Le maire et les voies privées ouvertes à la circulation publique
Les communes ne sont pas seulement traversées de voies appartenant à des administrations (communes, départements, etc.). On y trouve aussi parfois des voies qui sont le bien de propriétaires privés, qu’il s’agisse de particuliers ou de personnes morales (sociétés notamment). Dès lors que ces voies sont ouvertes à la circulation publique, le maire peut, et doit dans certains cas, y exercer ses pouvoirs. Lesquels constituent autant de droits et devoirs pour les propriétaires de la voie. Explications en dix questions.
1. A quoi reconnaît-on l’ouverture à la circulation publique des voies privées ? Cela dépend seulement du consentement exprès (notamment par convention avec la commune) ou tacite du propriétaire de la voie. Le fait que celle-ci soit empruntée par quelques personnes sous la surveillance d’un préposé est considéré comme un élément tendant à affirmer le caractère privé de la voie. En revanche, lorsque les voies sont ouvertes à tous, sans contrôle ni restriction, c’est-à-dire que toute personne peut l’utiliser – non seulement les propriétaires, les fournisseurs mais également les promeneurs –, elles sont considérées comme ouvertes à la circulation publique. Le code de la route y est d’ailleurs applicable.
2. Un maire peut-il imposer l’ouverture ou la réouverture à la circulation publique d’une voie privée ? Non. Le propriétaire d’une voie privée est en droit d’en interdire à tout moment l’usage public, même si la commune en assure l’entretien. Si la voie appartient à plusieurs propriétaires, le refus d’un seul suffit.
3. Le maire doit-il y exercer ses pouvoirs de police ? Oui, exactement comme s’il s’agissait de voies publiques. Comme le lui impose le code général des collectivités territoriales (art. L. 2213-1 et L. 2212-2), il pourra ainsi y limiter l’accès de certains véhicules comme y réglementer le stationnement. Le Conseil d’Etat a reconnu la légalité d’une décision d’interdiction de stationnement sur une partie d’une voie privée pour assurer la sécurité de l’accès à une crèche et une bibliothèque et faciliter la circulation (CE 29 mars 1989 – n°80063), ou encore l’interdiction de la circulation des véhicules d’un poids supérieur à 3,5 tonnes sur une voie privée ouverte au public dès lors que cette décision avait pour but d’empêcher une utilisation anormale et dangereuse de la voie (CE 19 novembre 1975 – n°93235). Dans l’urgence, le maire sera en droit de faire exécuter d’office, sans mise en demeure préalable et aux frais de l’occupant, les travaux qu’il juge nécessaires au maintien de la sécurité routière (art. L. 141-11 du code de la voirie routière).
4. Que se passe-t-il qu’en cas d’inaction du maire en sa qualité d’autorité de police ? L’inaction de l’autorité de police sur une voie privée ouverte à la circulation publique, en l’espèce l’absence de signalisation et d’éclairage nécessaire pour signaler une palissade, est de nature à engager la responsabilité de la commune en cas d’accident survenu à un tiers (CE 8 mai 1963, commune de Maisons-Laffitte).
5. A qui incombe l’entretien des voies privées ouvertes à la circulation publique ? En principe, les travaux d’entretien incombent au seul propriétaire mais il existe des exceptions. D’abord, la signalisation routière est à la charge de l’administration (L. 162-1 et L. 411-6 du code de la route). Ensuite, il est admis que les communes puissent (ce n’est donc qu’une faculté) contribuer, en vertu de l’intérêt général, aux dépenses d’entretien de telles voies moyennant une convention liant commune et propriétaire(s) de la voie. Dans ce cas, la commune est responsable des conséquences dommageables de tels travaux.Enfin, l’insalubrité des voies privées (ouvertes ou non à la circulation publique) peut conduire le maire, ou le préfet, à intervenir pour préserver l’hygiène publique (art. L. 162-6 du code de la voirie routière). Au préalable, le maire, ou le préfet, doit avoir mis en demeure les propriétaires de se constituer en syndicat et de désigner un syndic chargé d’assurer l’exécution des travaux en cause. Si, dans le délai d’un mois après une telle injonction, rien n’a été fait, un syndic est désigné d’office par le président du tribunal de grande instance. Le syndic fait alors exécuter les travaux nécessaires et procède enfin à la répartition des dépenses entre les différents propriétaires de la voie.
6. Quelle valeur ont les panneaux de signalisation et le marquage au sol mis en place par les propriétaires d’une voie privée ouverte à la circulation publique ? Ils n’ont aucune valeur ! Cette compétence n’appartient qu’à l’administration en charge de la voirie (L. 411-6 du code de la route).
7. La commune serait-elle en droit de participer à l’entretien d’une voie privée non ouverte à la circulation publique ? Non. Sous réserve de l’exception prévue à l’article L. 162-6 du code de la voirie routière (voir question n°5), les communes ne sauraient participer à l’entretien des voies privées dont les propriétaires se réservent l’usage. Pas davantage, et sous la même réserve, la commune ne sauraient imposer de tels travaux.
8. Qui est responsable d’un défaut d’entretien normal d’une voie privée ouverte à la circulation publique quand la compétence de la commune en matière de voirie a été transférée à un établissement public de coopération intercommunale (communauté urbaine, communauté decommunes…) ? Quand un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) assume l’entretien d’une voie de ce genre, il est responsable des conséquences d’un défaut d’entretien de celle-ci. Il en est ainsi des communautés urbaines qui exercent de plein droit cette compétence au lieu et place des communes membres.Mais si l’accident est dû à la fois à un défaut d’entretien de la voie et à une faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police, la commune pourra en être jugée coresponsable, sauf transfert des pouvoirs de police du maire au président de l’EPCI.
9. Le transfert d’office des voies privées ouvertes à la circulation publique dans le domaine public communal est-il possible ? Oui, la commune peut utiliser la procédure prévue par l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme. Celui-ci prévoit qu’après enquête publique, le classement dans le domaine public communal de voies privées ouvertes à la circulation publique comprises dans un ensemble d’habitations est opéré par une simple délibération du conseil municipal, après accord unanime des propriétaires. Et si un propriétaire intéressé fait connaître son opposition, la décision doit être prise par arrêté préfectoral à la demande la commune.Ce transfert d’office s’opère sans indemnité.
10. Qui peut décider de la dénomination des voies privées ouvertes à la circulation publique ? La dénomination des voies privées n’appartient qu’aux propriétaires de ces voies, bien que le maire tienne de ses pouvoirs généraux de police le droit de contrôler les dénominations de toutes les voies et d’interdire celles qui seraient contraires à l’ordre public et aux bonnes moeurs. Aucune disposition législative ou réglementaire n’autorise le conseil municipal à fixer la dénomination des voies privées.
Etienne COLSON,
avocat au barreau de Lille (contact@colson-avocat.fr)