Surcoûts
Le Conseil d’État ouvre la porte à la modification des clauses financières dans les contrats publics
Dans son avis du 15 septembre, commandé par le gouvernement, le Conseil d’État admet, de façon assez inédite, que les parties à un contrat de la commande publique puissent, dans certaines conditions et limites, procéder à une modification des clauses financières, pour faire face à des circonstances imprévisibles. Il rappelle également que le cocontractant a droit à une indemnité, sur le fondement de la théorie de l’imprévision.
Le principe de la modification des clauses essentielles des contrats
Depuis plusieurs mois, face à l’inflation qui touche désormais tous les secteurs, la Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie martelait, non sans raison, qu’il n’était pas possible de modifier des clauses financières des contrats de la commande publique. En effet l’article L. 2194-1 du Code de la commande publique (CCP) dispose que les modifications «ne peuvent changer la nature globale du marché.» Or, s’il est un principe solidement établi en droit de la commande publique, c’est bien celui de «l’intangibilité» du prix. Pour pallier cette impossibilité, la DAJ insiste donc sur la nécessité de prévoir des clauses de variation des prix ou de réexamen et sur la théorie de l’imprévision permettant aux opérateurs économiques d’obtenir une indemnisation des surcoûts. Toutefois, par son avis du 15 septembre, le Conseil d’État, à rebours de la doctrine du ministère, énonce que les parties à un contrat de la commande publique peuvent, dans certaines conditions et limites, procéder à une modification des clauses financières pour faire face à des circonstances imprévisibles. Pour la Haute juridiction administrative, dont l’avis aura d’importantes conséquences, «il ne résulte pas de dispositions du Code de la commande publique (…) que les modifications des marchés et des concessions (…) ne peuvent porter (…) sur les clauses financières, ni qu’elles doivent nécessairement porter sur ces caractéristiques et conditions, de sorte que serait prohibée une modification des seules clauses financières (modification «sèche» du prix).» Bien sûr, l’article R. 2112-7 du CCP pose le principe du caractère «définitif» du prix fixé dans le marché. Mais le Conseil d’État note que ce principe ne restreint pas «les possibilités de modification d’un marché ainsi expressément prévues depuis les directives de 2014.» En clair, si effectivement, cette possibilité n’est pas expressément prévue par les textes, rien ne l’interdit pour autant. Dans la même logique d’ailleurs, le Conseil d’État considère également que la modification de la seule durée du marché ou du contrat de concession est envisageable. Conformément aux dispositions de l’article L. 2194-1 du CCP, une telle prolongation est possible si elle peut être regardée comme une modification rendue nécessaire par des circonstances imprévisibles ou des modifications non substantielles ou de faible montant.
Les hypothèses de modification des clauses financières ou de la durée du contrat
Dans son avis, la Haute juridiction liste plusieurs hypothèses dans lesquelles les opérateurs économiques pourront demander la modification des clauses financières ou de la durée du contrat, mais souligne également les conditions à réunir. D’abord, sur la base des articles R. 2194-5 et R. 3135-5 du CCP, une modification, par avenant, des clauses financières ou de la durée du contrat est possible dès lors qu’il existe des «circonstances exceptionnelles», ce qui sera le cas dans bon nombre de situations du fait de l’inflation. Le Conseil d’État met toutefois les opérateurs économiques en garde : «la modification du contrat sur le fondement de ces dispositions n’est possible que si l’augmentation des dépenses exposées par l’opérateur économique ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances nouvelles ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat.» En outre, et dans tous les cas, les modifications apportées au contrat sur ce fondement ne peuvent excéder le plafond de 50 % du montant du contrat initial. Ensuite, le Conseil d’État estime que les parties sont libres de procéder à la compensation de toute perte subie par le cocontractant «même si cette perte ne suffit pas à caractériser une dégradation significative de l’équilibre économique du contrat initial.» Il s’agit ici des «modifications d’un faible montant.» La Haute juridiction estime cependant qu’il incombe à l’autorité contractante d’éviter que ces modifications aient pour effet de compenser la part de l’aggravation des charges qui n’excède pas celle que les parties avaient prévue ou auraient dû raisonnablement prévoir en contractant et qui devrait, en conséquence, rester à la charge de l’opérateur économique, en particulier du concessionnaire. Enfin, et plus largement, sur le fondement des dispositions des articles R. 2194-7 et R. 3135-7 du CCP, le Conseil d’État admet que des «modifications non substantielles du contrat» soient mises en œuvre. Toutefois, là encore, la limite du plafond de 50 % du montant du marché initial est de rigueur. Principale limite, mais de taille, la Haute juridiction précise, bien entendu, que si ces modifications du contrat sont possibles, l’administration «n’est en aucun cas contrainte d’en prendre l’initiative ou de les accepter.» En cas de désaccord, le Conseil d’État incite très clairement les cocontractants à se saisir de la théorie de l’imprévision et à demander à l’administration «une indemnité pour charges extracontractuelles qui, en cas de désaccord de l’autorité contractante, lui sera octroyée, le cas échéant, par le juge.»
Nicolas TAQUET, avocat