François-Noël Buffet, président de la Commission des lois du Sénat

«Le Sénat est indispensable face à une Assemblée nationale aux ordres de l’exécutif»

Président de la commission des lois du Sénat depuis septembre 2020, François-Noël Buffet connaît bien les arcanes d’une institution qui se présente comme un contre-pouvoir face à l’autre chambre qui compose le Parlement, l’Assemblée nationale. Dans un contexte politique, économique et social tendu, l’avocat, sénateur du Rhône, met en relief le caractère prépondérant du pouvoir législatif qui ne se sera jamais autant heurter à un exécutif sommé d’agir dans l’urgence.

© : Julien Thibert - «Le Sénat, via ses commissions économiques et des lois, est en contact permanent avec les tissus économiques locaux, les syndicats, les fédérations patronales et les entreprises pour être à l’écoute du terrain», assure François-Noël Buffet, président de la Commission des lois du Sénat.
© : Julien Thibert - «Le Sénat, via ses commissions économiques et des lois, est en contact permanent avec les tissus économiques locaux, les syndicats, les fédérations patronales et les entreprises pour être à l’écoute du terrain», assure François-Noël Buffet, président de la Commission des lois du Sénat.

Quelle est la santé constitutionnelle de la France en cette période de Covid-19 ?

Comptetenu de l’urgence sanitaire, nous avons demandé au Parlement de donner des pouvoirs importants à l’exécutif et au gouvernement pour lui permettre d’agir vite. Nous avons toujours veillé à rester néanmoins en position de contrôle par rapport aux actions du gouvernement pour veiller au respect des libertés individuelles. Il ne faudrait pas, avec le temps, que le Gouvernement se passe du rôle du Parlement. Je prends l’exemple sur l’amendement récent du Gouvernement qui voudrait un vote anticipé de l’élection présidentielle - c’est-à-dire pouvoir, dès le mercredi qui précède l’élection, aller voter par le biais des machines à voter. L’Assemblée nationale a jamais été saisie : la demande est venue au Sénat directement. Ce n’est pas acceptable : c’est une manière inélégante de vouloir passer au-dessus du rôle du Parlement. Un exécutif s’habitue vite à se passer de son pouvoir législatif. Il faut rester vigilant.

Le système démocratique français est-il bon ?

Le système bicaméral est fondamental entre l’Assemblée nationale et le Sénat, qui représentent respectivement la population et les territoires. C’est un système d’apaisement. Sans la commission d’enquête du Sénat, par exemple, l’affaire Benalla n’aurait jamais pu exister. Nous n’aurions ainsi jamais pu mettre à jour les difficultés de fonctionnement de la sécurité du président de la République. L’état d’urgence sanitaire, la protection des libertés… le rôle de contre-pouvoir du Sénat est indispensable face à une Assemblée nationale aux ordres de l’exécutif. Bien sûr, il faut des oppositions et des débats mais il est nécessaire d’avoir deux assemblées pour que le système fonctionne. 75 % des amendements et des modifications de textes de lois votés au Sénat sont conservés dans le système de navettes par l’Assemblée Nationale. La 5e République, telle qu’elle est conçue, fonctionne remarquablement bien. Ce qui compte, ce sont les hommes et les femmes qui l’utilisent. Mon seul regret c’est le quinquennat. Cela positionne le président de la République, à peine élu, sur le devant de la scène, quasiment en lieu et place du Premier ministre, fonction que je respecte par ailleurs. Aurait-on pu imaginer un jour, Charles de Gaulle, Georges Pompidou ou François Mitterrand s’expliquer à la télévision de quelques points d’un sujet qui relève plus du Premier ministre ou d’un ministre. Un septennat, pourquoi pas unique, pourrait ainsi redonner de la force et de la légitimité à la fonction présidentielle.

Comment se porte, selon vous, l’institution judiciaire que vous connaissez bien ?

La justice française traverse une période difficile, avec un ministère régalien qui connaît le plus de difficultés. Le rapport du Sénat, effectué en 2016 sur la justice du 21e siècle, le travail législatif sur le texte du projet de lois porté par l’ancienne Garde des sceaux, Nicole Belloubet, avec lequel nous étions en désaccord, ont plutôt démontré le positionnement du :«je fais des économies plutôt que la justice souhaitée.» Au Sénat, nous étions positionnés sur le choix de la justice que nous voulions. Elle doit rester au service de nos concitoyens et doit insuffler impérativement un sentiment de confiance absolue. Pour cela, la justice a besoin de suffisamment de magistrats, de greffiers, d’adapter ses procédures sans éloigner le justiciable de son juge et de digitaliser ses procédures. Je salue certaines avancées ainsi que l’augmentation de 8 % du budget de la justice. Les magistrats attendent d’abord d’avoir les moyens de faire leur travail : via des moyens matériels performants, mais aussi par une confiance retrouvée entre les avocats et les magistrats. Il faut que notre justice retrouve confiance en elle-même. De nombreux magistrats se posent des questions sur leur propre rôle.

Quel est le rôle, en particulier, de la commission des lois que vous présidez ?

Cette commission joue un rôle fondamental dans le système parlementaire français, particulièrement au Sénat. «Quand les lois ont parlé, ça compte», pourrai-je ainsi résumer. L’avis de la Commission est respecté, même si nous ne sommes pas toujours écoutés. Nous approfondissons systématiquement nos textes et auditionnons de toute part, en partage entre les différents groupes politiques. En cela, notre travail législatif est solide, rendant notre mission crédible au fil du temps.

Quels sont les défis économiques que le Sénat doit appréhender ?

Le rôle du Sénat dans cette crise a été de veiller au respect des libertés individuelles, tout en donnant les moyens d’agir dans l’urgence. Il était indispensable d’accompagner le monde économique. Au-delà du drame humain et personnel, ce sont des milliers de PME, de TPE et d’artisans qui fondent notre tissu économique qui doivent être accompagnés.

Quels sont les points de crispation législatifs liés à cette dimension ?

Nous avons travaillé sur les difficultés liées au port du masque, nous restons très vigilants sur la question des vaccins. Nous encourageons une vaccination massive. Je n’oublie pas que le Senat représente par ailleurs les collectivités locales. Nous avons senti une forme de retrait de la part du Gouvernement par rapport à la confiance qu’il avait en elles. Nous regrettons, qu’à un moment, il ait voulu jouer seul sans s’appuyer sur les collectivités, notamment au niveau des régions qui connaissent bien leur territoire. Dans une crise telle que nous la vivons, l’enjeu n’est pas de savoir si l’on est de gauche, de droite ou d’ailleurs mais de savoir comment on passe le cap et aider nos concitoyens. Il faut donc créer des forces de rassemblement. Je remets d’ailleurs en cause l’absence de transparence et de partage dans cette gestion gouvernementale de la stratégie sanitaire.

Les enjeux de relance économique sont aussi importants…

Le Sénat, via ses commissions économiques et des lois, est en contact permanent avec les tissus économiques locaux, les syndicats, les fédérations patronales et les entreprises pour être à l’écoute du terrain. Les remontées de nos collègues sénateurs sont nombreuses à ce titre. C’est un travail du quotidien. Nous avons bien compris que le chéquier du budget de l’État avait été ouvert. Notre endettement va au-delà de ce que nous aurions pu imaginer. À un moment, la facture devra être payée. La question reste de savoir comment. Certaines entreprises n’auront peut-être jamais les moyens de rembourser leurs avances. Faudra-t-il que la solidarité nationale prenne une part avec une partie de la dette effacée ? Il faudra prendre des décisions cruciales. L’outil économique, qui n’est pas abîmé structurellement, continue d’avancer, malgré des secteurs en énorme difficulté comme la restauration ou l’hôtellerie par exemple. Il faut que l’activité économique reparte vite. Le rôle de l’État est de gérer la crise immédiate, mais aussi de préparer la relance.

Le temps politique qui s’amorce sera-t-il compatible avec les enjeux d’urgence de relance ?

Les premières échéances électorales seront les Régionales et des Départementales en juin prochain - qu’il faut maintenir à cette date pour respecter le rythme démocratique de notre pays. La période municipale a été en cela difficile. Avant la Présidentielle de 2022, la phase que nous traversons ne sera pas neutre. Des grands sujets de sociétés vont émerger, comme celui des valeurs que nous défendons. Nous avons besoin de retrouver une forme d’apaisement. Le débat politique doit pouvoir apporter une ambition collective définie et un discours d’apaisement.

L’aspect sécuritaire et identitaire, par exemple, est-il de nature à faire vaciller cette volonté d’apaisement ?

Ces éléments seront utilisés par un certain nombre de candidats pour tenter d’opposer la population. Attention donc à leur instrumentalisation, sans pour autant les occulter car il y a de vrais enjeux. Il faut maintenir l’unité du pays derrière un destin collectif. En cela, nous ne pouvons pas accepter le communautarisme et il faut défendre des valeurs de respect entre les hommes et les femmes ou encore la liberté d’entreprendre… Il n’y pas de destin pour l’individualisme. Chacun doit pouvoir trouver son chemin, je suis par ailleurs un convaincu de la notion d’ascenseur social qui s’est effritée depuis quelques années. Il nous faut des candidats qui nous parlent des fonctions régaliennes de l’État et de leur rôle régulateur. Leurs fonctions sont essentielles il est indispensable de les réaffirmer. Il faut pouvoir recréer l’espoir de réussir dans notre pays.

Comment voyez-vous évoluer la métropole de Lyon depuis l’élection de Bruno Bernard ?

Je suis extrêmement inquiet. Notre liste portait des enjeux environnementaux réels pour des politiques vertueuses et de progrès qui soient non punitives. Le fait d’avoir été élu ne doit pas autoriser un système de décision extrêmement autoritaire. J’ai été maire pendant 20 ans et vice-président de la Communauté urbaine de Lyon pendant une dizaine d’années, au sein d’une majorité politique. Mais à aucun moment je suis allé imposer aux autres collègues élus, appartenant à un autre bord politique, telle ou telle solution. Nous avons toujours essayé d’être dans une logique de partage la plus large pour essayer de construire un bien commun. J’ai l’impression aujourd’hui que cette idée n’existe plus. Cette élection sert, à mon sens, une pensée parfois dogmatique. Le choix stratégique, au nom de l’écologie, m’inquiète aussi, car il conduit à un renfermement sur soi et nuit à une vision du développement de ce territoire. Depuis Michel Noir, le fil rouge développé par la métropole de Lyon consistait au développement économique harmonieux du territoire et de richesse partagée avec une forte implication du patronat sur ce territoire qui n’a pas cherché à aller s’installer ailleurs.

Propos recueillis par Julien THIBERT (Le Tout pour Lyon)pour Réso Hebdo Éco (www.reso-hebdo-eco.com)