L'économie de la fonctionnalité et de la coopération

Certaines soirées sont décoiffantes… Vous sortez de votre atelier ou de votre bureau où, tout au long de la journée, vous avez été assailli par les mille tracas qui sont le lot des chefs d’entreprise. Vous vous dites que cette soirée organisée par le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) tombe à point : moment convivial partagé avec des gens qui ont les mêmes préoccupations que vous et occasion, pas si fréquente que ça, de prendre du recul. Vous avez été alléché par le thème de la soirée, présenté comme «Réinventer son business model». Deux heures plus tard, vous avez fait connaissance avec l’économie de la fonctionnalité et de la coopération… Récit.

Pascal Bach et Laetitia Cointement.
Pascal Bach et Laetitia Cointement.

Hervé Morcrette
Les quatre témoins de la soirée. De g. à d. : Fabien Prouvost, Julien Da Costa, Philippe Gloriant et Pascal Bach.

Hervé Morcrette

Pascal Bach et Laetitia Cointement.

 

Récemment, la section Côte d’Opale du CJD avait invité ses adhérents à une réunion plénière à l’Holliday Inn de Coquelles. La conférence qui devait conclure cette réunion statutaire était annoncée sous le libellé anodin de «Réinventer son business model». Moins anodin était le véritable objet de cette conférence : présenter ce qui s’annonce comme une révolution : l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC). Cette conférence était animée par Simon Ledez, boulonnais d’origine et délégué général des clubs Noé (ex-réseau Alliance), structure qui assure la promotion et l’accompagnement vers l’EFC.

Qu’est-ce que l’économie de la fonctionnalité et de la coopération ? L’EFC, c’est passer de la vente d’un volume de biens à celle d’une solution globale intégrant des biens et des services afin d’atteindre une performance d’usage. Cette ambition suppose le découplage de la relation entre la hausse du chiffre d’affaires et celle des consommations de matières premières. Il s’agit aussi d’intégrer dans l’offre des externalités sociales et/ou environnementales positives et négatives, l’enjeu étant de diminuer les négatives et d’augmenter les positives. L’EFC, c’est aussi redonner du sens au travail en sortant d’une logique industrielle qui pousse les entreprises aux gains de compétitivité parfois dommageables sur le plan humain. La réussite de ce modèle passe par la coopération des différentes parties prenantes. Client, fournisseurs, entreprises partenaires vont se rassembler pour coconstruire une offre. Autres ingrédients de la réussite : le développement des ressources immatérielles, l’élargissement et la transformation du périmètre d’activité et la recherche de performance globale ainsi que le développement de la responsabilité sociale de l’entreprise.

Quatre témoignages. Si M. Ledez avait exposé les fondements de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération avec intelligence et brio, pour illustrer ces notions nouvelles il fallait la force de témoignages. Les organisateurs y avaient pensé et quatre membres du CJD engagés dans la démarche ont apporté le leur : un installateur électricien, un négociant en matériel de bureau, un imprimeur et un architecte.

Pascal Bach, installateur électricien (et coprésident du CJD Côte d’Opale, voir encadré), expose être soumis, comme ses confrères, à la pression des clients, parfois des multinationales, et de ses fournisseurs qui sont assez souvent des entreprises beaucoup plus importantes que la sienne. En dépit de ces obstacles, il a participé à la fédération d’un réseau d’une centaine d’installateurs. Ces entreprises à vocation régionale ont réussi à capter l’attention d’un des fabricants d’appareils électriques les plus puissants et, en partenariat avec lui, recherche des solutions d’amélioration du produit à travers leurs vécus de terrain.     

Philippe Gloriant, négociant en matériel de bureau, souhaite «faire du business autrement». Il s’inquiète de la standardisation des machines, qui tend à banaliser son métier. Il constate que la plupart des solutions-métier sont encore celles des fabricants mais voit un espoir : les machines donnent de plus en plus d’informations et c’est en exploitant celles-ci que l’EFC fera son chemin dans sa branche d’activité.

Julien Da Costa, imprimeur, annonce, un brin provocateur : «Moins j’imprime, plus c’est rentable !» Et d’expliquer qu’il est lassé «de remplir les placards, puis les poubelles» de ses clients qui, souvent, font imprimer leurs documents à un nombre d’exemplaires surdimensionné par rapport à leurs besoins. M. Da Costa a donc mis au point un système au début duquel le client paye la prestation normalement. Au bout d’un certain temps, si des exemplaires sont inutilisés, M. Da Costa rembourse 50% de leur prix. Selon lui, payer tout de même la moitié du prix d’imprimés qui vont finir au pilon fait réfléchir le client sur le nombre optimum d’exemplaires désirés. Et l’imprimeur l’accompagne dans cette démarche en lui proposant des solutions web et d’impression «à domicile» sur son copieur.

Fabien Prouvost, architecte, a cherché d’autres solutions après avoir passé une année entière à répondre à une centaine d’appels d’offres et n’avoir été lauréat d’aucun. «La concurrence sévit dans la maîtrise d’œuvre. Les prix dégringolent et il y en a toujours un qui massacre les prix pour remporter le marché», commente-t-il. A partir de ce constat, il décide de travailler «en rupture totale» avec ce qu’il faisait auparavant. Récemment, il a soumissionné pour un marché public où ses interlocuteurs ont été séduits par la démarche EFC et lui ont permis de réécrire le cahier des charges. M. Prouvost a remporté le marché. Ce premier succès lui évitera à l’avenir le sempiternel «faites vos preuves ailleurs et revenez nous voir ensuite»…

L’EFC ne se plaque pas. Il appartenait à M. Ledez de tracer quelques pistes en guise de conclusion. L’économie de la fonctionnalité et de la coopération doit être appréhendée par les dirigeants qui, souvent trop pris par le quotidien, ont du mal à imaginer le moyen et le long terme de leur entreprise. L’enjeu est de réussir à convaincre le client et les partenaires de travailler en s’inspirant de cette méthode nouvelle. Celle-ci ne va pas de soi et ne se plaque pas sur le modèle classique qui ne disparaîtra pas d’un seul coup. Pratiquer l’EFC est le fruit d’un long travail individuel et il faut accepter de passer par une période de transition. Les promoteurs de l’EFC proclament qu’elle génère des solutions «gagnant-gagnant», acceptons en l’augure. Reste une question, au cœur de son efficacité : la valeur dégagée, comment est-elle répartie ?

ENCADRE

Le CJD Côte d’Opale

Le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) est un mouvement patronal fondé en 1938. Il se propose d’améliorer la performance du jeune dirigeant et celle de son entreprise. Son action repose sur une éthique et une conviction : l’économie doit être au service de l’homme. Mouvement national décliné dans les régions, la conférence dont il est ici rendu compte a été organisée par le CJD Côte d’Opale. La section littorale de notre région est forte de 51 membres, dont 30% de femmes. Les 51 entreprises ainsi représentées représentent 4 526 emplois et 190 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulés. Laetitia Cointement et Pascal Bash, coprésidents du CJD Côte d’Opale pour la période 2016-2018, ont placé leur mandature sous le signe de l’agilité et de la solidarité : «Soyons les entrepreneurs engagés pour réinventer nos entreprises et qu’elles deviennent citoyennes, agiles et performantes.» Outre Mme Cointement et M. Bash, déjà cités, le bureau du CJD Côte d’Opale est composé de Jean-Baptiste Givelet, secrétaire, Hélène Marlard, trésorière, Romain Féron, responsable formation, Manuel Agrard, responsable des plénières, Marion Duwat et Julien Da Costa, chargés de la communication et de la jeunesse.