«La ville du futur devra tenir compte d’un nouveau rapport au travail et à la mobilité.»
Directeur général de SNCF Immobilier depuis janvier 2016, après le départ de Sophie Boissard pour le groupe Korian, Benoît Quignon a géré la mise en sommeil des activités de la filiale immobilière du groupe SNCF, dans un premier temps, puis son redémarrage progressif depuis quelques semaines. Un défi que ce haut fonctionnaire, diplômé d’HEC et de l’Institut d’Études Politiques de Paris, a relevé en imaginant des modes d’organisation du travail différents. Convaincu que le retour théorique de l’ensemble des personnels à 100 % sur site n’est pas possible en raison du manque de place et de postes de travail, il entend maintenir une partie significative des salariés en télétravail. Une façon d’adapter SNCF Immobilier au «nouveau monde» de l’après-Covid-19, tout en donnant une nouvelle impulsion à ses activités. Invité du Club des entreprises du Grand Paris et de l’Institut des Hautes Études des Métropoles (IHEDM) au mitan du mois de mai, il a évoqué les réalisations et les défis qui attendent l’entreprise, sans langue de bois et sans éluder la moindre question.
Comment définir les missions de SNCF Immobilier ?
Les principales missions sont au nombre de trois. La première consiste à gérer et optimiser le parc immobilier tertiaire, industriel et ferroviaire du groupe. La deuxième repose sur l’aménagement et la valorisation de ces biens fonciers et immobiliers non utiles au système ferroviaire. Cette mission est notamment assurée au travers de notre filiale Espaces ferroviaires. Enfin, SNCF Immobilier a un rôle d’opérateur du logement et de bailleur social avec sa filiale ICF Habitat. Nous disposons ainsi d’un patrimoine de 100 000 logements, dont 90 % de sociaux.
Comment avez-vous géré cette période de crise, qui a frappé de plein fouet l’ensemble des acteurs de la filière immobilière ?
Nous avons naturellement arrêté tous nos chantiers ainsi que les opérations de maintenance, à l’exception des opérations d’urgence. Cela signifie que 120 ensembles tertiaires ont été «mis sous cocon» pendant pratiquement deux mois. Sur les 180 sites que nous gérons en «facility management», soit 900 000 m2, seulement 80 ont été maintenus en activité, dont les sites de gestion de crise, qui sont opérationnels 24h/24.
Quels choix avez-vous opérés en termes d’organisation du travail pendant cette période ?
Tout est allé très vite et tout le monde, y compris les membres du comité exécutif, a basculé vers le télétravail. En revanche, la reprise, sur laquelle nous planchons depuis maintenant trois semaines, s’avère plus complexe que la mise à l’arrêt. Elle suppose des travaux de préparation, de planification, de remise en route de nos bâtiments et, bien entendu, des matériels. Nous avons accompagné cette phase de redémarrage en nous limitant aux interventions indispensables, car le travail à distance reste la règle. Néanmoins, depuis une dizaine de jours, nous avons engagé la réouverture de nos 180 sites.
À terme, l’arrêt prolongé de tous vos chantiers aura des effets sur l’ensemble de la filière bâtiment. Êtes-vous en mesure d’évaluer l’ampleur ?
L’arrêt de nos chantiers et leur mise en sécurité étaient une priorité. Mais je tiens à rassurer tous les acteurs du bâtiment et de la promotion. Nous allons assurer une remise en route progressive de nos opérations d’aménagement. C’est d’ailleurs notre principale préoccupation depuis deux semaines. Le mouvement est d’ailleurs déjà engagé. C’est par exemple le cas de l’opération Chapelle Internationale, dans le 18e arrondissement de Paris. Ce programme immobilier mixte et multifonctionnel, réalisé sur un ancien site ferroviaire de sept hectares, redémarre progressivement. Les compagnons sont de nouveau sur le terrain. Nous avons trouvé la bonne maille pour faire repartir cette opération et nous retrouvons le côté concret des choses.
Au-delà des chantiers en cours, comment avez-vous géré le montage des opérations à l’étude ?
Nous avons maintenu la conduite des projets qui ne nécessitaient pas une présence physique sur le terrain, ni dans les bureaux. C’est une satisfaction, même si ce mode de fonctionnement est un peu frustrant. Nous continuons de préparer toutes les études de marché, les études techniques, d’ingénierie, de maîtrise d’œuvre… qui sont nécessaires à la poursuite de nos travaux. De même, nous avons engagé depuis de longs mois un plan de transformation de SNCF Immobilier et nous tiendrons le planning initial, à une dizaine de jours près.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour assurer la poursuite de ces opérations ?
Le système des ordonnances a permis de desserrer les contraintes liées aux délais de recours ou d’instruction. C’était absolument indispensable compte tenu de la désorganisation immédiate des administrations sur ces différents sujets. Mais nous avons perdu deux à trois mois sur les délais d’instruction. Par ailleurs, le retard pris dans le renouvellement complet des équipes municipales et dans l’installation de celles qui ont été élues dès le premier tour constitue un handicap supplémentaire. Les maires ont essayé de mener les opérations courantes, mais ils ne pouvaient pas s’intéresser en priorité aux opérations urbaines ou foncières. Et même si nous avons pu continuer à travailler dans les plus grandes collectivités, les décisions fondamentales n’ont pas été prises.
Cela vous inquiète-t-il ?
Non, mais il faut que les nouvelles équipes s’installent pour que la marche avant soit de nouveau enclenchée. Je pense que la phase de remise en route prendra une bonne partie du deuxième semestre 2020, avec le vote de la programmation des investissements, celui des plans de mandat… En clair, la remise en route sera retardée d’un semestre, avec hélas peut-être des remises en cause d’opérations en raison du Covid, mais aussi des nouveaux choix municipaux. Certaines opérations seront sans doute réinterrogées.
Avez-vous établi une cartographie des projets sur lesquels vous serez peut-être amenés à diminuer la voilure ?
Nous avons la volonté d’aller au bout de nos opérations. Il y a bien entendu des recours sur certains projets, mais nous avons aussi des opérations consensuelles. Les nouveaux quartiers que nous aménageons rencontrent finalement assez bien l’air du temps et les préoccupations qui se sont exprimées au cours de cette période de confinement. Ils nécessiteront peut-être parfois un effort de pédagogie de notre part, mais je crois que nous sommes assez proches de ce qu’attendent les citoyens et les élus.
Jean-Pierre Farandou (ndlr : PDG de la SNCF) évoquait récemment une baisse des investissements et un resserrement des coûts de fonctionnement du groupe pour compenser les effets de la crise. La branche SNCF Immobilier est-elle concernée par cette stratégie ?
Il faut distinguer deux cas de figure. Lorsque nous intervenons pour le compte de partenaires extérieurs, c’est-à-dire sur des opérations d’aménagement et de promotion, nous sommes plutôt encouragés à les développer, puisque cela crée de la valeur immobilière pour la SNCF. Pour ce qui est des opérations que nous menons pour le compte de nos propres activités, nous sommes effectivement en train de regarder et d’évaluer celles qui sont les plus utiles, celles qui créent aussi le plus de valeur économique pour l’entreprise et d’engagement pour les salariés. Lorsque, par exemple, nous poursuivons les programmes de construction de centres de formation, qui nous permettent de rationaliser la gestion et les coûts de formation à l’échelle du groupe, et en même temps, de donner de l’envie à nos salariés, il ne devrait pas y avoir de remise en cause des investissements. En revanche, nous allons sans doute redimensionner les choses en matière de bureaux. Les besoins vont changer. Il est vraisemblable que nos besoins en mètres carrés vont diminuer, puisque le télétravail va se développer. Nous allons donc sans doute nous placer dans une trajectoire de diminution de notre nombre de sites et du nombre de mètres carrés occupés. Voilà une manière de répondre aux exigences économiques du groupe, en permettant à nos activités d’être beaucoup plus agiles et modulables, en mettant à disposition du groupe un immobilier lui-même souple et adaptable. Cela correspond d’ailleurs à ce que nous avons fait ces derniers mois, en livrant des technicentres qui sont reconfigurables en quelques jours, à l’instar du technicentre de Vénissieux, sur le territoire de la Métropole de Lyon.
Pourriez-vous être amené à accélérer le rythme de cession des terrains à bâtir que vous maîtrisez pour générer du cash pour le groupe ?
Ces cessions font partie de nos ambitions, mais il y a plusieurs préalables à prendre en compte, qui bien souvent ne sont pas liés à la SNCF mais aux collectivités locales. Ce sont elles qui décident, ou pas, de la constructibilité de nos terrains et de leur mutation, puisqu’il s’agit de terrains industriels. Dans le cadre d’opérations d’aménagement et d’urbanisme, il faut, en effet, leur donner une autre vocation. Et cette mutation sera vraisemblablement retardée d’un semestre. Pour les autres fonciers, c’est-à-dire ceux qui ont déjà une vocation constructible, nous allons effectivement les mettre sur le marché aussi rapidement que possible. Nous allons également nous interroger sur la détention de certains actifs, des bureaux notamment, qui sont encore dans notre patrimoine. Nous avons déjà mené des opérations de «lease-back» dans le passé et peut-être serons-nous amenés à en faire de nouveau dans le futur.
Quels projets sont les plus à même d’avoir un effet de levier dans le plan de relance de SNCF Immobilier ?
J’en vois deux. Tout d’abord, nous avons beaucoup de projets en lien avec le patrimoine d’Immobilière des Chemins de Fer. Nous avons notamment obtenu, ces deux dernières années, près de 1 800 agréments par an pour construire du logement social. Nous souhaitons maintenant obtenir les financements complémentaires pour pouvoir les engager. Cela se fera main dans la main avec les collectivités locales, qui doivent délivrer les permis de construire correspondants. Ensuite, il y a nos opérations d’aménagement, en dehors des projets des gares, que nous ne portons pas. Nous avons ainsi une trentaine d’opérations sur tout le territoire national, que nous sommes prêts à démarrer. C’est le cas à Toulouse, avec la Tour Occitanie, mais aussi à Bordeaux où nous avons un partenariat avec Euratlantique, ou encore sur le territoire de la ville de Paris où nous avons sept opérations. Ces chantiers ne pèseront pas sur la trajectoire économique de la SNCF et vont même, au contraire, l’améliorer.
À vos yeux, qu’est-ce que cette crise nous raconte et nous apprend sur la ville de demain ?
La ville de demain devra sans doute tenir compte d’un rapport au travail et à la mobilité sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Attention, je ne crois pas du tout à la ville à la campagne, car la structuration du développement de notre pays autour de nos métropoles reste pertinente à mes yeux. Mais les habitants de ces métropoles souhaitent désormais vivre sur leur territoire différemment. Sans avoir à faire une heure et demie de transport en commun dans de mauvaises conditions pour aller travailler. La solution du RER métropolitain, évoquée sur plusieurs territoires, est peut-être une piste pour un nouvel aménagement urbain dans le futur. Les métropoles de demain s’appuieront sur des réseaux de villes à l’échelle des régions, ou des zones périurbaines, et dans ce cadre, le RER métropolitain peut jouer un rôle important d’innervation des territoires. Il favorisera le maintien d’un lien structurel plus équilibré entre une métropole et les agglomérations de taille moyenne qui constituent son environnement. Il faut aller vers une relation renouvelée, en essayant de trouver de nouveaux équilibres à la fois de population, d’activité et d’emploi.
En dates :
- 1958 : Naissance à Nancy ;
- 1986 : Entre dans le groupe Caisse des Dépôts, où il sera successivement directeur régional de la Caisse des Dépôts et du Crédit Local de France pour la Basse-Normandie (de 1991 à 1993), puis directeur régional du Crédit Local de France pour la Région Aquitaine ;
- 2001 : Quitte l’Ouest de la France pour le Grand Lyon, où il est nommé directeur général des services. Il occupe la même fonction à la ville de Lyon entre 2011 et janvier 2016 ;
- 2015 : À la création de la Métropole de Lyon, il est nommé directeur général de la nouvelle collectivité territoriale ;
- 2016 : Quitte Lyon pour Paris, où il s’installe dans le fauteuil de directeur général de SNCF Immobilier.
Propos recueillis par Laurent Odouard (Tout Lyon Affiches) pour Réso Hebdo Éco / www.reso-hebdo-eco.com.