Le bonheur au travail est-il un nouveau paradigme ?
À l’heure où notre société vit une profonde mutation, en perte de repères ontologiques, se saisir du thème du bonheur individuel dans un environnement collectif dédié à une activité est-il réellement pertinent ou s’agit-il d’un nouvel algorithme ?
Le bonheur au travail pose la question de la place du travail dans la vie de l’individu et amène la question suivante : est-ce de la responsabilité des organisations de rendre les hommes et les femmes heureux au travail ? Le bonheur est défini comme : «un état durable de plénitude, de satisfaction ou de sérénité, d’où la souffrance, le stress, l’inquiétude et le trouble sont absents». Le bonheur est donc différent de la notion d’épanouissement ou de plaisir qui correspond à un état passager. Le bonheur relève de la sphère individuelle et s’inscrit dans une quête personnelle qui trouve son sens dans l’existence elle-même. Même si l’on peut mettre en évidence des fondamentaux, chacun construit sa définition, l’idée d’un état d’après le terme de Kant et la façonne au quotidien. Le risque en introduisant la notion de bonheur au travail pourrait aboutir à transférer une quête et une responsabilité personnelles, relevant de l’individu seul, à la sphère publique avec un cadre, des objectifs et des moyens… avec le risque de tomber dans une forme de globalisation. L’autre risque serait de faire croire que l’organisation d’aujourd’hui se doit de répondre à un grand nombre de besoins et de désirs individuels; de là à passer à «l’organisation providence» et à une forme de déresponsabilisation, il n’y a qu’un pas. Et que dire de ce retour en arrière finalement assez proche du paternalisme du début du XXe siècle où l’employeur donnait du travail à ses ouvriers jusqu’au trousseau de mariage de la fille en passant par le médecin, le chauffage et l’école.
Pacte social du bonheur au travail…
De même, l’utilisation du terme bonheur au travail apparaît comme dangereux dès l’instant où il peut poser comme postulat en creux que le bonheur peut être segmenté en plusieurs parties de notre vie et que notre but ultime d’être humain serait de traiter chaque partie et de la valider par un «OK». Le rôle et la place de l’entreprise doivent-ils aller jusque-là, jusqu’au bonheur au travail ? Est-ce le nouveau pacte social dont on doit se saisir inéluctablement ? Par ailleurs, parler de bonheur au travail, c’est faire le lit joyeux et infini des organisations professionnelles qui, devant un tel concept même cadré et concret, ne manqueraient pas de l’étoffer et de lui donner une envergure insoupçonnée. Comment l’équilibre vie privée/vie professionnelle s’insère-t-il dans ce nouveau pacte social du bonheur au travail sans risquer de générer confusion voire incompréhension ? Comment expliquer à une collaboratrice à qui l’on vient de refuser un temps partiel que sa direction est attentive au bonheur au travail ? Au terme provocateur de bonheur au travail, il semble préférable de continuer à rassembler autour du sens du travail, du faire ensemble dans une finalité commune, de coopération, de développement de l’autonomie et de responsabilisation… Rassembler autour d’une cathédrale : on pourra ainsi insuffler un sentiment d’utilité, de satisfaction et de fierté sur ses constructeurs, du poseur de pierre à l’architecte… Et là, c’est bien le domaine de l’organisation !
aurianne.loetscher Coach et consultante, fondatrice d’ALTUS www.altus-omega.com