La révolution agraire

Si 80% des Russes ont un jardin, 69% des Français en possèdent un aussi. C’est l’une des bonnes nouvelles que l’on apprend en lisant l’essai de Frédérique Basset, journaliste spécialisée dans les sujets liés à l’environnement.

Placée sous la double citation d’un vers du poète romantique allemand Hölderlin et d’une sentence de Ghandi1, l’enquête sur l’autonomie alimentaire repose sur un constat : il est plus que temps de changer nos modes de consommation alimentaire pour sauver ce qui peut encore l’être des ressources de notre planète. Philippe Desbrosses, agro-agriculteur fondateur d’Intelligence verte et docteur en sciences économiques, le dit tout de go : «Il n’y a que deux façons de gérer la planète : l’une mène au jardin, l’autre à l’usine.» Et de choisir le premier, gage de «sérénité». Derrière cette pétition de principe aux relents physiocrates, l’opuscule d’une centaine de pages interpelle : «Pourquoi (ré)apprendre à se nourrir ? Comment cultiver ? Où cultiver »… Tout est dans le pourquoi : nous mangeons mal et nous exploitons la terre en dépit du bon sens. L’agriculture intensive détruit la biodiversité et abuse des pesticides qui portent préjudice à notre santé : «Chaque Français ingère 1,5 kg de pesticide par an.» Les poires subissent ainsi jusqu’à 27 traitements au cours de l’année ; les cerises, entre 10 et 40. Le blé ? Ses graines sont désormais «enrobées» de fongicides avant semis. Le lait ? Nos vaches sont «chimiquement» alimentées : E 212, E 714, E 301, E 307, E 321, E 324… La modernité conduit à l’évolution des plantes répondront les promoteurs des OGM. Mais «aucune biotechnologie ne remplacera une nourriture variée que les populations peuvent produire par elles-mêmes et pour leurs propres besoins», argumente Frédérique Basset. Le reste des réponses est du même tonneau, claires et pratiques. Certaines fusent comme un slogan de manif’ : «aux fourches citoyens !». Beaucoup sont démonstratives, à l’image des nombreuses fiches techniques qui émaillent le livre, parfois métaphoriques comme ces fermes verticales, lointaines descendantes des jardins suspendus de Babylone.

Des jardins verticaux. «Depuis quelques années, ingénieurs et architectes futuristes imaginent des tours urbaines mêlant habitations et cultures. Dickson Despommier, microbiologistes de Columbia, a ainsi modélisé le concept du ‘vertical farm’. Le principe ? Enfermer les champs dans des tours de verre hermétiquement closes.» Protégées des variations du climat, les récoltes seraient dix fois plus importantes, réduisant le besoin en surfaces et réutilisant les déchets sous forme d’énergie et de compost. Mirage ? La société américaine Valcent a construit la première ferme verticale dans le Devon (Grande-Bretagne). «Demain, les géants mondiaux de la distribution alimentaire n’auront plus besoin des paysans pour se fournir en fruits et légumes», prophétise Christopher Ng, directeur de Valcent. Plus abordables pour le citoyen lambda, des conseils pratiques figurent aussi : les carottes sont semées en pleine terre au printemps, puis éclaircies ; à marier aux oignons et aux poireaux. Pour replanter sans passer par le semencier, il suffit de «couper les ombelles desséchées que vous frotterez dans un tamis pour en libérer les graines». 

Une question géopolitique et sociétale. La question alimentaire est géopolitique. On connaît le scénario catastrophe : comment faire si les Chinois veulent manger de la viande ? Les transactions foncières massives ont commencé, souligne Frédérique Basset : «Selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), dont le siège est à Washington, 15 à 20 millions d’hectares auraient fait l’objet de transactions entre 2006 et 2009, dont 803 000 à Madagascar, 471 000 au Soudan, 450 000 au Ghana et 160 000 au Mali.» La solution contre cette géopolitique de la faim ? Simple : le million d’hectares que possèdent les jardiniers amateurs pour qui doit venir «le temps des râteaux» ; amener aussi la campagne à la ville et préparer une génération de nouveaux agriculteurs. «Un potager est une promesse qui nous projette dans le futur de la récolte. C’est aussi l’une des rares activités qui cumule autant d’avantages : outre la production d’aliments sains, le jardinage a des effets bénéfiques sur le plan physique, psychologique et émotionnel. On dit que 30 minutes de jardinage permettent de brûler autant de calories qu’une marche rapide de la même durée. Anti-stress naturel, le jardin apaise les âmes (…). Déjà dans l’antiquité, les médecins égyptiens recommandaient à leurs patients de se promener dans les jardins afin de guérir plus vite. Ils venaient d’inventer l’hortithérapie.»

 

1. Friedrich Hölderlin : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ».
Mahatma Ghandi : « Incarne toi-même le changement que tu voudrais voir dans le monde ».

« Vers l’autonomie Alimentaire. Pourquoi (ré) apprendre à se nourrir ? Comment cultiver ? Ou cultiver ? ». De Frédérique Basset
Edition Rue de l’échiquier