Le parcours laborieux du CV anonyme
Outil destiné à lutter contre les discriminations à l'embauche, le CV anonyme continue de faire débat... huit ans après son instauration. En attendant de nouvelles propositions pour 2015. Le délai imposé par le Conseil d'État pour les décrets d'application ne sera pas tenu.
Pour ou contre le CV anonyme ? Cette question a trouvé un début de réponse dans la loi du 31 mars 2006, relative à l’égalité des chances. L’actuel article L. 1221-7 du Code du travail prévoit, en effet, que dans les entreprises d’au moins 50 salariés, les informations demandées au candidat à un emploi et qu’il communique par écrit «ne peuvent être examinées que dans des conditions préservant son anonymat. Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État.» Le vote de ce texte a donné lieu, en son temps, à d’âpres discussions, notamment quant à son efficacité réelle. En juillet 2011, après une expérimentation, Pôle emploi estimait que le CV anonyme «n’améliore pas, en moyenne, les chances d’accéder à un entretien d’embauche pour les publics susceptibles d’être discriminés». Son impact était même jugé négatif sur les taux d’accès aux entretiens des candidats issus de l’immigration ou résidant en zones urbaines sensibles (ZUS) ou couvertes par un Cucs (contrat urbain de cohésion sociale). Toutefois, l’organisme relevait «des différences importantes en fonction de certaines caractéristiques des recruteurs. Ainsi, le recours au CV anonyme agit contre la tendance des recruteurs à privilégier des candidats du même genre qu’eux-mêmes». Autre constat de Pôle emploi, l’effet défavorable, en moyenne, du CV anonyme sur les chances d’accès à l’entretien des candidats exposés au risque de discrimination pouvait s’expliquer par le profil spécifique des entreprises volontaires pour participer à l’expérimentation. Enfin, c’est «dans certaines configurations, peu fréquentes, que l’usage du CV anonyme a eu pour effet de modifier les pratiques des recrutements et de réduire les risques de discrimination dans l’accès aux entretiens d’embauche, voire à l’emploi».
Mise en place complexe
De tels résultats, peu probants, n’incitaient guère le gouvernement à prendre les décrets correspondants. Après une première tentative d’un étudiant en droit pour forcer le gouvernement à prendre position en novembre 2010, la section Modem de Sciences Po, le 3 mai 2011, sous l’impulsion de son président, Vincent Chauvet, puis, plus récemment, l’association «Maisons des Potes», qui œuvre dans les quartiers défavorisés, estimant qu’il n’était pas normal qu’en France des lois soient votées sans jamais être appliquées, ont saisi le Conseil d’État. Le 9 juillet, ce dernier a annulé le refus implicite du Premier ministre de prendre le décret d’application de la loi sur le CV anonyme et l’a enjoint à le faire dans les six mois à compter de la notification. On notera cependant qu’aucune astreinte financière n’a été prononcée en cas de non-respect de ce délai ! La réponse -pour le moins ennuyeuse- revient donc au gouvernement. Depuis 2006, les pouvoirs publics se sont aperçus que la mise en œuvre de cette mesure était complexe. Qui plus est, ni les syndicats de salariés, ni les employeurs ne semblent demandeurs de ce dispositif. Dans ce contexte, et afin de gagner du temps, le ministère du Travail mettra sur pied un groupe de travail composé de syndicats, d’entreprises, d’associations, de représentants de l’État afin de dégager des propositions début 2015… et de revoir le contenu des obligations prévues par la loi de 2006. Réunir une commission pour détricoter un projet et légiférer sur de nouvelles bases… l’idée n’est pas nouvelle ! Elle tombe toutefois à pic dans le contexte actuel.
françois.taquet.avocat,
conseil en droit social