Le Brexit, un mal pour un bien ?

500 dirigeants des régions et villes de toute l’Europe, dont les Hauts-de-France, se sont réunis à Bucarest les 14 et 15 mars 2019. Suite au Brexit, le mot d’ordre est lancé : retrouver en urgence la confiance des citoyens.

Michel Barnier présentant le traité de négociation du Brexit lors du 8ème Sommet des régions et des villes © European Union / Denis Closon
Michel Barnier présentant le traité de négociation du Brexit lors du 8ème Sommet des régions et des villes © European Union / Denis Closon

Il faut dire que pendant ces deux jours, le rythme du Sommet roumain était calé sur le tempo des différents votes des députés britanniques sur le Brexit : oui ou non au traité, oui ou non pour un report… Dans les dédales du palais du Parlement construit par l’ancien dictateur Ceaușescu qui accueillait l’événement, chacun suivait en temps réel l’actualité de la Chambre des communes sur son smartphone. Car cette crise britannique a fait écho aux débats du Sommet qui portaient sur comment renouer la confiance des citoyens à l’égard des institutions. Et ce, dans un contexte particulier : Brexit mais aussi élections européennes, élection à venir d’un nouveau président de la Commission européenne, préparation du budget 2021-2027…

Palais du Parlement à Bucarest
Le Palais du Parlement à Bucarest.

Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit et de passage au Sommet avec en main le fameux traité de 600 pages, a d’ailleurs insisté à ce sujet : «Il y a des citoyens qui ont le sentiment d’être abandonnés, exclus par l’Europe. Ce sentiment doit être écouté. Il est une des raisons du Brexit.» Une intervention remarquée, saluée par une standing ovation des élus présents… même si certains y ont vu aussi un moyen pour lui de faire campagne en terrain conquis. Le négociateur a néanmoins confirmé sur place que les régions exposées au Brexit – comme les Hauts-de-France – seront soutenues financièrement par l’Europe.

Intervention de Michel Barnier © European Union / Denis Closon
Intervention de Michel Barnier. © European Union / Denis Closon

Mobilisation des territoires

Mais les villes et les régions n’ont pas attendu l’intervention de Michel Barnier pour être convaincues de cette nécessité de revoir le fonctionnement de l’Europe pour retrouver une adhésion collective. Depuis deux ans, le Comité européen des régions, organisateur de l’événement, planche sur le sujet. En 2018, une étude a été réalisée auprès de 40 000 citoyens. Les conclusions indiquaient qu’il fallait reconstruire la confiance dans le projet européen et le reconnecter aux citoyens en les écoutant davantage, en ciblant davantage les politiques européennes vers des dimensions territoriales et en facilitant le dialogue via les villes et les régions.

Refonder l’Europe

Ce Sommet 2019, intitulé «(Re)New Europe», s’est articulé autour de diverses thématiques : améliorer la cohésion et l’intégration sociale, la cohésion territoriale, bâtir un avenir durable, renforcer la démocratie européenne via la participation des citoyens… L’événement a par ailleurs lancé un nouveau réseau de pôles régionaux – Régional Hub – avec une vingtaine de régions, dont les Hauts-de-France. Elles seront interrogées régulièrement par l’UE sur des lois en préparation, pour qu’elles soient mieux appliquées ensuite (subsidiarité active).

François Decoster
François Decoster, élu des Hauts-de-France.

Parmi les élus français, étaient attendus Jean-Vincent Placé et Thierry Solère du conseil régional d’Ile-de-France, Gilles Siméoni, président du conseil exécutif de Corse, ou encore François Decoster, vice-président de la Région des Hauts-de-France et maire de Saint-Omer. Ce dernier, rencontré sur place, a milité pour une politique de cohésion plus ambitieuse, «pour renforcer le développement des villes et territoires à l’appui des fonds européens et mieux diffuser ainsi les valeurs européennes». Il a par ailleurs rencontré 150 jeunes élus locaux invités au Sommet – en plus des 350 du Comité des régions – pour mieux comprendre l’impact du Brexit dans leurs territoires et les sonder sur leurs attentes de l’UE. Une manière de dépoussiérer les débats et d’alimenter les réflexions du Comité.

Karl-Heinz Lambertz, président du Comité des Régions. © European Union / Patrick Mascar

Pression sur les législateurs européens

Pour le président du Comité des Régions, le Belge Karl-Heinz Lambertz, il faut mettre la pression auprès des législateurs européens : «Le départ possible de la Grande-Bretagne est un signal d’alarme pour ceux qui croient dans l’Europe. Il faut toucher davantage les citoyens en associant plus fortement les villes et régions à la construction européenne.» C’est pourquoi les participants ont adopté la Déclaration de Bucarest, avec dix propositions pour mieux construire l’UE à partir du terrain, avec les villes et régions (plus de décentralisation, une politique sociale renforcée, hausse du budget européen…). Elle sera transmise au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement européens à Sibiu en Roumanie le 9 mai. En espérant que cette énergie ne s’effondre pas une fois les échéances électorales passées.

Michel Barnier © European Union / Denis Closon
Michel Barnier. © European Union / Denis Closon

Les leçons du Brexit

Extraits de l’intervention de Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit, lors du 8e Sommet européen des régions et des villes à Bucarest, en Roumanie, le 14 mars 2019

«(…) Ce Brexit est un lose-lose. Il n’a aucune valeur ajoutée et personne n’a été capable de me dire que le Brexit avait un intérêt. Mais il n’y aura jamais d’esprit de revanche. Mon ambition est de trouver un retrait ordonné pour le Royaume-Uni. Je continue à être patient, calme et respectueux du Royaume-Uni, de son peuple et de ses procédures législatives parlementaires. A l’issue de la séparation, il ne faut pas oublier qu’il y aura une deuxième négociation, qui organisera la future relation avec le Royaume-Uni. J’ai beaucoup d’admiration pour ce pays, qui restera un pays ami, partenaire et allié. Il faut organiser ce partenariat sur d’autres bases que celles du marché unique. Et nous devons organiser l’alliance pour la sécurité européenne, au-delà de ce que nous faisons déjà ensemble dans l’Otan ou de façon bilatérale. Nous devons organiser autrement la solidarité pour les questions de défense, la sécurité intérieure, la lutte contre le terrorisme, ou la politique et la coopération en matière de politique étrangère. 

(…) Quelles leçons tirer du Brexit ? A la suite de la crise financière qui a détruit des milliers d’emplois et d’erreurs de l’Europe sur ces trente dernières années qui a trop dérégulé, il y a des citoyens qui ont le sentiment d’être abandonnés, exclus par l’Europe. Ce sentiment doit être écouté. Il est une des raisons du Brexit. Les dirigeants européens doivent répondre par de nouvelles politiques dans l’investissement, la protection des frontières, les grandes infrastructures de transport ou la formation. L’Europe doit être aussi proactive dans la lutte contre le changement climatique. Une autre leçon de ce Brexit, c’est l’importance de l’unité des vingt-sept, voulue par les dirigeants. Au début de ma mission, quand je les ai rencontrés tous et chacun dans leur bureau, j’ai eu le sentiment de gravité, de responsabilité collective. (…) Avec le soutien de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, depuis le premier jour, nous avons décidé de pratiquer la transparence, avec la publication de tous les documents de la négociation. Ce qui explique aujourd’hui la confiance des vingt-sept.»

Les élus du Comité des régions au Sommet. © European Union / Patrick Mascart

Le Comité européen des régions fête ses 25 ans

A la suite du traité de Maastricht, le Comité européen des régions a été créé en 1994 pour donner plus d’importance au rôle des villes et régions dans les prises de décisions européennes. C’est une manière de rendre l’UE proche des citoyens, avec une mise en œuvre des politiques européennes plus efficaces sur le terrain. Près de 50% des propositions de lois de la Commission européenne sont ainsi soumises au Comité pour avis consultatifs qui sont ensuite transmis aux législateurs européens (au Parlement et au Conseil des ministres), en espérant qu’ils soient pris en compte lors du vote législatif.

En-dehors des Sommets européens des régions et des villes tous les deux ou trois ans, le Comité se réunit en session plénière tous les deux mois à Bruxelles. Parmi les 350 membres, il y a 24 Français, issus de l’Association des régions, l’Assemblée des départements et l’Association des maires de France. Tous ces noms sont validés par le ministre de l’Intérieur, le Premier ministre et enfin le Conseil des ministres de l’UE. Les Hauts-de-France comptent trois titulaires jusqu’en 2020 : François Decoster, maire de Saint-Omer, vice-président de Région et président de la délégation française du Comité des régions, Michel Delebarre,  conseiller municipal de Dunkerque et ancien président du Comité des régions, Jean-Noël Verfaillie, conseiller départemental du Nord. Valérie Létard, sénatrice du Nord et vice-présidente du Conseil régional, est l’unique suppléante.