"L'avocat, facteur de croissance économique"
Pour faire le constat d'une méconnaissance de leurs mondes respectifs, l'ordre des avocats de Lille a réuni des chefs d'entreprise à l'Edhec le 7 octobre, pour une table ronde. Regard croisé sur la profession d'avocat, l'exercice, réussi, laisse augurer d''une meilleure adéquation au service du développement économique.
S’il est des traditions lors de la rentrée solennelle des avocats du barreau de Lille comme la remise des prix du Concours d’éloquence qui a permis au lauréat 2016b Romain Lehmannb et à son suivant Charles Merlinb de traiter respectivement de «L’affaire du chevalier de la Barre ou la joie du blasphème» et du «Palais idéal», le barreau lillois a, le 7 octobre, innové en la faisant dans les locaux de l’Edhec à Croix. Une initiative qui allait de pair avec le thème retenu pour la table ronde qui la précédait, «L’avocat, facteur de croissance économique». Pourquoi un tel sujet ?
Découverte mutuelle. «Avec quelque 40% de son effectif dédié au droit des affaires par rapport au droit des particuliers, le barreau de Lille a une capacité un peu méconnue des entreprises à pouvoir répondre à leurs attentes, explique Stéphane Dhonte, bâtonnier élu de l’ordre des avocats de Lille. Le droit fait partie des stratégies de l’entreprise et il y a, chez les entreprises comme chez les particuliers, des réticences, des interrogations à l’égard des avocats : Comment le joindre ? Que peut-il apporter ? Pourquoi faire appel à un avocat ? Pour les avocats, il est tout aussi important d’entendre les besoins des entreprises pour mieux y répondre, pour arriver à dire si notre formation, si notre positionnement sur le marché sont en adéquation avec l’entreprise. C’est tout l’enjeu de cette conférence-table ronde qui a pour objet d’avoir un regard croisé entre chefs d’entreprise et avocats, mais également avec des écoles comme l’Edhec ou l’Université catholique de Lille qui comptent dans leurs formations des spécialisations en droit, droit des affaires notamment. C’est ce regard croisé qu’il nous est apparu intéressant d’interroger.»
Se sont ainsi prêtés à ce regard croisé, dans une première phase, Gilles Bernard, président du Club des entreprises centenaires et PDG des Briqueteries du Nord, Eric Bossuyt, directeur juridique Nord d’Orange, Alexis de Seze, secrétaire général du groupe Ïd Kids, et Nathalie Laugier, maître de conférences à la Faculté libre de droit et codirectrice du programme Business Law and Management. «Moins on en connaît, mieux on se porte. L’avocat fait peur, mais, quand l’entreprise est dans les difficultés, il faut les connaître», a-t-on pu entendre ici. Là, «on a besoin d’une extrême réactivité, d’une grande transparence, d’une grande simplicité…», jusqu’à parler pour les «collaborateurs externes» de «QS pour ‘qualité de services‘», des exigences qui peuvent aller jusqu’à la connaissance du numéro de portable personnel de l’avocat «corvéable» à tout instant. Dans les critères de choix d’un avocat, on trouve sans surprise l’expertise, la proximité, la réactivité, les honoraires, la taille du cabinet… «L’honoraire, on le regarde parce qu’on doit rendre des comptes au contrôleur budgétaire», explique-t-on ici. Là, «plus l’enjeu est considérable, plus on sera exigeant» ou encore « le contentieux, c’est une petite partie de nos relations à l’inverse du conseil». Et la formation ? «Il faut former au droit, outil de la performance de l’entreprise.» Et le secret professionnel ? C’est un avantage compétitif pour l’avocat par rapport au juriste d’entreprise. C’est consubstantiel au métier. Et, bien sûr, «avant de basculer vers l’avocat au contentieux, on utilise toutes les possibilités de négociation, de médiation», tant «le temps de la justice est très déconnecté du temps de l’entreprise” et que «les décideurs sont dans un monde de plus en plus frénétique»…
«Business partner». Que faire dès lors ? En seconde partie de la table ronde, Guido J. Imfeld, avocat, vice-président du barreau de Cologne, Bruno Platel, avocat au barreau de Lille, spécialiste en droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale, Raphaël Rault, avocat au barreau de Lille, correspondant Informatique et Libertés, Christophe Roquilly, doyen du corps professoral et de la recherche, professeur directeur du centre de recherche LegalEdhec et codirecteur du LL.M Law & Tax Management, et Michel Kukula-Descelers, avocat au barreau de Lille, spécialiste en droit des sociétés, se sont interrogés et ont évoqué des pistes de réponses, qui en explicitant le vécu allemand, notamment au travers de l’exercice de l’avocat en entreprise et de la problématique de la confidentialité, qui s’interrogeant sur la dimension de plus en plus impactante dans la relation client d’un marché de pleine concurrence et de la dimension numérique. Avec des constats forts : “l’exercice au temps passé ne passe plus dans l’entreprise», «y a-t-il encore de la place pour du sur-mesure ?»… Et des amorces de solutions : «il faut démontrer la valeur qu’on crée», «ne pas être réfractaire à l’innovation», «ne jamais dire non et suivre la dynamique de son client» jusqu’à «être un business partner».
«Savoir nous adapter». «Nous ne sommes pas des machines sur les boutons desquels on appuie pour avoir une réponse», a conclu Jean-Michel Bedry, ancien bâtonnier de Toulouse, tout en reconnaissant le besoin pour la profession «de se remettre en cause, notamment dans son fonctionnement quotidien». À ceux qui s’étonnent des critères de choix de l’avocat et d’être mis en concurrence, il oppose : «Nous sommes devenus de véritables chefs d’entreprise». Il recommande même de «faire une révolution culturelle» : «Nous avons des plus-values à apporter. Le contentieux, c’est un outil de gestion et pas un point de passage obligé. Notre essence même, notre plus-value, c’est la déontologie, le secret professionnel. Qu’on le veuille ou non, nous sommes des chefs d’entreprise qui devons nous emparer de marchés. Ce qui nous distingue des juristes d’entreprise, c’est notre indépendance, mais il faut savoir nous adapter.»