L’Allemagne : un colosse aux pieds d’argile !
Avec une croissance de 1,9 % en 2016 et un taux de chômage parmi les plus faibles d’Europe, l’Allemagne inspire confiance aux investisseurs. Au point, peut-être, de les rendre aveugles aux signes d’une dégradation de la compétitivité.
En cette période troublée, il est de bon ton en Europe sinon de vanter le miracle économique allemand au moins de chercher subrepticement à l’imiter. Il est vrai qu’outre-Rhin, de nombreux indicateurs économiques sont au vert et cela rassure les investisseurs, comme le prouve, notamment, l’évolution des taux souverains allemands. Objectivement, les derniers chiffres publiés le 12 janvier par l’Institut fédéral de statistiques Destatis le confirment: la croissance s’est élevée à 1,9 % en 2016, le taux de chômage est descendu à 6,8 % (6,2 % à l’Ouest, contre 9,4 % à l’Est), l’excédent de la balance commerciale n’a cessé d’augmenter depuis des années pour atteindre, l’an dernier, 22,6 milliards d’euros, la consommation des ménages et l’investissement en logement ont retrouvé des couleurs, à la faveur des hausses de salaires négociées par les syndicats depuis 2011, etc.
Par ailleurs, l’introduction d’un salaire minimum n’aura pas eu les effets négatifs tant redoutés, comme en témoignent les excellents chiffres de la création d’emplois (420 000) et du taux d’emploi. Quant à l’afflux de réfugiés (890 000 en 2015 et 260 000 en 2016), loin d’avoir pesé sur l’économie, Destatis affirme qu’il aura été l’équivalent d’un plan de relance : l’État fédéral a été contraint de déployer 20 milliards d’euros d’argent public pour les accueillir, montant qui se conjugue à une stimulation évidente de la consommation privée (+ 2 %) et de la construction immobilière. Au total, l’impact de l’accueil des réfugiés sur la croissance allemande a été estimé à 0,3 point en 2016 !
Problèmes structurels
Devant ce tableau enchanteur, il est difficile d’imaginer que les soubassements de l’économie allemande sont en moins bon état que les investisseurs ne l’imaginent. Pourtant, les études se multiplient pour alerter sur les problèmes structurels, qui ne manqueront pas de produire très bientôt leurs effets délétères sur l’économie. En effet, il est important de garder à l’esprit que la relative prospérité de l’Allemagne relève, pour l’essentiel, du choc d’offre impulsé par le Chancelier Schröder au début des années 2000, soit un panachage de baisse d’impôts pour les entreprises, de flexibilisation du marché du travail avec les lois Harz (et de précarisation de certains emplois dans les services, appelés mini-jobs) et de freinage des salaires. Or, si cette politique a certes permis, jusqu’en 2008, un fort redressement des marges des entreprises et des gains de productivité, ainsi qu’un recul marqué du chômage couplé à une hausse de l’emploi, les conditions de l’offre se sont bien dégradées depuis. On assiste en effet à une stagnation de la productivité du travail après 2011, même dans l’industrie. Et malgré ces gains de productivité faibles, la croissance des salaires réels ne s’est pas démentie depuis cinq ans, un rattrapage après tant d’années de partage des revenus au détriment des salariés. Bien entendu, comme l’a noté une enquête de l’institut ZEW, cela obère très fortement la compétitivité-coût des entreprises allemandes et partant, leur rentabilité ; les deux se dégradant depuis 2010, tandis que la pression fiscale globale pesant sur les entreprises du pays augmentait.
C’est la preuve que l’immense excédent extérieur de l’Allemagne, loin d’être une bonne nouvelle, démontre surtout que le pays fait face à un excès d’épargne, mal utilisé puisqu’il ne sert principalement à investir ni sur le territoire national ni dans la zone euro du reste. Et il est peu probable que le gouvernement allemand se décide à mener spontanément une politique budgétaire expansionniste, pourtant indispensable pour résorber son excès d’épargne et soutenir la reprise économique européenne. Dans un autre registre, selon l’enquête PISA de l’OCDE, la qualité du système éducatif allemand après s’être améliorée de 2002 à 2012, se dégrade depuis 2015. Quant au vieillissement de la population, il se poursuit inexorablement, et ne manquera pas de peser, à terme, sur la croissance potentielle du pays. Enfin, le secteur bancaire allemand demeure fragile, ne serait-ce qu’en raison d’une profitabilité et d’un rendement du capital des banques en berne, comme partout en Europe. La bonne tenue de l’économie allemande à court terme ne devrait donc pas occulter les graves problèmes qui pèseront sur elle dans l’avenir !