Groupe Carré : l'innovation pour une agriculture durable

Le groupe Carré, basé à Gouy-sous-Bellonne près de Douai, est spécialisé dans la collecte de céréales et développe désormais des solutions d'agro-écologie, travaillant à favoriser la décarbonation et le stockage de carbone dans le sol. Rencontre avec Maximilien Carré, son dirigeant actuel, qui a rejoint l'entreprise en 2016 et assure aujourd’hui sa croissance et sa compétitivité dans un marché mondial difficile.

Maximilien Carré. © Barbara Grossmann
Maximilien Carré. © Barbara Grossmann

Votre entreprise fêtera ses 100 ans. Quelle histoire se cache derrière le groupe Carré ?

C’est avant tout une aventure familiale qui a débuté dans les années 1930. Mon arrière-grand-père, François Carré, agriculteur, a posé les premières pierres en organisant les collectes de céréales en sacs sur son exploitation de Gouy-sous-Bellonne. Mon grand-père, Jean Carré, a pris la relève et a marqué un tournant en 1965 en construisant le premier silo à grain, d’une capacité de 1 800 tonnes. Puis, année après année, la société s’est développée par la collecte de céréales, mais aussi la vente de produits phytosanitaires, d’engrais et de semences. Mon père, qui a repris les rênes en 1991, a donné une nouvelle dimension à l’entreprise, multipliant sa taille par dix, avant que je le rejoigne, en 2016. Aujourd’hui, il en est toujours président, apportant son expérience et sa mémoire à notre activité. Mais le groupe Carré, c’est aussi une affaire de famille au présent : ma tante est au service financier, ma sœur au service commercial, et ensemble, nous perpétuons cet héritage avec passion.

Comment avez-vous acquis les compétences nécessaires pour prendre la direction de l'entreprise ?

Avant d’intégrer l’entreprise familiale, j’ai commencé par suivre des études de commerce à l’Essec, car mon but était avant tout d'acquérir des compétences en gestion d’entreprise. Une fois le diplôme en poche, pour approfondir mes connaissances, j'ai travaillé dans une maison internationale de négoce en Suisse, spécialisée dans les échanges entre pays et continents. J'étais dans une équipe qui se concentrait sur les tourteaux de soja, une source essentielle de protéines pour l'alimentation animale. Après cinq ans dans cette fonction, je suis revenu dans l'entreprise car mon père commençait à préparer sa succession. 

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C’était une période compliquée pour la société, qui avait beaucoup grandi et investi. Nous devions gérer ces investissements après une année agricole difficile. J'ai intégré l’entreprise cette même année et nous avons commencé une restructuration, qui s’est poursuivie jusqu’en 2019. Puis, la crise sanitaire est arrivée. Ces quatre années d’incertitudes m'ont permis d'acquérir les compétences nécessaires et de reprendre les rênes de l'entreprise avec plus de sérénité. Je n'ai pas l'expertise agronome de certains membres du groupe : ma spécialité réside dans les marchés de grains.

Comment votre entreprise s'est-elle diversifiée ?

L'activité s'est bien diversifiée au fil du temps, avec un développement parallèle de plusieurs secteurs. Aujourd'hui, nous opérons deux activités complémentaires. Nous fournissons à l'agriculteur tout ce dont il a besoin pour produire : semences, engrais et produits de protection des cultures. Ensuite, nous achetons les céréales qu’il produit pour les redistribuer. Nous l'accompagnons également dans la production de pommes de terre, de betteraves, etc. Cependant, notre cœur de métier reste la collecte de céréales, principalement du blé, représentant 80% de notre activité, avec une capacité de stockage de 580 000 tonnes. Grâce à nos 95 points de collecte, nous couvrons l'ensemble des Hauts-de-France et même une partie du Grand Est. Bien que nous soyons un acteur essentiel de la chaîne, nous restons souvent un intermédiaire méconnu, car on parle généralement des coopératives agricoles. Nous achetons les grains, que nous revendons ensuite par le biais d’exportateurs. Nous acheminons ces produits via les ports de Dunkerque, et parfois Rouen, pour desservir non seulement la région, mais aussi la Belgique et les Pays-Bas.

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Quels sont les défis auxquels font face les agriculteurs avec qui vous travaillez ?

Nous nous trouvons dans une région très productive en termes de rendements, grâce à la qualité des terres et à la diversité des cultures. Ici, on produit des pommes de terre, des betteraves, du lin, des légumes et de l’endive… contrairement à d'autres régions de France qui se concentrent principalement sur la production céréalière. Cependant, les enjeux sont bien réels. Pour les agriculteurs, la compétition mondiale représente le principal défi. Nous évoluons dans un marché ouvert et mondialisé, où la matière première, dite «standard», est facilement comparable à l’échelle internationale. Les pays du pourtour de la mer Noire, comme la Russie, l'Ukraine, la Roumanie, ou encore certains pays d'Amérique du Sud comme l'Argentine, n'ont pas les mêmes contraintes que nous. Leurs coûts de production sont bien plus faibles. Par exemple, bien que les tarifs en Ukraine aient augmenté avec la guerre, le coût de production y reste autour de 100 euros la tonne, alors qu’en France, avant la guerre, il était d’environ 160 euros. En 2024, avec une baisse de 25% des rendements, nous devrions atteindre 220 euros la tonne. Cette situation donne un avantage aux concurrents étrangers, ce qui constitue un véritable défi tant pour nos agriculteurs que pour nous.

Comment répondez-vous aux défis de l'agriculture durable ?

Nous avons créé la Ferme Pilote en agro-écologie performante en avril 2015. Ce projet a vu le jour sous l’impulsion de mon père, qui, après le lancement du plan Ecophyto en 2008, s'est interrogé sur de nouvelles méthodes de culture et de production. Aujourd'hui, cet outil de recherche et développement s'étend sur 190 hectares, dont 30 sont dédiés à des expérimentations. Par exemple, cela fait plus de cinq ans que nous menons des essais en laboratoire sur la pomme de terre, notamment pour tester sa résistance au mildiou, une maladie qui touche principalement cette culture. Nous avons ainsi mis en place plusieurs scenarii : un témoin sans traitement phytosanitaire qui produit un rendement deux fois inférieur, et d’autres avec des doses variées de produits phytosanitaires. Sans grande surprise, les résultats montrent que l'utilisation des produits protège le mieux la plante. Toutefois, si l’on interdit totalement ces produits, cela risque de repousser le problème, augmentant ainsi le coût de la production dans un marché mondialisé. Voilà pourquoi il est important que nous réalisions ces tests. Pour être au rendez-vous.

Comment l'agriculture peut-elle contribuer à la décarbonation ?

Aujourd’hui, la décarbonation est un enjeu majeur, notamment pour l’agriculture, qui représente environ 25% des émissions de carbone. Des solutions existent pour réduire cet impact, telles que la culture sur sol nu qui capte le carbone, la réduction des engrais minéraux et du travail du sol, ainsi que la mise en place de rotations de cultures. Toutefois, l’un des plus grands défis reste le retrait des produits phytosanitaires. Bien qu’ils soient les plus efficaces, leur utilisation sera progressivement restreinte par les nouvelles régulations. Cela aura des répercussions non seulement pour les agriculteurs, mais aussi pour notre groupe, car la vente de ces produits représente entre 25 et 30% de notre activité. Si la filière peut se décarboner, elle peut également contribuer à stocker du carbone dans les sols. De nombreux clients industriels, tels que Nestlé, visent la neutralité carbone, souvent d’ici 2050 ou par étapes. Nous collaborons avec Nestlé, qui a lancé un projet en 2020 pour rendre leurs croquettes pour chiens et chats plus écologiques. Ce projet repose sur l’adoption de pratiques d’agriculture régénérative, visant à réduire les émissions de carbone tout en augmentant le stockage de celui-ci dans le sol.

Comment votre groupe envisage-t-il son développement ?

Nous nous engageons de plus en plus dans le développement de produits de bio-contrôle et de bio-stimulants pour renforcer les défenses naturelles des plantes et les rendre plus résistantes face aux aléas climatiques. Comme le dit notre responsable de la nutrition des plantes : «Une plante bien nourrie, cest une plante saine, comme l’humain». L’ambition de croissance fait partie de l’ADN de notre entreprise. Au fil des années, le secteur - qu'il s'agisse de la consommation de grains ou de la production d'engrais -, s'est consolidé. Pour continuer à évoluer, nous devons aussi croître. Bien que je ne prévois pas de multiplier la taille de l'entreprise par dix, car cela la rendrait trop imposante, nous souhaitons poursuivre notre expansion en tant que distributeurs, en maillant notre territoire et en l’optimisant pour offrir les coûts les plus compétitifs possibles. Notre objectif est d’aider les agriculteurs à maximiser leurs revenus en leur proposant des solutions compétitives et rentables. Cela inclut aussi, malgré la difficulté, le recrutement de chauffeurs et de commerciaux pour renforcer nos équipes.

En chiffres

- 210 salariés, dont 45 à Gouy-sous-Bellonne

- 367 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023

- 950 000 tonnes de céréales collectées 

Bonus

Une personne qui vous inspire ? Mon père, qui avec sa longue expérience de chef d’entreprise reste un très grand mentor, et dont j’admire la qualité de bâtisseur.

Un lieu favori ? J'aime bien aller dans un certain bois, appelé le bois d’Havrincourt, à proximité de Cambrai dans le Nord. C’est joli pour s’y promener.

Un conseil pour un jeune entrepreneur ? Je dirais oser, ne pas avoir peur d’échouer, mais surtout bien s’entourer dans l’entreprise, auprès d’autres dirigeants. Et avoir une «soupape de décompression», des amis, des proches sur qui compter… Il faut être capable de couper, parce que parfois on ne ferme pas l’œil de la nuit.

© Barbara Grossmann