Le travail dominical fait encore débat(s)

L’ouverture des magasins le dimanche faisait partie des objectifs de la loi Macron, promulguée en août 2015.
L’ouverture des magasins le dimanche faisait partie des objectifs de la loi Macron, promulguée en août 2015.
D.R.

L’ouverture des magasins le dimanche faisait partie des objectifs de la loi Macron, promulguée en août 2015.

Fallait-il vraiment généraliser le travail du dimanche dans les magasins ? La mesure touche plusieurs aspects de la vie économique et sociale : le travail, mais aussi les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, et enfin le sort des villes moyennes. 

“Pourquoi investir dans les centres commerciaux?” Ce 18 octobre, l’Association des directeurs financiers et contrôleurs de gestion (DFCG) s’interroge sur l’avenir du commerce et des points de vente, dans les salons d’un centre d’affaires parisien. Tout sourire, Anne-Laure Joumas, directrice marketing de Carmila, le promoteur immobilier du groupe Carrefour, explique pourquoi, précisément, il faut continuer à investir dans les centres commerciaux. “Le client ne peut supporter aucun coupure ; l’offre doit s’adapter aux besoins ; le loisir préféré des Français, c’est le shopping, et ce n’est pas près de changer”, décline-t-elle joyeusement. Face à elle, François Surbled, directeur administratif et financier de l’enseigne Jeff de Bruges, prend un ton nettement moins enjoué. “On construit des nouveaux centres commerciaux, beaucoup plus beaux qu’ils n’ont jamais été. Et ils sont moins rentables qu’ils n’ont jamais été”, résume-t-il. Le responsable de cette enseigne, qui “croit aux centres commerciaux et aussi aux centres-villes”, ne cesse d’interrompre le discours lisse et optimiste de la directrice marketing de Carmila. Vient le moment d’évoquer l’ouverture dominicale des commerces, un sujet qui devrait les réconcilier, tant cette évolution a été présentée comme bénéfique pour la croissance et l’emploi. “Le travail du dimanche, c’est une opération blanche”, affirme François Surbled. “Notre enseigne dispose de boutiques dans de nombreux centres commerciaux. Lorsqu’on nous dit d’ouvrir le dimanche, nous suivons, mais en tant que directeur financier, je peux vous dire que ça ne rapporte rien”, poursuit-il. Le responsable se demande, en outre, comment les promoteurs vont répartir les charges liées à cette ouverture dominicale. Autrement dit, les enseignes vont-elles devoir financer le fonctionnement des galeries commerciales? “Je laisserai la direction générale de Carrefour vous répondre”, tranche Anne-Sophie Joumas, sans se départir de son sourire. Ambiance.

Inquiétudes des salariés. L’ouverture des magasins le dimanche faisait partie des objectifs de la loi Macron, promulguée en août 2015. Dans les complexes définis comme “zones commerciales”, les établissements peuvent fonctionner jusqu’à douze dimanches par an, au lieu de cinq jusqu’alors, à condition d’obtenir un accord du conseil municipal. En outre, l’ouverture des établissements est possible dans les “zones touristiques internationales”, situées dans une demi-douzaine d’agglomérations, Paris ou des stations balnéaires de la Côte d’Azur, de l’Atlantique et de la Manche. Après quelques mois de ce régime, le sujet continue de faire polémique. D’un bout à l’autre de la France, des élus s’opposent, des syndicats se mobilisent, des manifestations s’organisent. A Plabennec (8 000 habitants, Finistère), dans la banlieue de Brest, des habitants et des salariés ont manifesté, un dimanche de la mi-septembre, contre l’ouverture du Super U, imité comme il se doit par l’Intermarché de la commune. Les salariés craignent que le travail, en principe proposé aux seuls volontaires, ne soit à terme imposé à tous. Ils s’inquiètent aussi d’une possible ouverture dominicale d’autres grandes surfaces de la périphérie brestoise, une nouvelle concurrence pour les supermarchés de Plabennec, mais aussi pour les autres commerces. Parmi les élus, la rivalité entre partisans et opposants ne suit pas les frontières politiques traditionnelles. A Lieusaint (11 000 habitants, Seine-et-Marne), le débat oppose le maire PS, Michel Bisson, à une partie de son opposition de droite. La commune abrite le Carré Sénart, dixième centre commercial de France, qui accueille chaque année plus de 14 millions de visiteurs. Le promoteur Unibail-Rodamco, propriétaire du site, espère le classement en “zone commerciale”, rapporte la République de Seine-et-Marne. Si le conseiller municipal d’opposition Pascal Liénard, issu du parti Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, est contre, ce n’est pas tant, comme en Bretagne, pour protéger les salariés, que pour préserver le principe d’un jour de repos dominical. Les commerçants du Carré Sénart, eux, partagent peu ou prou l’avis de François Surbled. “Nous avons déjà ouvert certains dimanches. C’était un bide complet”, confie une commerçante à l’hebdomadaire régional. À Flers (15 000 habitants, Orne), c’est le maire PS, cette fois, qui s’oppose à l’ouverture dominicale de deux grandes surfaces, Carrefour et Intermarché. Selon Yves Gouasdoué, par ailleurs député, ces initiatives risquent de “porter une atteinte grave au commerce de proximité de centre-ville”. Le maire a confié le dossier à un cabinet d’avocats. La crainte de la concurrence avec les centres-villes, de plus en plus touchés par la dévitalisation commerciale, préoccupe les élus. Ainsi, à Nantes, la présidente de la métropole, Johanna Rolland (PS), soutient l’ouverture les dimanches 11 et 18 décembre prochains, mais uniquement dans les villes et les bourgs de l’agglomération. Autrement dit, la mesure exclut les galeries marchandes de périphérie, qui s’estiment lésées et réclament une compensation, soutenues par le Medef de Loire-Atlantique.
Paris également se soucie de ses commerçants. La conjoncture touristique, minée par les attentats, a amené la maire Anne Hidalgo (PS) à changer d’avis. Début 2015, l’élue ne cessait de s’opposer à Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, car elle craignait l’impact de la loi sur le commerce de proximité. Mais cet automne, face à la baisse de fréquentation touristique, la maire souhaite autoriser les établissements à ouvrir douze dimanches en 2017, quitte à se fâcher avec une partie de sa majorité.

Dévitalisation urbaine. Au fond, seuls les centres commerciaux, et les élus des métropoles à certaines conditions, semblent soutenir sans réserve l’ouverture dominicale. Dans un contexte de fragilisation du tissu commercial des villes moyennes, ce n’est guère étonnant. Pourtant, le thème est curieusement absent du rapport sur la “revitalisation des commerces de centreville”, remis à la secrétaire d’Etat au Commerce, Martine Pinville, le 20 octobre. Dans ce document rédigé par l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le travail dominical n’est pas mentionné une seule fois. “Il est un peu tôt pour disposer d’éléments statistiques”, se justifie Julien Munch, de l’IGF. Mais les commerçants, rapporte-til, “indiquent qu’il leur est difficile d’étendre leurs horaires d’ouverture”. Un problème que n’ont pas les grandes surfaces, qui disposent d’un volant de main d’œuvre plus large.