Le malaise des petits exploitants nourrit la colère agricole en Allemagne

Depuis plus d'un siècle, la famille de Marc Bernhardt gère une exploitation de vaches laitières, dans la campagne saxonne, dans l’est de l’Allemagne. Mais passer le flambeau à une...

L'éleveur Marc Bernhardt dans sa ferme de vaches laitières, le 10 janvier 2024 à Freital, dans l'est de l'Allemagne © JENS SCHLUETER
L'éleveur Marc Bernhardt dans sa ferme de vaches laitières, le 10 janvier 2024 à Freital, dans l'est de l'Allemagne © JENS SCHLUETER

Depuis plus d'un siècle, la famille de Marc Bernhardt gère une exploitation de vaches laitières, dans la campagne saxonne, dans l’est de l’Allemagne. Mais passer le flambeau à une nouvelle génération sera difficile, prévient l'éleveur.

Ses coûts de production ont augmenté de "40%" depuis la guerre en Ukraine, et le prix de son électricité a bondi de "50%", dit-il à l’AFP. "Si on continue comme ça, on devra faire autre chose", déplore l’agriculteur de 37 ans, installé à Freital, au sud de Dresde.

Alors que les revenus moyens des agriculteurs allemands ont grimpé de 45% l'an dernier, les exploitations familiales, qui représentent la moitié des entreprises du secteur en Allemagne, souffrent toujours de coûts de production élevés qu’elles peinent à assumer.

Des difficultés qui peuvent expliquer l'ampleur de la mobilisation des agriculteurs depuis le début de l'année contre la suppression d'avantages fiscaux pour le diesel agricole.

Des milliers d'entre eux étaient rassemblés avec leurs tracteurs lundi à Berlin, devant l'emblématique Porte de Brandebourg, pour clôturer une semaine de mobilisation contre ce projet.

Même travail, moins d'argent

Dans son exploitation d'une centaine de vaches laitières, où il cultive aussi des céréales et du maïs, Marc Bernhardt travaille seul avec son père. Ce dernier avait repris la ferme au début des années 1990, revenue à la famille après des années de collectivisation sous le régime communiste de l'Allemagne de l'Est.

Aujourd'hui, la production laitière est entièrement automatisée, les vaches allant d’elles-mêmes vers la machine de traite, qui fonctionne sans intervention humaine. Un robot aspirateur fait régulièrement le ménage dans l’étable.

Pour Marc Bernhardt, la suppression des exonérations sur le diesel entraînera une baisse de "10 à 15%" de ses subventions. En Allemagne, plus de la moitié des revenus agricoles dépendent des aides publiques.

"C’est injuste de fournir la même quantité de travail, pour moins d’argent", proteste le solide barbu.

Membre d'un collectif indépendant d'agriculteurs, il s'est lui aussi rendu à Berlin pour manifester lundi.

La suppression des niches fiscales a été décidée pour boucher les trous du budget 2024 du pays, après un rappel à l'ordre de la Cour constitutionnelle. 

Le gouvernement a estimé qu'avec la hausse des revenus des agriculteurs ces dernières années, la branche pourrait absorber ces augmentations de coûts.

"C'est une juste contribution", s'est défendu le ministre des Finances libéral Christian Lindner lundi devant les agriculteurs à Berlin. "Mon but n'est pas d'affaiblir l'agriculture", a-t-il lancé, sous les sifflets des manifestants.

Selon les chiffres du secteur, les agriculteurs allemands ont dégagé en moyenne un bénéfice annuel de 115.400 euros en 2023 dans le cadre de leur activité principale: un record et environ 45% de plus qu'en 2022.

Ces bons résultats s’expliquent par les "hausses de prix à court terme" sur les marchés ces deux dernières années, sur fond d'inflation dans l’ensemble des pays développés, précise à l’AFP Martin Odening, professeur d'agroéconomie à l'Université Humboldt de Berlin.

Diversifier ses revenus

Mais "il ne faut pas oublier les pertes des années précédentes, d'autant que les prix restent volatiles", fixés sur des marchés mondiaux, souligne M. Odening. Certains ont d’ailleurs déjà diminué récemment, notamment le lait.

Surtout, le niveau de revenu "n’est qu’une moyenne", relève l’expert. "Certaines exploitations n’ont pas réussi à compenser la hausse des coûts avec cette hausse du chiffre d’affaires", signale-t-il. 

A cela s’ajoutent pour les petites structures de coûteux investissements pour respecter les normes environnementales ainsi que les difficultés pour trouver de la main-d’œuvre et un repreneur lorsque l'exploitant part à la retraite, selon une étude de la DZ Bank.

Ces facteurs rendent difficile la survie économique des fermes familiales et des petites et moyennes structures, alors que la concurrence internationale impose des niveaux de rentabilité toujours plus importants. 

"On se demande vraiment si cela vaut encore le coup d’avoir une petite exploitation comme la nôtre", témoigne Nathalie Diebow, 26 ans, actuellement en formation, qui a manifesté jeudi dernier à Cottbus (est).  

Le nombre de fermes en Allemagne, en baisse de 12% entre 2010 et 2020, devrait passer de 256.000 actuellement à 100.000 d'ici 2040, selon DZ Bank. Avec ce phénomène de concentration, leur taille moyenne devrait passer de 64,8 à 160 hectares. 

Pour diversifier ses revenus, Marc Bernhardt a quant à lui décidé d'ouvrir une auberge, une ferme éducative et d'installer des panneaux solaires. Mais rien ne remplacera pour lui la production de lait: "J'ai ça dans le sang."

34EU8ZU