater que les travaux de restauration non délocalisables, qui emploient des matériaux locaux sont une opération dont les bénéfices sont injectés dans le tissu économique proche », explique-t-elle. A ce titre, l’avocat Alain De La Bretesche estime que plus de flexibilité dans l’emploi serait profitable au secteur. Autre piste, « il serait intéressant de faire le lien entre cette économie solidaire et celle du patrimoine », commente l’avocat.
Les bienfaits du tourisme, un mythe ?
Il est vrai que les chiffres sont alarmants : d’après les professionnels, le nombre d’entreprises et d’emplois des métiers d’arts ne cessent de diminuer. En 2002, ce secteur représentait plus de 72 000 entreprises, contre 55 000 en 2011… Françoise Benhamou souligne, elle, la pertinence d’un travail commun entre le ministère de la culture et celui en charge des PME, qui constituent l’essentiel du secteur. A contrario, l’économiste jette une lumière crue sur le mythe de l’exploitation du patrimoine comme projet touristique capable de dynamiser l’économie. Il n’y a pas seulement des bénéfices dans ce type d’opérations : « Il y aussi la question de l’inflation sur les prix des services qui sont aussi utilisés par les habitants, les effets sur l’état de la conservation du patrimoine, sur le prix de l’immobilier, qui conduit à une forme de gentrification des villes, avec les populations locales qui sortent du centre ville. Il faut avoir une vision macro-économique et prendre l’ensemble des paramètres, ne pas avoir une vision angélique », avertit Françoise Benhamou. Pour elle, « il y a eu beaucoup d’études très discutables sur les effets démultiplicateurs du patrimoine. Par ailleurs, le patrimoine est créateur d’emplois, oui, mais un parc d’attraction en crée aussi beaucoup … A trop mettre en avant les arguments économiques du patrimoine, on risque de jouer contre la culture. Ce qui est important, c’est l’identité nationale, (…) si on investit dans le patrimoine, c’est que les générations sont imbriquées », explique Françoise Benhamou.