Le sujet de l’Europe toujours prégnant pour les transporteurs routiers

Le sujet de l’Europe toujours prégnant pour les transporteurs routiers

D.R.

Pour leur deuxième assemblée professionnelle régionale commune, qui s’est tenue le  20 octobre dernier à Entreprises et Cités à Marcq‑en‑Barœul, près de Lille, la FNTR Nord et TLF Hauts‑de‑France avaient invité Dominique Riquet, député européen et vice‑président de la commission transport au Parlement, Philippe Degraef, directeur de la Fédération belge des transporteurs, et Vincent Motyka, directeur de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Hauts‑de‑France, à une table ronde intitulée “Une Europe économique ouverte avec des frontières sociales : est-ce possible et durable ?”. 

À cette question d’actualité, “délicate, mais cruciale pour nos entreprises”, comme tant d’autres depuis l’ouverture du marché unique européen en 1993 – le cabotage en 1998, les frontières vers l’Est en 2006, l’encadrement du cabotage initié en 2010, jusqu’à l’apparition récente d’une concurrence appelée pudiquement “transport léger non établi de marchandises” qui est le fait de véhicules légers utilitaires –, les trois intervenants ont explicité leur vision respective et leur vécu du transport routier dans le contexte d’un pavillon français “pas très en forme”, où l’international ne pèse qu’à peine 9% contre 15% en Allemagne et 36% en moyenne dans l’Union européenne à 28, pour avoir vu depuis 1993 ses parts de marché dans les échanges internationaux en partance ou à destination de la France divisées par plus de 3 (de 55,7% en 1992 à 13,3% en 2014). Dans le contexte surtout d’une Europe confrontée à la tentation protectionniste de certains Etats et au renforcement de la législation sociale dans le domaine du transport par route. Pour une directive spécifique. Reconnaissant, outre des effets stimulants sur le transport de marchandises, des effets pervers, anticipés ou pas, à l’instauration du marché unique, Dominique Riquet a de suite resitué le débat dans la globalité : “La question de l’Europe, c’est d’aller vers l’harmonisation des conditions de marché, ce qui suppose que les conditions socio-économiques de marché se rejoignent très progressivement et que soit régulé le très gros différentiel économique et social, notamment sur les salaires et les charges, entre les nouveaux entrants de l’Est et les plus anciens Etats membres.” Lucide sur la nature des “camps opposés, entre les pays qui profitent de la libéralisation et les autres qui se retrouvent dans une situation de compétition anormale”, ainsi que sur la difficulté à corriger les excès faute de majorité au Conseil, voire d’unanimité, il explique que si “l’Europe n’est pas très vaillante (…), ce n’est pas l’Europe qui va mal, ce sont la plupart des gouvernements des Etats membres qui vont mal, avec une tentation de gérer et de se replier sur le national. L’Europe n’est jamais que la somme de ses Etats membres qui ne vont pas bien”. Lucide car “’interpellé comme nombre de députés par les problèmes de régulation et d’asymétrie concurrentielle”, certes, mais pas au point de désespérer ! Et de citer le sujet des véhicules utilitaires légers qu’il a réussi à intégrer dans le débat comme vecteurs du transport international. En sus de l’optimisation des moyens de contrôle par l’adoption de tachygraphes électroniques, Dominique Riquet préconise, plus qu’une révision de la directive sur les travailleurs détachés qui suscite “des réactions passionnelles”, l’adoption d’une directive spécifique sur le transport international. Mieux encore, dit-il pour s’en réjouir, “les problèmes, les excès, les fraudes sont maintenant connus et identifiés et les projets sont sur la table. On est dans une situation meilleure qu’il y a quelques années. Le pavillon français a beaucoup souffert, beaucoup d’entreprises ont disparu, et pas seulement en France, mais nous avançons dans la bonne direction”.

SMIC français minimum. Côté français, le directeur de la DREAL, Vincent Motyka, a explicité le dispositif national mis en œuvre dans le cadre de la loi dite Macron sur le travailleur détaché et qui, après l’Allemagne, veut imposer un minimum social sur tout le territoire pour les travailleurs roulants et navigants. “La loi Macron est la déclinaison de la directive européenne sur les travailleurs détachés. Nos 46 contrôleurs sur le terrain (dans les Hauts-de-France) regardent les temps de conduite, de repos… Ce qu’on rajoute, c’est si le conducteur travailleur détaché est bien payé au SMIC français, quand l’entreprise établie hors de France, que ce soit dans le transport de marchandises ou de voyageurs, fait du cabotage.” Selon lui, la présence de l’attestation de détachement remplie par l’employeur et la désignation d’un représentant en France sont bien admises par les transporteurs étrangers. Mais cette première étape de vérification “ne règle pas tout”, puisque, seconde étape, il faut vérifier auprès du représentant en France que les conducteurs sont bien payés au SMIC français. “Les agents de la DIRECCTE vont commencer, dans les semaines qui viennent, à aller vérifier le contenu des attestations sur pièces”, a annoncé Vincent Motyka qui ajoute : “On ne peut pas dire que la loi Macron règle tous les problèmes. Elle peut présenter certaines failles, mais cela ne doit pas pour autant conduire à l’inaction. Nos moyens sont-ils suffisants ? Jamais assez, même si les 46 contrôleurs sont des postes sanctuarisés. Par l’échantillonnage, nous travaillons la probabilité d’être contrôlé et sanctionné.” Sans doute ne faut-il pas s’attendre à voir tomber rapidement les premières sanctions car, indique la DREAL, “ce qui marche bien, ce sont les actions interministérielles. Les contrevenants malhonnêtes le sont souvent sur plusieurs registres”. A bon entendeur !

Une parade trouvée ? Et nos voisins transporteurs belges ? À entendre leur représentant, seul travailleur détaché de l’assistance, Philippe Degraef, s’ils applaudissent le principe du salaire minimum, ils sont d’autant plus sceptiques sur sa mise en application que le salaire minimum belge est plus élevé que le français, a fortiori que l’allemand, sauf que la législation allemande n’impose pas la désignation d’un représentant : “Ces formalités administratives prennent du temps et sont onéreuses, elles ne servent à rien. La loi Macron vise surtout les chauffeurs qui viennent d’un peu plus à l’est.” Et de questionner : “La loi Macron est-elle une vraie réponse aux problèmes de dumping social, aux problèmes de compétitivité ?” Il en est d’autant moins convaincu qu’elle ne concerne que le salarié et qu’une parade aurait été trouvée avec le statut de travailleur indépendant. À voir et vérifier. À ce stade du débat, évoquant la procédure d’infraction engagée par la Commission européenne contre l’Allemagne et la France, Philippe Degraef s’est insurgé contre la lenteur de l’Europe : “Si nous devions travailler au  rythme du politique, nous aurions déjà déposé le bilan. A nos yeux, l’Europe manque de réactivité.”

“L’Europe, solidarité des convergences”. Réponse de Dominique Riquet : “La politique n’est pas une activité de gestion. Vous ne pouvez pas comparer nos temps. Nous faisons du contrat, cela prend du temps. Nous ne sommes dans la réconciliation de points de vue, mais dans la convergence. L’Europe, c’est la solidarité des convergences, ce n’est pas le temps de l’entreprise, c’est le temps de l’Histoire. Pour les chefs d’entreprise qui y sont confrontés, c’est quand même compliqué ! Je pense pouvoir dire que nous avons beaucoup avancé.” Et au même qui regrettait que “l’Europe se soit concentrée sur la libre circulation sans beaucoup se préoccuper de l’aspect social”, réclamant “non pas moins d’Europe, mais plus d’Europe. A quand l’harmonisation fiscale, sociale ?”, le député européen a rappelé que “l’Union européenne est une entité politique régie par les traités qui lui ont confié un certain nombre de responsabilités. Le fiscal, le social sont résolument en dehors des traités et des compétences. Et on accuse  l’Europe de ne pas faire ce que les Etats membres ne lui ont pas confié !”. Quant à savoir à quelle allure l’Europe avancera, s’il se dit “inquiet”, notamment des “opinions publiques qui reviennent à des solutions nationales” et de l’accablement de l’idée européenne par les politiques nationaux, il rappelle qu’il “n’a pas fallu 50 ans pour que l’Espagne nous rejoigne. C’est un mouvement qui s’accélère, on estime que les nouveaux entrants seront en capacité de rejoindre la zone euro économique entre 2020 et 2025 et que les différentiels deviendront probablement négligeables”.