La taxe sur les géants du numérique s'enliserait-elle ?

Davos devait marquer une étape fondamentale dans la mise en place d'une taxe sur les géants du numérique, espérait Bercy. Mais le processus reste bloqué par les Américains, qui font pression sur les Européens. Dont la France, en première ligne.

© metamorworks
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Rien n’a été réglé. Lors des rencontres de Davos, les échanges entre Français et Américains n’ont finalement pas abouti à un accord de principe sur la mise en place d’un régime d’imposition mondial des géants du numérique, contrairement aux espoirs affichés quelques jours auparavant par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. A la place, Donald Trump, président des États-Unis, a simplement retiré sa menace de sanctions et la France a «différé» l’application de sa taxe nationale en la matière, selon les mots du ministre rapportés par le quotidien économique Les Échos du 22 janvier.

Cette taxe avait été adoptée en juillet dernier en France, après avoir échoué à se concrétiser au niveau européen, notamment face à la résistance de pays comme l’Irlande, aux règles fiscales particulièrement  favorables aux entreprises. Touchant des entreprises comme Google, Apple, Facebook et Amazon, elle avait suscité l’ire des Américains. Lesquels avaient alors brandi la menace de surtaxer des produits français, tel le vin pétillant, des produits cosmétiques comme le maquillage, ou encore les yaourts, jusqu’à 100%.

Le 17 janvier dernier à Bercy, à quelques jours des rencontres de Davos,  lors d’une conférence de presse commune, Ángel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, et Bruno Le Maire, s’étaient efforcés de promouvoir l’idée d’une solution mondiale de taxation des géants du numérique. Tout en faisant monter la pression, brandissant le spectre d’une «guerre commerciale USA/Europe», avec représailles européennes en cas d’éventuelles sanctions américaines découlant de l’entrée en application de la taxe française. «Les choses sont claires. La France retirera sa taxe nationale quand, et seulement quand, il y aura une solution internationale (…). Nous n’allons pas faire de désarmement unilatéral», avait déclaré Bruno Le Maire. Pour le ministre de l’Economie, le système de taxation élaborée par les groupes de travail de l’OCDE était la «seule proposition technique crédible qui existe». «La multiplication des régimes, des systèmes de taxes serait ingérable», avait renchéri Ángel Gurría.

500 millions d’euros différés

Bruno Le Maire avait exprimé le souhait qu’un accord de principe soit trouvé à Davos, étape qui aurait pu être suivie d’une deuxième, en juin prochain, destinée à définir les paramètres techniques du projet (niveau des taux, organisation du contrôle…), afin de conclure un accord définitif dans l’année. «Il existe un chemin de compromis possible avec les États-Unis», avait-il déclaré.
Force est de constater que le climat général n’y est pas favorable, les Américains préférant de très loin le jeu du multilatéralisme. Ainsi, ils ont signé un accord commercial avec la Chine le 19 janvier dernier. Et Davos a été marqué par une intense activité en ce sens, relèvent Les Échos : le secrétaire au Trésor de Donald Trump a menacé le Royaume-Uni et l’Italie au cas où ils concrétiseraient leurs projets d’imposition des services numériques, dans une interview au Wall Street Journal. Et il a également menacé de taxer les constructeurs automobiles. Autant de déclarations susceptibles d’intimider le Royaume-Uni, actuellement en train de négocier, seul, un accord commercial avec les États-Unis, et de susciter les divisions entre Européens, en décourageant les Italiens et les Allemands…
En France, l’enjeu de cette taxation est de taille : elle vise les grands groupes du numérique, qui ont mis sur pied des montages financiers sophistiquées leur permettant d’évacuer l’essentiel de leurs profits dans des paradis fiscaux. Ces acteurs économiques ne contribuent ainsi à l’impôt national qu’à des niveaux très inférieurs à ceux de leurs bénéfices réels. Les sociétés qui rentrent dans le champ de la loi sont celles qui réalisent un chiffre d’affaires mondial de 750 millions d’euros dans le monde, dans le champ des activités numériques, et un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros en France. Quant aux secteurs d’activité visés, il s’agit principalement des plateformes de mise en relation et le ciblage publicitaire. Le taux retenu est de 3%, du chiffre d’affaires numérique réalisé en France. Il aurait dû générer entre 400 et 500 millions d’euros.


De nombreux pays préoccupés par les exigences américaines

De nombreux pays, parmi les 137 qui négocient un accord sur la taxation des géants du numérique sous l’égide de l’OCDE, ont exprimé le 31 janvier leur «préoccupation» face aux exigences américaines, tout en renouvelant leur engagement à trouver une solution d’ici la fin de l’année, au terme d’une réunion à Paris. «Il n’y a pas de consensus (…) sur ce concept de Safe Harbour», a reconnu le monsieur fiscalité de l’OCDE, Pascal Saint-Amans, lors d’une conférence de presse. Il a toutefois rappelé que l’exigence, présentée à la fin de l’année dernière par les Etats-Unis, fait partie des mesures sur la table pour «l’application de l’accord», mais elle n’empêche pas les négociations d’avancer sur les autres sujets avant d’aborder ce point de désaccord. Lors de la réunion de Paris, les 137 pays ont toutefois réaffirmé leur «engagement à trouver une solution à long terme» et à continuer «à œuvrer pour qu’un accord se concrétise d’ici à la fin 2020», dans le délai accordé par les pays membres du G20 à l’OCDE.