Le Roubaisien Francis Picha “Entrepreneur de l’année 2016”

Francis Picha dirige depuis 1981 le groupe Trato-TLV.
Francis Picha dirige depuis 1981 le groupe Trato-TLV.
D.R.

Francis Picha dirige depuis 1981 le groupe Trato-TLV.

Après le Picard Jean-Marc Vandenbulcke en 2014 et le Flinois Pierre Berthe en 2015, c’est le Roubaisien Francis Picha, 65 ans, président de Trato-TLV depuis 35 ans, qui a reçu dans l’Atrium d’Euratechnologies ce mardi 27 septembre le Prix de l’Entrepreneur de l’année 2016 Nord de France, organisé par le cabinet EY et L’Express, en partenariat avec Verlingue, Edmond de Rothschild et avec le soutien de Bpifrance. Entretien avec ce dirigeant récompensé “pour son parcours exceptionnel et la performance remarquable de son entreprise”.
La Gazette. Les mondes français de l’éclairage et patronal régional vous connaissent bien puisque vous êtes membre des conseils d’administration de votre syndicat national et du Medef régional et membre élu de la CCI Grand Lille. Quel est votre parcours ?
Francis Picha. Le caractère entrepreneurial est quelque chose de très ancré dans notre famille. Mes grands parents étaient industriels et mon père, Michel Picha, à son retour de captivité, créé la société Trato en 1947. C’était le démarrage de l’éclairage fluorescent. Après des études en sciences économiques et à l’Institut de Préparation aux Affaires, je l’ai intégrée en 1973 à 22 ans et en suis devenu le dirigeant en 1981. Ce qui est fondamental pour moi dans ce Prix de l’Entrepreneur, c’est ce côté familial puisque le passage à la nouvelle génération est en cours depuis quelques années. Mes trois enfants, Guillaume, Julien et Dorothée et mon neveu Charley prennent le relais et ce sont eux, avec les équipes, qui mènent la forte croissance que connaît l’entreprise depuis quelques années.
Quelle est l’activité de Trato-TLV ?
Le groupe Trato-TLV conçoit, fabrique en France et commercialise dans le monde entier des systèmes d’éclairage intérieur autour deux grands départements, l’éclairage intérieur tertiaire avec une usine à Roubaix et l’éclairage pour le milieu hospitalier avec TLV une des niches du groupe implantée à Lys-lez-Lannoy qui représente un quart de son chiffre d’affaires. Le groupe totalise 210 collaborateurs et a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 46 millions d’euros, en progression de 64,29% sur la période 2012- 2015. J’aime à dire “Small is beautiful” mais aussi “Not too small”. Trato est suffisamment important pour s’attaquer à des marchés d’envergure et petit pour rester souple, flexible.Comme pour beaucoup de PME et d’ETI, la force de l’entreprise, c’est son “agilité”. Elle s’appuie sur une organisation rodée, un outil de production au top, en grande partie robotisé, avec une grande capacité de conception et de développement produits, d’innovationqui nous permet de disposer de gammes de luminaires up to date. Si, au démarrage de l’entreprise, l’émergence de l’éclairage fluorescent a pu être une révolution technologique, aujourd’hui, nous sommes entrés dans une phase de rupture technologique avec la technologie LED. Elle permet des applications qui s’étendent à des systèmes de régulation d’éclairage, mais aussi au LiFi, nouveau moyen de communication sans fil, utilisant le spectre de la lumière visible pour transmettre sans parasitage des données. C’est ainsi que de plus en plus de magasins s’en équipent à la fois pour enrichir l’expérience client et pour analyser le parcours client.
Quelles sont les recettes de votre réussite ?
Disons plutôt que nous sommes sur le chemin de la réussite, car on n’a jamais réussi dans une entreprise dès lors que l’on vise la pérennité. Avec la nouvelle génération qui arrive aux commandes, nous visons le futur en nous positionnant sur cette révolution technologique de l’éclairage. Jamais nous n’avons visé le court terme, ce qui explique que nous sommes toujours là. Nous travaillons sur les perspectives de développement avec les moyens du long terme pour assurer le futur, sans oublier qu’il faut assurer le quotidien. Le pragmatisme s’impose. Une entreprise comme la nôtre, c’est aussi une aventure humaine complexe à diriger. Faire travailler ensemble des créatifs en amont qui ont des idées, développent de nouveaux concepts et produits avec des métiers extrêmement techniques tant dans la conception qu’en fabrication, et plus en aval avec des professionnels du marketing et du commercial n’est pas toujours évident. Ce savoir-faire “travailler ensemble” tous nos collaborateurs explique une partie du chemin de la réussite de l’entreprise. Cette entreprise est un challenge permanent, parfois même un combat permanent, tant les clients sont exigeants, les fournisseurs pas toujours aisés à manier, l’environnement économique pas facile… Il faut beaucoup d’intelligence et de réactivité à tous les niveaux de l’entreprise, collaborateurs, encadrement, comité de direction.
L’éclairage, un métier de passion donc ?
Apporter l’éclairage dans n’importe quel bâtiment, dans n’importe quel endroit…, le métier de l’éclairage est assurément un métier passionnant. A l’inverse d’autres pays de l’Europe du Nord, de l’Allemagne et même de l’Italie, la France n’a que tardivement pris conscience que l’éclairage fait vendre dans les commerces, qu’un bon éclairage dans les bureaux et dans les usines améliore la qualité du travail, qu’il contribue au bien-être des patients et du personnel soignant dans les hôpitaux, améliore la sécurité dans les gares et stations de métro etc.. Cette prise de conscience est aujourd’hui ancrée et la technologie LED y contribue largement. Travailler au confort visuel, à la qualité de la lumière rend le métier passionnant. Tout comme travailler à l’international, même si le contexte international n’a jamais été aussi compliqué. C’est à nous de développer les bons concepts et les bons produits pour y réussir, à nous de trouver de nouvelles zones de développement, nous sommes présents dans une quarantaine de pays où nous ciblons essentiellement l’éclairage des boutiques de luxe et l’éclairage en milieu hospitalier, pas d’éclairage standardisé, mais avec des produits spéciaux, sur mesure, à forte valeur ajoutée. Trato-TLV peut s’appuyer sur son avance acquise dans le développement de ses produits et concepts ainsi que dans ses process de fabrication. Nous avons une filiale commerciale en Italie et une autre au Brésil où se fait l’assemblage pour ce marché et les marchés environnants. Nous devons y être car nous ne pouvons plus y exporter directement, tant les taxes douanières sont élevées. Nous ferons probablement de même en direction d’autres pays, mais cela prendra un peu de temps … Ce sont des projets qui sont dans les cartons pour le futur. L’export représente 30% de notre activité.
Et toujours une ETI familiale ?
A 100% familiale. J’aime citer le philosophe et écrivain français Ernest Renan : “Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé”. Mon père Michel, mon frère Jean-Michel qui a occupé une fonction de directeur commercial, tous les collaborateurs qui ont oeuvré à son développement, sont toujours présents dans l’entreprise, car il faut construire le futur sur des bases solides que sont le passé et le présent. Une entreprise sans mémoire est une entreprise sans avenir. Aujourd’hui, et c’est valable dans toutes les entreprises familiales, c’est un vrai plaisir d’avoir mis l’entreprise sur de bons rails, d’avoir la pérennité assurée avec trois enfants et un neveu en son sein. Ils sont jeunes avec chacun leurs responsabilités complémentaires et la responsabilité globale par leur présence au sein du comité de direction.
Qu’a changé le passage du statut de PME à celui d’ETI ?
On se sent mieux sur le plan du business. Nous nous sommes attaqués progressivement à des marchés de plus en plus importants. Ces deux dernières années, notre croissance a été de 40%, alors que celle du secteur de l’éclairage a été pratiquement égale à zéro. Nous la devons à l’organisation globale de l’entreprise, à son agressivité commerciale, à sa politique d’investissements en R&D et en production, C’est en acquérant en quelques années cette capacité à nous attaquer à des marchés importants que nous avons fait de la croissance, gagner de gros clients, de grands noms de la distribution…
Comment rester dans la course ?
Par l’innovation et la compétitivité. C’est fondamental. Il nous faudra pour le futur rester très vigilants car la France est globalement très mal placée dans la compétition internationale, tous ses ratios économiques sont parmi les moins bons, coût du travail élevé, durée du travail des plus courtes, impôt sur les sociétés le plus élevé, taxes élévées… Les entrepreneurs font la course contre leurs concurrents européens avec des boulets aux pieds, cela dure depuis 20 ans… Les grosses PME et ETI françaises sont des génies pour arriver à encore être des compétiteurs concurrentiels ! Si l’État comprenait cet état de fait et s’attaquait à ce problème, je suis certain que le taux de chômage serait de 5%. La France a des atouts fantastiques, d’excellentes écoles d’ingénieur et de commerce, un territoire qui attire… et nous sommes les derniers de la classe. Si tout le monde pouvait faire un effort de compréhension ! Le drame absolu, c’est le chômage. Quand j’ai repris l’entreprise, elle comptait 45 salariés et aucun avec le baccalauréat, aujourd’hui elle en totalise 220 dont une cinquantaine d’ingénieurs et cadres. Si tout le monde avait fait de même ! Ce que je demande très souvent pour les entreprises, que ce soit au Medef, à la CCI Grand Lille ou au syndicat de l’éclairage dont je fais partie, c’est d’être à égalité de traitement dans la moyenne européenne pout tout ce qui régit l’activité de l’entreprise, fiscalité, réglementations, code du travail etc…
Quels conseils pourriez-vous prodiguer ?
Sur le plan de la stratégie, c’est de bien définir la dimension de l’entreprise que l’on veut atteindre. Faire de la croissance pour la croissance ne rime à rien. L’important,c’est de bien se positionner par rapport à son marché, à sa concurrence. C’est ce qui fera que l’entreprise sera gagnante et performante, qu’elle pourra se développer. Cela ne signifie pas mettre un frein au développement, mais être très percutant sur ce type de décisions. Une boutade, pour en terminer, PDG veut dire Prof De Gym… C’est-à-dire veiller à la réactivité, à la flexibilité, à la souplesse… en résumé, être agile !

Jean-Luc DECAESTECKER