Le pluriel et le putatif...
C‘est une déception. Après l‘union consulaire en 2010, après la célébration en Conseil régional du projet portuaire “Calais port 2015” à l‘été 2013, après la création du Pôle métropolitain cette année, la signature de la délégation de service public de la Région à la CCI a été repoussée faute d‘entente... Un rapport national, rédigé en mai dernier par la sénatrice du Morbihan Odette Herviaux, montre les enjeux des affaires portuaires régionales.
L es sempiternelles bisbilles entre les ports de Boulogne-sur-Mer et Calais perdurent derrière l’entente de façade qu’entretiennent les élus consulaires des deux territoires : la CCI régionale n’a pas encore signé la convention de délégation de service public des deux ports qui appartiennent au Conseil régional. Depuis plus de cinq ans, la Région essaie de mettre d’accord les deux territoires, toujours aussi opposés sur la stratégie portuaire (transmanche à Calais, pêche et transformation à Boulogne-sur-Mer). Sauf que la pêche est en déclin et que le transmanche est très rémunérateur… Appuyée par le ministre des Transports, la commune de Boulogne met la pression. Du retard dans le plan de financement du projet Calais port 2015, et certains désignent – en coulisses – la vindicte de Frédéric Cuvillier. Daniel Percheron, président du Conseil régional, n’y peut rien mais les objectifs territoriaux ne sont pas conciliables. La fusion des ports n’est plus le chemin le plus simple sur lequel tous les acteurs s’étaient engagés, il y a une année, lors de la plénière du Conseil régional qui avait adopté le projet : les conseils portuaires du début juillet ont préféré ajourner la question tant les positions des Boulonnais et des Calaisiens divergent.
Beaucoup de questions… Une gouvernance impossible ? Ainsi, à Calais et Boulogne, le délégataire serait une société groupant la CCI, la CRCI, des partenaires financiers et le Grand Port Maritime de Dunkerque pour une participation. Mais pas Eurotunnel dont il avait été question un moment… Et le rapport d’interroger d’une manière générale : “Les questions que l’autorité portuaire ne peut manquer de se poser, au moment de rédiger un appel d’offres de délégation de service public (DSP), sont les suivantes. Quels sont les engagements que le délégataire peut supporter en matière d’investissements ? Dans quel champ, est-il raisonnable, et donc souhaitable, d’exiger de lui une exploitation ‘aux risques et périls’ ? Quelle marge de manœuvre le délégant laisse-t-il au délégataire pour élargir son champ de pleine responsabilité ? Comment l’autorité portuaire s’assure-t-elle que le délégataire travaille bien dans le sens de l’intérêt général de la place portuaire et en particulier du développement à court et plus long terme de l’activité commerciale ? Comment obtient-elle une amélioration continue de l’efficacité économique du délégataire ? Comment l’autorité portuaire contrôle-t-elle que le délégataire respecte bien l’ensemble des réglementations applicables, existantes et à venir ?” Des interrogations qui font écho aux intentions de tous les acteurs des ports de Calais et Boulogne-sur-Mer. Et le rapporteur d’ajouter : “En termes concrets, il va s’agir notamment de définir les situations qui dépassent le contrôle du délégataire, et donc de prévoir la couverture par l’autorité portuaire des conséquences en résultant. La simple prise en charge par le délégant de la valeur nette comptable des investissements en fin de concession ne peut suffire à clore ce débat. La prise en charge de la dette peut avoir des effets pervers… Autrement dit, une analyse rigoureuse des risques et des moyens de les parer est un prérequis à toute DSP. Force est de constater que celle-ci ne ressort pas partout des pièces consultées ou des échanges menés durant la mission. Il est patent que les risques dépendent largement du champ de la délégation. Toute inclusion d’infrastructures, en maintenance ou encore plus en investissement, accroît de façon très forte le niveau des risques financiers du délégataire car ce sont des coûts fixes. Une définition très précise des conditions de sortie est indispensable.” Ignorant la suite des événements, Odette Herviaux ajoutait même qu’une DSP “n’est donc pas, par nature, pleinement sécurisante. Le contrat de la DSP des ports de Calais et Boulogne, en cours de négociation entre la Région Nord-Pas-de-Calais et le groupement conduit par la chambre de commerce et d’industrie de la Côte d’Opale, pourrait apporter des novations à cet égard”…
Investissements “décentralisés”, surcoût “sécuritaire” et taxe “collective” ? Point positif, le rapport met en exergue une vérité comptable : l’Etat entretenait mal ses ports. La décentralisation a montré que les nouveaux dépositaires en prenaient soin : “Toutes les autorités portuaires de ports décentralisés dans le cadre des lois de 2002 et 2004 ont très fortement investi à partir de 2008-2009, tout d’abord dans des opérations de remise en état et de rénovation des infrastructures portuaires ou d’accessibilité, et parfois dans des projets d’extension de capacité ou d’adaptation à de nouvelles perspectives. Globalement, les investissements annuels sur cinq ou six ans ont été de cinq à dix fois supérieurs à ceux engagés par l’Etat les dix années précédentes.” Dont acte. Pour autant, la question de leur financement, notamment en termes de sécurité, reste un réel point d’accroche. Si le traité du Touquet prévoit des mesures complémentaires spécifiques de sûreté sur l’axe Calais-Douvres (entraînant des surcoûts importants pour la CCI Côte d’Opale), c’est la compétitivité du port qui est touchée. Le rapport indique ainsi qu’à Calais, “les frais correspondant, à la charge du concessionnaire, seraient de 10 à 15 millions d‘euros/an (de l’ordre d’1,3 euro par passager). La Région demande que cette somme fasse l’objet d’une taxe spécifique de façon à alléger d’autant les frais imputés à la CCI qui pèsent aujourd’hui sur l’image donnée par le concessionnaire (syndrome des frais de notaires). (…) Le coût par passager dans les autres ports est plutôt de l’ordre de 0,5 euro, sauf cas particulier”. Est-ce cette moins-value en termes de compétitivité qui oppose les acteurs des ports régionaux ? Peut être, mais la gouvernance semble être la cause essentielle de la désunion : un paragraphe de l’étude portuaire nationale semble viser les ports de la région. On lit en effet, page 39, des choses pertinentes sur la concertation entre acteurs publics et privés : “Le Conseil portuaire, composé d’au moins 20, et souvent de plus de 40 personnes, et compétent sur de multiples sujets, n’est pas un lieu où les professionnels peuvent partager, dans le détail, leurs préoccupations et contribuer à améliorer l’attractivité portuaire. Les professionnels appellent, là où elles n’existent pas encore, à la constitution de commissions spécialisées suffisamment larges en nombre mais bien limitées en enjeu pour être efficaces. à ce titre, une commission de l’exploitation et des tarifs réunissant les acteurs portuaires et une commission du développement, associant notamment des chargeurs, des armateurs et bien sûr les professionnels portuaires, seraient, par exemple, les bienvenues dans les principaux ports.” Tel n’est pas le cas pour les ports de Calais et Boulogne-sur-Mer où les entreprises n’ont pas droit de cité. Une solution reprise par l’étude serait de “faire intervenir (…) des organisations professionnelles ou des représentants des branches industrielles de façon à apporter une vision large des enjeux, complémentaire de celle des professionnels impliqués. L’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) estime qu’ainsi, on pourra mieux éviter des investissements inutiles ou redondants dont l’effet est souvent de majorer les tarifs. De façon générale, les clients des ports, qu’ils soient armateurs ou chargeurs, souhaitent être davantage traités en clients et non en usagers”. Engagée dans le projet Calais port 2015 auquel il manque des financements d’Etat et de l’Europe, la Région n’avait pas besoin d’une énième désunion sur la Côte d’Opale. Les ports de Calais et de Boulogne fonctionnent sur des concessions attribuées en 1975 pour 50 ans. Les acteurs du dossier ont encore une décennie pour en finir…