Le tiers payant généralisé fait débat
Partiellement retoquée par le Conseil constitutionnel, critiquée par les médecins généralistes : la généralisation du tiers payant, mesure phare de la loi Santé promulguée fin janvier par le gouvernement, fait débat. Dans la région aussi.
La généralisation du tiers payant doit être effective d’ici à 2017, et a pour vocation de permettre aux patients qui renoncent à se faire soigner, faute de moyens, de pouvoir le faire, en n’avançant plus les frais liés aux consultations – l’euro restant à la charge du patient étant prélevé sur son compte bancaire par l’Assurance maladie. À peine émise, l’idée a rencontré l’opprobre des médecins généralistes, confortés par la décision du Conseil constitutionnel, qui a partiellement retoqué cette généralisation, la jugeant pas suffisamment encadrée pour les complémentaires. Si l’Assurance maladie doit rembourser dans un délai de sept jours les médecins, aucune garantie similaire n’est en effet envisagée pour les complémentaires.
Les généralistes contre le caractère obligatoire
Avec la généralisation, les médecins seront directement payés par les complémentaires et l’Assurance maladie, le pilotage des opérations incombant à la Caisse nationale d’Assurance maladie. C’est notamment ce caractère obligatoire qui fait bouillir les généralistes : « C’est une mesure démagogique, estime Jean-Marie Tilly, président du Conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Aisne. Nous pratiquons déjà le tiers payant généralisé pour les patients bénéficiant de la Couverture maladie universelle, ce qui est tout à fait normal, et pour ceux qui bénéficient de l’Aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS), mais pour des raisons philosophiques, je suis contre la généralisation du tiers payant, synonyme d’assistanat et de déresponsabilisation de la population. » Une fausse bonne idée donc, d’autant que comme l’explique Jean-Marie Tilly, « cette question de l’avance des frais n’est pas un vrai problème, avec l’utilisation de la carte Vitale, il n’y a pas de sortie d’argent, les patients sont souvent remboursés avant que le paiement du généraliste ne soit prélevé de leur compte ». « Les pharmaciens et les radiologues pratiquent déjà le tiers payant généralisé, il faut lever les appréhensions des généralistes. Cette décision est assez équilibrée », rassure Jean-Luc Bossée, président de la Mutualité française Picardie, ne perdant pas de vue le but premier de cette loi : « La Mutualité a mené une enquête auprès des Français, qui s’ils renoncent aux soins le font pour des questions d’argent, le projet de loi n’a qu’un objectif : faciliter l’accès aux soins pour cette tranche de la population. Il en va de la responsabilité de chacun, dont celle des généralistes, qui ont un rôle majeur de santé publique à jouer. » À l’issue de l’enquête menée en novembre dernier, il ressort que 70% des Français se disent favorables à la généralisation du tiers payant.
Solutions pour lever les craintes
Les médecins généralistes s’inquiètent également du paiement de leurs honoraires et craignent de crouler sous la paperasse administrative, redoutant d’autres dommages collatéraux – perte de leur indépendance, vérification de l’ouverture des droits du patient, augmentation des frais de santé… – « c’est une usine à gaz, le dispositif est compliqué à mettre en en place au vu du nombre de mutuelles existant en France », estime le président du Conseil départemental de l’ordre des médecins axonais, qualifiant la généralisation du tiers payant de « poudre aux yeux », pas forcément pertinente. Le jugement de Jean-Luc Bossée, président de la Mutualité française Picardie, se veut plus nuancé : « Le Conseil constitutionnel n’a que partiellement censuré ce point de la loi, celui qui concerne la seule part complémentaire, estimant que le projet n’était pas assorti de garanties nécessaires pour les professionnels de santé, c’est une réticence compréhensible. Le cahier des charges aurait dû être plus détaillé. Mais il n’y aura pas de répercussions d’ordre tarifaire. » De son côté, la Mutualité souhaite poursuivre sa mobilisation pour les patients,
en faveur du tiers payant : « Nous avons avec les deux autres familles de complémentaires – le CETIP (opérateur de tiers payant) et l’association française des assurances – mis sur pied l’association des complémentaires afin de généraliser le tiers payant auprès des professionnels de santé, qui seraient volontaires pour adhérer à ce contrat responsable », explique Jean-Luc Bossée. Un dispositif responsabilisant sur lequel l’association entend plancher jusqu’en 2017 pour faire avaler volontairement la pilule du tiers payant généralisé, « 130 000 professionnels pratiquent en France le tiers payant intégral », rappelle au passage le président de la Mutualité française Picardie. Pour atteindre son objectif, l’association compte donner aux médecins généralistes quelques garanties, en l’occurrence l’absence de surcharge administrative et des délais de paiement respectés, une expérimentation va être menée sur le premier semestre 2016, avec le déploiement d’un service en ligne pout toute demande, « un fonctionnement simple qui doit permettre de respecter le calendrier fixé par le gouvernement et de prouver aux médecins généralistes que le système est fiable, et fonctionne ». Le président de CCMO Mutuelle (implantée à Beauvais) Christian Germain est lui loin de partager cet avis, et se dit fermement opposé à cette généralisation : « Les mutuelles sont déjà les payeurs aveugles derrière la Sécurité sociale, avec ce système dans lequel les médecins généralistes seraient payés par l’Assurance maladie, en quoi nous différencierions-nous d’un assurance ? Lorsque la généralisation est faite librement, comme avec les pharmaciens, cela marche très bien ! Il faut laisser la part complémentaire et ne pas tout centraliser. Sans oublier que les dépassements d’honoraires ne rentrent pas dans le tiers payant. » Un des risques encourus selon Christian Germain : « Que les organismes ne payent pas les professionnels de santé parce que la personne n’est pas assurée, c’est une distorsion qui n’est pas envisageable, les sommes ne peuvent être réclamées aux professionnels de santé. » Pas de risques avec la CCMO qui remboursent ces derniers même si la patient n’est pas assuré et a noué un partenariat avec la Fédération des pharmaciens pour le contrôle des droits avec prise en charge dans les hôpitaux et chez certains dentistes. « Il faut sensibiliser les élus sur cette question du tiers payant généralisé, cette volonté de standardisation et cette étatisation de la mutualité est une nouvelle forme d’attaque des mutuelles, nous voulons conserver nos valeurs de proximité, être au plus proches des adhérents. Obliger les professionnels de santé n’est pas la bonne solution, il faut les laisser opter pour le tiers payant généralisé uniquement s’ils en ont la volonté, avec la possibilité de passer pas des concentrateurs qui s’occupent de leurs remboursements », explique Christian Germain, qui se définit comme un « homme de liberté ».