Entretien
Frédéric Lemoine, président de l’ANDRH Lorraine Centre : «le management de confiance s’impose aujourd’hui.»
Quel avenir pour le travail et son organisation ? Après deux ans de crise sanitaire, l’organisation managériale a été complètement chamboulée. Avec le développement (contraint ou forcé) du télétravail, le management dit hybride apparaît s’être imposé. Le rapport même à la notion de travail, avec cette fameuse quête de sens additionnée à une recherche réelle de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, entraîne une nouvelle approche des collaborateurs déjà présents mais surtout des futurs recrues. En première ligne de ces évolutions, voire révolutions, les responsables des ressources humaines. Décryptage avec Frédéric Lemoine, président de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) Lorraine Centre.
Les Tablettes Lorraines : Après deux ans de crise sanitaire, l’organisation managériale a littéralement été chamboulée avec notamment la démocratisation du télétravail. Le management dit hybride apparaît s’imposer. Comment les responsables de ressources humaines appréhendent-ils cette nouvelle donne ?
Frédéric Lemoine : Les évolutions du management ne se limitent pas au seul management hybride. C’est une certitude, le télétravail s’est imposé d’une façon contrainte et forcée dans bon nombre de cas, puis il s’est démocratisé. Aujourd’hui, il est impossible de ne pas parler de télétravail et surtout de ne pas l’évoquer lors d’un entretien d’embauche. Certaines entreprises y sont aujourd’hui habituées et l’ont parfaitement intégré. Tous les secteurs, ou fonctions, ne sont tout simplement pas télétravaillables. Vous prenez l’exemple du Bâtiment ou encore de l’Industrie, le télétravail est tout simplement impossible sauf pour les fonctions supports. Même dans des services où le télétravail est possible à quasiment 100 %, le management et la gestion organisationnelle ne peut se faire qu’avec ce que je qualifie de temps collectifs.
Un genre de mix entre présentiel et distanciel ?
Cela va beaucoup plus loin que la simple distinction entre une présence effective ou non des collaborateurs. Déjà avant la période de la Covid-19, le mix entre présentiel et distanciel était présent. Les professions nomades, celles dont l’objet est de faire du terrain à l’image des commerciaux, étaient déjà absentes des locaux des entreprises mais elles y étaient à des temps bien précis. Aujourd’hui, la grande question pour les managers est de savoir comment assurer ces fameux temps collectifs. Ils sont tout simplement indispensables pour maintenir un esprit d’équipe, un travail collaboratif et surtout une solidarité entre les différents membres de la société.
Comment maintenir aujourd’hui cet esprit d’équipe après des périodes plus que délicates, qui sont, peut-être d’ailleurs loin d’être derrière nous ?
Manager à distance est une chose difficile ! Au plus fort de la crise sanitaire, les managers ont été encore plus entre le marteau et l’enclume avec une charge émotionnelle importante. Ils ont fait au mieux et chacun a réagi à sa manière ! Certains se sont tout simplement coupés de leurs émotions mais à force la tension émotionnelle cumulée n’aboutit qu’à l’explosion. Bon nombre d’enquêtes et de baromètres ont d’ailleurs mis en avant les nombreuses difficultés et une certaine déprime de certains face à la situation. A contrario, cette période a également permis de révéler des capacités managériales chez quelques-uns des collaborateurs. Une nouvelle approche s’est imposée et la fonction même de responsable des ressources humaines s’est renforcée. Leur rôle a été central pendant la crise sanitaire et il le sera encore plus après.
Quelle est cette nouvelle approche ?
Le management de confiance ! Le fait d’être à distance a entraîné un renforcement de la confiance nécessaire entre les différentes strates de l’entreprise. Les cadres, les accords au niveau de l’organisationnel pur sont indispensables mais aujourd’hui, encore plus qu’hier, si vous n’avez pas cette notion de confiance, c’est quasiment impossible. Le management de confiance s’impose tout simplement aujourd’hui. S’il n’y a pas cette confiance, le risque est d’aboutir à un management totalement décharné.
Comment aboutir à cette confiance, quelles sont aujourd’hui les principales qualités qu’un manager doit avoir ?
L’écoute, la capacité réelle à donner un cap et être authentique ! Le manager se doit aujourd’hui d’écouter un collaborateur, mais juste l’écouter sans vouloir à tout prix trouver une réponse à la problématique. Même si on parle beaucoup du développement de la digitalisation, de l’intelligence artificielle et surtout de ce management hybride, l’humain demeure le moteur principal. Le reste n’est qu’outils à maîtriser, à utiliser d’une façon ciblée et pertinente. Une série d’algorithmes ne résout pas l’important.
Quand vous évoquer le terme d’authenticité du manager, à quoi pensez-vous ?
Le manager doit accepter que dans certaines situations, il n’a pas fait les bons choix ou tout simplement qu’il ne sait pas. Cela permet d’aboutir à une réelle transparence et renforcer le sens même de la coopération entre les différentes composantes de son organisation.
Transparence, authenticité, ces termes résonnent avec celui de quête de sens. Elle apparaît s’être affirmée dans l’univers de l’entreprise chez les collaborateurs, et chez les managers également, est-ce un effet de mode ou une tendance de fond ?
C’est chez les collaborateurs et encore plus chez les futurs collaborateurs que les responsables de ressources humaines rencontrent, au cours d’un processus de recrutement, cette quête de sens. Elle est surtout révélatrice de la capacité de l’entreprise à avoir une réelle responsabilité sociale et environnementale. Les gens entendent s’engager, s’investir, dans une entreprise qui possède un minimum de valeurs en adéquation avec les leurs. L’impact social et l’empreinte environnementale de l’entreprise sont des critères importants.
Tout comme la recherche d’un réel équilibre entre vie professionnelle et vie privée ?
La crise sanitaire a été un formidable révélateur de cette donne. Chez la jeune génération, les 18-24 ans, c’est une priorité indéniable tout comme le salaire et l’ambiance au sein même de l’entreprise. Depuis quelques temps, ces aspirations ont gagné également les autres générations.
C’est l’une des explications des difficultés de recrutement que certains secteurs affirment rencontrer aujourd’hui ?
Il y a un avant et il y aura un après Covid-19 ! La notion même de métiers dits sous tension n’a quasiment plus lieu d’être. Tous les secteurs d’activité, même ceux que l’on ne se doutait pas il y a encore deux ans, rencontrent des difficultés de recrutement. L’attractivité de l’entreprise est l’un des principaux enjeux des managers. Il est indispensable de former les managers aux nouvelles réalités du recrutement. Il faut travailler sur la culture de l’entreprise, l’intégration dans l’entreprise, la formation dans l’entreprise. Il est indispensable de se réinterroger sur la manière de faire les choses. La fonction managériale est en pleine mutation. Les collaborateurs, tout comme les futures recrues, recherchent une véritable relation avec leur manager. Dans cette optique, le manager se doit aujourd’hui d’être tout simplement exemplaire.
Propos recueillis par Emmanuel VARRIER
La fonction RH renforcée…
60 % des responsables de ressources humaines assurent que leur fonction a acquis plus de poids et d’influence pendant la pandémie ! C’est ce qui ressort de l’enquête sur le futur du travail à l’horizon 2025 réalisée par l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) et parue début mars. Face à une démocratisation du travail hybride et une demande de plus en plus importante de flexibilité, les RH semblent voir leur sphère d’action étendue, notamment, pour faire face à la transformation digitale et environnementale de l’entreprise.